Regards et attention: même les chevaux y sont sensibles !

Les chevaux sont capables de détecter des signaux subtils d'attention (direction du corps ou du regard), même lorsque ceux-ci proviennent d'une autre espèce. C'est ce que viennent de montrer des chercheurs du Laboratoire d'Ethologie Animale et Humaine (CNRS/Université Rennes 1) dans un article publié le 30 mars 2011 dans la revue PLoS One. Retour sur une expérience pas très ordinaire...

La représentation qu'ont les animaux des autres individus est une question ancienne qui a connu un regain d'intérêt dans la dernière décennie. Des études convergent pour montrer qu'il s'agit d'une représentation multisensorielle, intégrant par exemple vision et audition, mais aussi qu'au-delà de la reconnaissance individuelle, les animaux peuvent percevoir des éléments comme l'état attentionnel de l'autre, via la direction du regard. Ceci est également vrai dans la relation entre individus d'espèces différentes, comme par exemple dans le cas de la relation homme-animal: primates captifs et chiens sont capables de déceler si la personne les regarde ou regarde ailleurs.


L'équipe de Martine Hausberger au Laboratoire d'Ethologie Animale et Humaine (EthoS) s'intéresse tout particulièrement à la question de la relation sociale dans sa dimension cognitive. Ainsi, dans une étude neuroéthologique menée chez un oiseau, l'étourneau sansonnet, les chercheurs ont pu démontrer l'impact majeur de l'information visuelle sur la réponse des neurones auditifs dans l'aire cérébrale auditive primaire. Lorsque les oiseaux voyaient la photo d'un individu familier, les réponses auditives diminuaient, alors que si la photo était celle d'un individu inconnu, les réponses augmentaient . Ces travaux constituent clairement un exemple d'intégration multisensorielle, où la familiarité visuelle rend l'information auditive inutile, tandis que la non-familiarité induit une recherche active d'information additionnelle.

De façon similaire, les scientifiques ont montré, au cours d'une expérience sur les chevaux, que la diffusion de hennissements d'individus familiers induisait peu d'attention visuelle. En revanche, celle d'individus inconnus induisait des réactions particulièrement marquées d'orientation de la tête et du regard vers la source sonore . Là encore, l'information unimodale familière suffisait, tandis qu'une recherche d'information bimodale était claire lorsque l'individu émetteur n'était pas connu. Cette étude confirme l'existence d'une mémoire multisensorielle des individus familiers, qui doit se créer lorsque l'interlocuteur n'est pas connu.

Afin d'aller plus loin, l'équipe s'est ensuite questionnée sur le niveau de compétences cognitives réellement mises en jeu: au-delà même du côté multisensoriel, l'individu a-t-il aussi une représentation des comportements de l'autre (donc des attentes sur sa réaction dans des conditions familières), voire une représentation de ce que l'autre attend de lui ? La relation homme-animal fournit un contexte expérimental intéressant puisque le comportement de l'un des protagonistes (l'humain) au moins peut être contrôlé.

Dans une nouvelle étude, de jeunes chevaux ont été entraînés par une expérimentatrice (la même pour tout l'entraînement) à obéir à l'ordre vocal "reste" en restant immobile pendant une minute. L'expérimentation a consisté à croiser deux types d'informations: l'identité (expérimentatrice familière/personne inconnue) et l'état attentionnel (visuel). Lors des tests, réalisés ultérieurement, les chevaux ont reçu en succession aléatoire l'ordre vocal de l'une des deux personnes, elle-même dans quatre états attentionnels différents: le dos tourné (regard à l'opposé) ou face au cheval (regard vers lui, yeux clos ou regard "distrait" vers le cheval mais un peu au-dessus de sa tête). Les résultats indiquent que les chevaux intègrent bien les deux niveaux d'information. Ils obéissent bien dans tous les cas à l'expérimentatrice familière mais obéissent différemment à la personne inconnue selon son état attentionnel: bien si son attention est dirigée vers eux, moins bien si les yeux sont clos et peu si la personne a le dos tourné ou regarde ailleurs. De façon surprenante, les chevaux montrent beaucoup plus de "monitoring" (tournent la tête vers la personne pour la regarder) dans le cas de la personne inconnue, suggérant qu'ils aient eu besoin de vérifier si l'ordre donné leur était effectivement destiné. L'attention dirigée vers eux semble avoir été efficace pour leur indiquer qu'ils étaient effectivement "visés". Au contraire, la mémoire établie de la personne familière semble bien être multisensorielle (la voix suffit) et inclure les attentes envers leur propre comportement.

Cette étude montre bien que la connaissance des autres chez l'animal s'appuie sur une représentation globale, intégrée et multisensorielle d'individus spécifiques, qui inclue également une représentation des attentes sur le comportement de ces individus (ce qu'ils vont faire dans une situation connue) et une appréhension des attentes qu'ont ces individus sur son propre comportement. Ce niveau de cognition sociale tout à fait élaboré ouvre de larges perspectives, non seulement sur nos propres représentations de la façon dont l'animal se représente son monde social, mais aussi sur les processus reliant familiarité, attention sociale et processus cognitifs, tant chez l'animal que chez l'homme...