Le secteur du lac aux Castors est une zone de détente, de loisir et... de recherche en géographie physique.
Il y a 13 000 ans, le mont Royal était, comme ses soeurs montérégiennes, une ile au milieu de la mer de Champlain. Cette mer s'engouffrait dans une petite dépression du côté sud-ouest, là où se trouve à présent le lac aux Castors.
La mer de Champlain a laissé des traces qui livrent peu à peu leurs secrets grâce aux travaux de Pierre Richard, professeur au Département de géographie de l'Université de Montréal. Le chercheur a procédé à une analyse de carottes de sédiments dont la strate la plus ancienne remonte à près de 13 000 ans. "Cette strate est constituée de dépôts de sable mêlé à de l'argile, un signe que l'eau de la mer qui emplissait la dépression était agitée, puisque l'argile ne s'est pas déposée au fond, explique le professeur. La mer y a aussi laissé des plages dont on peut encore voir la présence aujourd'hui."
L'étude des strates montre que le niveau d'eau sur ce site a varié à de nombreuses reprises depuis la déglaciation. Avec le retrait de la mer de Champlain, la fosse est devenue un étang d'eau douce qui s'est progressivement comblé et qui a été inondé de nouveau il y a environ 10 000 ans. D'autres fluctuations ont marqué l'époque plus récente et l'endroit a été colonisé par des castors avant de devenir le pré marécageux connu au début du 20e siècle. C'est en 1937 que le bassin actuel a été creusé à même ce marécage.
La présence de castors est une cause possible des variations du niveau de l'eau, mais le professeur Richard pense plutôt qu'elles résultent de fluctuations dans les précipitations liées à des changements climatiques. "Si elle était confirmée, cette hypothèse serait très utile pour nos modèles prédictifs de changements climatiques, car on pourrait ainsi déterminer l'ampleur de la diminution des précipitations ayant entrainé la baisse du niveau de l'eau en fonction des températures", indique le chercheur.
Une forêt en danger
Avec le retrait de la mer de Champlain, la végétation s'est installée jusqu'à donner la forêt de chênes et d'érables à sucre qu'a connue Jacques Cartier. Cette forêt d'origine a presque complètement été rasée et il n'en subsiste qu'une petite portion derrière le pavillon de la Faculté de musique. Une érablière à caryer a par la suite colonisé le mont Royal et est à son tour menacée par l'érable de Norvège.
Cet érable importé a été utilisé dans les années 60 et 70 pour reboiser certaines sections de la montagne. Selon un relevé réalisé par Jacques Brisson, professeur à l'Institut de recherche en biologie végétale de l'UdeM, il y a maintenant trois fois plus d'érables de Norvège que d'érables à sucre parmi les jeunes pousses d'arbres.
L'érable de Norvège, qui envahit le mont Royal, se distingue par la disposition de ses samares.
"L'érable de Norvège est plus prolifique que l'érable à sucre et tolère mieux l'ombre, explique le botaniste. Il a peut-être aussi d'autres avantages compétitifs que nous ne connaissons pas du côté des herbivores et des agents pathogènes." À son avis, la présence envahissante de cet arbre menace le caractère patrimonial du mont Royal et même la survie de cet emblème national qu'est l'érable à sucre. Des interventions sont devenues nécessaires pour en freiner l'expansion.
Mais il se pourrait que la nature s'en charge elle-même. L'érable de Norvège est en effet la cible d'un champignon dont la propagation a atteint un pic désastreux en 2006. Le champignon microscopique s'attaque aux feuilles qui se couvrent de taches goudronneuses très visibles à l'automne.
Un nouveau relevé effectué par le professeur et une étudiante à la maitrise, Marie Lapointe, montre que 75 % des jeunes gaules d'érables de Norvège étaient mortes ou fortement endommagées en 2007 et que la croissance des érables adultes avait ralenti. Seulement 8 % des érables à sucre avaient connu un tel sort. Le seul facteur susceptible d'expliquer cette hécatombe est l'infestation.
Un visiteur rare sur le mont Royal: le papillon bleu porte-queue de l'Est. (Photo: Suzanne Labbé)
Insectes rares
Si le couvert forestier du mont Royal se modifie, il en ira de même des insectes qui peuplent ce boisé. Et l'on sait que le mont Royal abrite des insectes rares. En 2007, un bilan entomologique dressé sur le campus par le biologiste Samuel Pinna pour le compte de l'Université de Montréal a révélé la présence d'un papillon rare au Québec, le papillon bleu porte-queue de l'Est.
Des 28 espèces de papillons recensées, 15 étaient observées pour la première fois sur le mont Royal. L'entomologiste a même eu la chance de faire la première observation, au Québec, du coléoptère Trichotichnus autumnalis. Cet insecte est abondant aux États-Unis, mais sa présence sous nos latitudes pourrait être un indice du réchauffement climatique.
En tout, 45 espèces de coléoptères ont été recueillies lors de cette recherche, ce qui est un indice d'une biodiversité riche. Ce bilan est d'autant plus positif que l'échantillonnage s'est fait dans les herbacées qui ont poussé dans les zones perturbées de l'ancienne piste de ski et de l'ancien dépôt de neige.
Des moineaux et des faucons
Le passerin indigo, tirés du volume Drôles d'oiseaux (Les Éditions de l'Homme, 2007), l'un des six albums de photos de Jean Léveillé.
Papillons et coléoptères font sans doute le régal des oiseaux qui séjournent sur le mont Royal. "Des 350 espèces d'oiseaux répertoriées au Québec, environ 150 séjournent sur le mont Royal", affirme le Dr Jean Léveillé, professeur au Département de radiologie, radio-oncologie et médecine nucléaire, également photographe et ornithologue amateur.
Le médecin compte près de 80 conférences à son actif sur l'ornithologie, dont l'une prononcée aux Belles Soirées sur les oiseaux du mont Royal. "Le mont Royal est un relai pour les oiseaux migrateurs, qui s'y arrêtent pour refaire leurs forces au printemps et à l'automne parce qu'ils y trouvent de quoi se nourrir, mentionne-t-il. C'est pourquoi on peut observer plusieurs espèces qui normalement ne sont pas aperçues à Montréal."
Parmi les oiseaux de passage, le professeur a notamment en tête le bruant à couronne blanche, qui monte jusque dans le Grand-Nord, et le bruant à gorge blanche, facilement reconnaissable à son chant "Frédéric". Parmi les oiseaux présents tout au long de l'été, on remarque le cardinal, le pic mineur, le pic chevelu, le geai bleu, la mésange à poitrine blanche et le jaseur d'Amérique (jaseur des cèdres).
Jean Léveillé a même vu des grands hérons s'amusant à attraper et lancer les carpes du lac aux Castors lorsque le niveau de l'eau est abaissé à l'automne. L'épervier brun, le grand pic et le petit duc figurent aussi au nombre de ses observations.
Le meilleur endroit pour étudier les oiseaux demeure, à son avis, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges en raison de ses nombreux arbres fruitiers. Mais c'est sans compter le pavillon Roger-Gaudry, où l'on peut voir un couple de faucons pèlerins qui y niche depuis trois ans déjà et qui fait l'objet d'un suivi attentif par Ève Bélisle, associée de recherche à l'École Polytechnique. On peut même suivre l'évolution de la nichée en direct sur le Web.