Les enfants de 12 ans qui ont vécu de l'intimidation affichent moins de réactivité au stress, mais cela n'est pas nécessairement une bonne nouvelle. (Photo: iStockphoto)
Les jeunes victimes d'épisodes de violence ou d'intimidation seraient moins vulnérables au stress lorsqu'ils font face à des situations similaires en grandissant.
C'est en résumé le constat de la professeure de l'École de criminologie Isabelle Ouellet-Morin au terme d'une étude menée en Angleterre auprès de 30 paires de jumeaux identiques dont un seul avait subi des épisodes d'intimidation dans son enfance. Placés dans une situation stressante, les préadolescents âgés de 12 ans qui avaient vécu de l'intimidation ont démontré moins de réactivité au stress, ce qu'on pouvait mesurer en notant la variation du taux de cortisol dans la salive. "Même quand ils nous disent qu'ils sont mal à l'aise dans une situation stressante, les mesures physiologiques indiquent qu'ils réagissent physiquement moins à celle-ci comparativement à leur frère ou à leur soeur qui n'a jamais été confronté à de l'intimidation par les pairs", commente la jeune femme qui occupe un poste de professeure à l'Université de Montréal depuis décembre dernier.
Pour la chercheuse, ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle, car les victimes d'intimidation, surtout celles montrant une réactivité moindre, risquent davantage de manifester des comportements agressifs par la suite: on les voit plus souvent donner des coups de pied et participer à des bagarres par exemple. "On peut penser que ce profil est adaptatif et relève d'une certaine forme de résilience, mais ce n'est pas ce que nous avons observé. Au contraire, cette faible réactivité est associée à des problèmes interpersonnels et à des troubles du comportement", résume la psychologue clinicienne.
L'expérience de la chercheuse québécoise a été saluée par les éditeurs de la revue scientifique Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry à sa publication en juin 2011. "Comme les jumeaux homozygotes partagent l'entièreté de leur bagage génétique et, dans le cas présent, ont été élevés dans la même famille et dans un environnement semblable, nous pouvons assumer que les différences résultent des expériences individuelles", écrit le Dr Guilherme Polanczyk en éditorial.
D'autres pistes
Réalisée au King's College de Londres, la recherche de Mme Ouellet-Morin était la première à aborder ainsi le phénomène de la réponse physiologique au stress chez des jumeaux identiques ayant été exposés ou non à des situations d'intimidation. Elle a utilisé pour son échantillonnage une enquête du Royaume-Uni: l'Environmental-Risk Longitudinal Twin Study. On y a suivi plus de 1000 paires de jumeaux en Angleterre et au pays de Galles pendant près d'une décennie, de l'âge de 5 ans à 12 ans.
Issus de cette base de données, les sujets ont été mis dans une situation suffisamment stressante pour avoir des effets mesurables sur l'hormone du stress (le cortisol) en laboratoire: ils devaient relater un incident malheureux survenu à l'école devant deux adultes réagissant minimalement aux propos des protagonistes. Le second test consistait à résoudre des équations mathématiques le plus rapidement possible.
"Lorsqu'ils ont discuté de leur expérience en laboratoire, tous les enfants disaient avoir été stressés de façon équivalente. Mais les tests de salive révélaient un niveau bien inférieur de cortisol chez les jeunes ayant subi des épisodes d'intimidation. Comme s'il y avait une déconnexion entre ce que le corps ressent et ce que le cerveau affirme."
Cette expérience est, selon la chercheuse, à la limite de ce que les balises éthiques peuvent autoriser quand on étudie les effets à long terme des épisodes de violence chez les enfants, tout en permettant un contrôle accru des variables comme le bagage génétique. Mais elle s'est attaquée depuis à d'autres aspects de la question. Une recherche ultérieure, effectuée auprès de 190 enfants de 12 ans, dont 64 avaient été maltraités ou intimidés, a confirmé que la réponse au stress différait significativement d'un groupe à l'autre. "Nos résultats indiquent le besoin d'intégrer des biomarqueurs de stress dans les approches de prévention auprès des jeunes victimes", peut-on lire en conclusion de l'article publié dans Biological Psychiatry.
Le cortisol est une hormone qui envoie des signaux au système nerveux lorsqu'un danger survient. Il joue aussi un rôle dans la concentration. "C'est comme un baromètre physiologique. Pourquoi ne pas s'en servir comme indice de stress pour aider les intervenants à mesurer les progrès accomplis chez les jeunes en difficulté?" demande Mme Ouellet-Morin.
Mieux comprendre l'être humain
Appelant de nouvelles études qui poursuivront là où la sienne s'est arrêtée, la professeure explore aujourd'hui de nouvelles pistes, notamment auprès de jeunes hommes. Sa démarche s'inscrit dans le premier objectif qu'elle s'est donné au début de sa carrière: mieux comprendre l'être humain, particulièrement dans la déviance. "En contexte difficile, les individus réagissent de manière différente et cela m'a toujours fascinée", mentionne la spécialiste originaire de Québec.
C'est au cours de ses études de baccalauréat, de maitrise et de doctorat en psychologie à l'Université Laval qu'elle a précisé son champ de recherche. Intriguée par la part d'inné dans le développement humain, elle a fait sa thèse sur les facteurs génétiques et environnementaux marquant la petite enfance. Figurant au tableau d'honneur de sa faculté en 2008-2009, Isabelle Ouellet-Morin a remporté le prix de la meilleure thèse de doctorat de l'année 2009 de l'établissement.
C'est pendant un certificat de premier cycle en 2005 qu'elle s'est prise d'un vif intérêt pour la criminologie. "J'y ai trouvé une science interdisciplinaire qui me convenait parfaitement", dit-elle. Puis elle a étudié la psychiatrie légale au cours d'un stage à l'Institut Philippe-Pinel et au Centre de psychiatrie légale de Montréal. Elle est actuellement rattachée au Centre de recherche Fernand-Seguin et au Centre d'études sur le stress humain de l'Hôpital Louis-H. Lafontaine, et au Groupe de recherche en inadaptation psychosociale chez l'enfant.