Chaetognatha - Définition

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Chaetognathes
Classification classique
Règne Animalia
Embranchement Chaetognatha
Taxons de rang inférieur
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Classification phylogénétique
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Les chaetognathes (Chaetognatha), aussi appelés vers sagittés ou vers sagittaires en raison de leur forme en pointe de flèches sont des animaux protostomiens, groupe frère des chordés et des échinodermes. Les chaetognathes sont un groupe animal très ancien (des fossiles datant du cambrien ont été découvert dernièrement) qui constitue la plus grande part du zooplancton. La classification traditionnelle des chaetognathes parmi les deutérostomiens n'est pas retrouvée par les analyses phylogénétiques basées sur l'ARNr 18S ni par les études morphologiques.

Les chaetognathes ont été décrits pour la première fois durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle (Sabbler, 1769-1778). Actuellement, le phylum est composé d’une trentaine de genres et d’environ 120 espèces dont la taille varie de 0.5 à 8 cm environ. On peut les trouver dans tous les océans. Surtout abondants dans les eaux néritiques, ils occupent également des régions méso et bathy planctonique.

Le fossile de la faune de Burgess Amiskwia a été généralement considéré comme un chaetognathe, mais ceci fut rejeté par Bieri (1991). Jusqu’à récemment, Paucijaculum (Schram 1973, carbonifère) était donc le fossile de chaetognathe le plus ancien. En 2002, Chen et Wuang ont reporté la découverte de Eognathacantha ercainella, un chaetognathe fossile datant du bas cambrien (520 Ma). Une origine du phylum contemporaine de l’explosion du cambrien est également soutenue par une étude comparative de la structure des crochets des chaetognathes avec celle des protoconodontes, microfossiles du cambrien (Szaniawski, 2002). Très récemment, le même auteur a mis en évidence de splendides fossiles de chaetognathes dans des couches de la faune de Burgess (bas cambrien).

Morphologie

Les chaetognathes sont des métazoaires triploblastiques marins, non métamériques.[1] Ce sont des animaux planctoniques, hermaphrodites et pélagiques pour la plupart. Bien que le chaetognathe soit fondamentalement dimérique,[2] le corps adulte comprend trois régions, séparées par deux septums : le septum céphalique sépare la tête et le tronc, le septum caudal sépare le tronc et la queue. Les chaetognathes sont dépourvus d’appareils respiratoire et circulatoire. Cependant, un système dit hémal, localisé dans les matrices extracellulaires, est constitué d’un sinus peri-intestinal, d’un sinus dorsal, et de deux sinus latéraux.[3] Aucune néphridie n'a été observée. Leur épiderme est monostratifié autour de la tête et pluristratifié sur le reste du corps. Les chaetognathes possèdent une ou deux paires de nageoires latérales et une large nageoire caudale, chacune étant soutenue par des rayons de composition inconnue.

Au niveau de la tête, la fente buccale est entourée de crochets et de dents, utilisés pour la capture de proies, principalement des [[Pancrustacea|crustacés] planctoniques tels que les copépodes, ou même d’autres chaetognathes. Les régions antérieures et latéro-ventrales de la tête sont recouvertes d’un ectoderme monostratifié cuticularisé. Cette cuticule constitue une structure continue avec les dents et les crochets, qui contiennent un fort taux d’alpha-chitine cristalline.[4] Deux organes ectodermaux caractéristiques du phylum et de fonction inconnue sont localisés dans la région dorsale de la tête et du cou :

  • l’organe rétrocérébral, constitué de deux régions glandulaires avec de fins canaux s’ouvrant sur un pore antérieur commun ;
  • la couronne ciliée, représentée par deux bandes concentriques de cellules à collerette monociliées.

La bouche s’ouvre sur un pharynx, puis un intestin (présentant chez certaines espèces des diverticules antérieurs) suivi d’un court rectum vertical débouchant dans un anus ventral situé en avant du septum caudal. Dans sa moitié antérieure, l’intestin renferme en majorité des cellules glandulaires, alors que la partie postérieure est composée de cellules absorbantes.[5] L’intestin est suspendu dans la cavité générale par l’intermédiaire d’un mésentère dorsal.

La musculature, très développée, est formée de quatre quadrants de muscles longitudinaux primaires associés à quatre bandes étroites de muscles secondaires, deux en position dorsale et deux en position latérale. Les muscles primaires sont striés et comprennent en général deux types de fibres musculaires (A et B). De la même manière, les muscles secondaires sont striés, mais leur ultrastructure est unique, avec deux types de sarcomères.[6] Chez les espèces benthoplanctoniques ou benthiques, telle que Spadella cephaloptera, les muscles primaires contiennent une majorité de fibres musculaires de type A et l’on trouve des muscles obliques ou transversaux (phragmes).

Le système nerveux est constitué principalement du ganglion cérébroïde dorsal et d’un ganglion ventral situé dans le tronc. Le ganglion cérébroïde, bilobé, est placé au dessus de la bouche et innerve essentiellement les organes sensoriels de la tête (yeux, couronne ciliée). Un anneau periœsophagial (ou circumentérique) part du ganglion dorsal et porte une paire de petits ganglions vestibulaires qui innervent le pharynx et les muscles de la tête. À mi-longueur du tronc, ou dans le premier tiers, se trouve le ganglion ventral. Il est relié au système nerveux céphalique par une paire de connectifs (les connectifs circumentériques). Il possède une douzaine de paires de nerfs latéraux, et une paire de nerfs postérieurs, qui s’étend au-delà de l’anus et s’achève au contact d’un plexus subépidermique. Les yeux, possédant chacun plusieurs cellules sensorielles ciliées et une cellule pigmentée, constituent une structure très particulière au sein des métazoaires. Plusieurs régions de l’épiderme présentent ponctuellement des groupes de cellules ciliées sensibles aux vibrations, participant vraisemblablement à la détection des proies. Les cavités générales du tronc et de la queue sont entièrement tapissées de mésoderme épithélial, et peuvent donc être considérées comme des cœlomes.[7]

Développement

Chez les chaetognathes, la reproduction se fait par fécondation croisée, bien qu'ils soient hermaphrodites. Le développement est direct, sans mue ni étape larvaire. L’œuf, transparent, subit une segmentation radiaire totale et égale. Cependant, Shimotori et Goto (1999 et 2001) ont marqué des blastomères des stades deux et quatre cellules de l’embryon et ont montré, entre autres, que la disposition tétraédrale des blastomères au stade quatre cellules correspond à la mise en place des futurs axes corporels, des caractéristiques également présentes chez les spiraliens.

Une blastula avec un blastocœle étroit se développe. Au stade 64 cellules, le déterminant des lignées germinal, un corps rond et petit formé après la fécondation près du pole végétal, se divise pour la première fois et est distribué dans deux blastomères, les futures cellules germinales primordiales (CGP).[8] Au stade suivant, une invagination typique forme la gastrula. Deux invaginations antéro-latérales de l’endoderme forment ensuite deux plis qui migrent vers le blastopore directement à l’intérieur de l’archentéron. Ces plis poussent à leur pointe les CGP qui se divisent à nouveau. Il s’agit là d’une forme particulière d’entérocœlie dans laquelle le mésoderme se forme par des plis qui migrent à l’intérieur de l’archentéron, plutôt que par la formation de poches qui envahissent le blastocœle.

Dans la région antérieure de l’embryon se forment donc l’intestin, les sacs mésodermaux bilatéraux (futur cœlome) et une invagination stomodeale ventrale, alors que le blastopore, situé à l’opposé, se ferme. La différenciation des régions ectodermales occupées par le système nerveux adulte est très précoce, le ganglion ventral apparaissant sous la forme de deux masses cellulaires bilatérales. Les cœlomes primaires de la tête et du tronc s’individualisent puis l’embryon s’allonge et se courbe progressivement à l’intérieur de l’œuf. Toutes les cavités se réduisent ensuite considérablement. Au cours cet allongement A/P, l’ensemble du système nerveux poursuit sa différenciation et on peut alors observer au niveau du ganglion ventral la mise en place de la neuropile (axones) et le futur ganglion cérébroïde dans la tête. Enfin, précédant l’éclosion, la différenciation des muscles longitudinaux débute dans le mésoderme du tronc.

Après l’éclosion, le mésoderme du nouveau-né apparaît comme une masse cellulaire indifférenciée dans laquelle il est impossible de repérer les futurs territoires tissulaires de l’adulte. La formation des épithéliums lignant la cavité générale du tronc se déroule durant les deux premiers jours de développement du nouveau-né. L’apparition progressive de ces tissus conduit à la ségrégation finale des lignées germinales (formation du septum caudal à partir de cellules péritonéales spécialisées séparant les ovaires situées antérieurement des testicules situées postérieurement) et à la mise en place du plan d’organisation adulte : division du corps en trois régions, réouverture des cavités générales, ouverture du tube digestif et différenciation des structures céphaliques. De manière surprenante, après éclosion, ce sont les régions postérieures qui se différencient les premières, et la tête est la partie du corps la plus tardivement formée. À notre connaissance, le chaetognathe est le seul animal présentant cette particularité.

Evodevo

Les gènes hox codent des facteurs de transcription à homéodomaine. Ils sont impliqués dans la régionalisation de l’axe antéropostérieur des animaux et ont été découverts chez la drosophile mais ont ensuite été caractérisés chez tous les bilatériens, ainsi que chez les cnidaires.[9]

Chez Spadella cephaloptera, plusieurs gènes hox ont été identifiés : un membre du groupe de paralogie hox3 (sceHox3), quatre gènes médians (sceMed1-4) et un gène mosaïque qui partage des caractéristiques à la fois avec les classes de gènes médians et postérieurs (sceMedPost). Aucun des gènes hox spécifiques de lophotrochozoaires, d’ecdysozoaires ou de deutérostomiens n’a pu être clairement identifié. Plusieurs hypothèses ont été envisagées pour expliquer la présence de SceMedPost, mais la position phylogénétique issue des analyses de l’ADN mitochondrial et des protéines ribosomales suggèrerait plutôt qu’il s’agit d’un gène dérivé spécifique du phylum.

L’expression d’un de ces gènes, sceMed4, a été étudiée à diverses étapes du développement de S. cephaloptera, où il est exprimé dans deux massifs cellulaires latéraux au niveau du tronc. Cette région d’expression est localisée dans les corps cellulaires neuronaux du ganglion ventral en formation. Aucune expression n’est détectée dans le reste du système nerveux (ganglion cérébroïdes et neuropile ventrale). Ces résultats préliminaires représentent les premières données d’expression d’un gène hox chez les chaetognathes, suggérant un rôle de SceMed4 dans la régionalisation du système nerveux central, une fonction qu’assurent les gènes hox chez un grand nombre de bilatériens.

Systématique du phylum

Ritter-Záhony (1911), comme Hyman (1959), a identifié 6 genres dans le phylum des chaetognathes : Sagitta, Pterosagitta, Spadella, Eukrohnia, Heterokrohnia et Krohnitta. Cette classification a été suivie jusqu'à Tokioka (1965) qui a proposé une nouvelle systématique de cinq familles (Sagittidae, Krohnittidae, Pterosagittidae, Spadellidae, Eukrohniidae). Le caractère clef de cette systématique est la présence ou non de musculature transverse (les phragmes) chez les ordres Phragmophora (présence) et Aphragmophora (absence). Malgré quelques modifications ultérieures, une seule véritable proposition alternative à cette classification fut avancée, celle de Casanova (1985). Dans cette hypothèse, les monophragmophora (Spadellidae et Eukrohniidae, qui ne présentent une musculature transverse que dans le tronc) sont associés aux Aphragmophora (Sagittidae, Krohnittidae, Pterosagittidae) dans la sous-classe des Chorismogonata. La deuxième sous-classe du phylum, celle des Syngonata, est caractérisée par la présence d’une connexion entre les glandes génitales mâles et femelles, et comprend les Biphragmophora. Ces derniers, représentés par l’unique et nouvelle famille des Heterokrohniidae, possèdent des phragmes à la fois dans le tronc et la queue.

Dallot et Ibanez (1972), sur la base d’analyses multivariables des caractères morphologiques et morphométriques, ont proposé l'existence de trois groupes: Sagitta, Eukrohnia et Spadella/Bathyspadella.

La première étude moléculaire de la systématique des chaetognathes a été entreprise avec le gène de la grande sous unité de l'ARN ribosomique 28S (Telford et Holland, 1997). Les auteurs ont conclu que (1) le gène 28S était dupliqué, (2) la séparation du clade en Aphragmophora et Phragmophora a été confirmée et (3) plusieurs genres de la famille de Sagittidae décrits par Tokioka (1965a) et Bieri (1991) ont été retrouvés. Cependant, cette étude était limitée en terme de représentation du phylum puisque les genres de la famille Sagittidae représentaient plus de 71% des séquences analysées et que seulement trois des six familles classiques ont été prises en considération : Sagittidae, Eukrohniidae et Spadellidae. Aucune espèce représentative des Heterokrohniidae, des Krohnittidae et des Pterosagittidae n'a été incluse dans ce travail.

Position phylogénétique du phylum

Une position phylogénétique controversée

En raison d’un partage de caractères traditionnellement attribués aux deutérostomiens et aux protostomiens (tableau) la position phylogénétique des chaetognathes a été très largement débattue (Ghirardelli 1968, 1994). Malgré une morphologie rappelant celle des protostomiens, la position phylogénétique traditionnelle des chaetognathes a longtemps été celle avancée par Hyman (1959) qui les considérait comme des parents éloignés des deutérostomiens en raison de leurs caractères embryologiques (voir aussi Willmer, 1990). Cependant, considérant équitablement les caractères embryologiques et morphologiques, Beklemishev (1969) conclut que les chaetognathes demeuraient parmi les phylums les plus isolés du monde animal et les a placés, avec les brachiopodes, hors des deutérostomiens et des protostomiens. Ghirardelli, en 1968, fit une revue exhaustive de toutes les hypothèses phylogénétiques proposées depuis la découverte du phylum. Il a ainsi recensé, notamment, cinq rapprochements avec les nématodes, deux avec les annélides, et un avec les nématomorphes, les arachnides, les hémichordés et les chordés, en finissant par conclure aussi à un isolement totale du phylum (de la même manière que, par exemple, de Beauchamp, 1960). Une position retrouvée dans le système du vivant proposé par Cavalier-Smith (1998), où le chaetognathe est l’unique membre des Chaetognathi, une des quatre divisions majeures des protostomiens (avec les Lophozoa, Platyzoa et Ecdysozoa). Tandis que plusieurs auteur-e-s ont fait référence à une similitude entre les chaetognathes et les chordés (Eakin and Westfall, 1964 ; Kapp et Pierrots-Bults, 1991), Casanova (1985) a, lui, proposé un lien avec les mollusques sur la base de la présence d'une glande hermaphrodite observée dans les espèces benthoplanctoniques profondes de chaetognathes. Meglitsch et Schram (1991), suivis par Eernisse et al. (1992) ont introduit, à la suite de leur étude cladistique de matrices de caractères morphologiques, les chaetognathes dans les aschelminthes. Nielsen (2001) a considéré les chaetognathes comme le groupe de frère des gnathostomulides et des rotifères, au sein des Gnathifera, sur la base des crochets chitineux entourant la bouche et de l'innervation des muscles du ganglion vestibulaire. L’hermaphrodisme obligatoire avec la présence des gonades femelles en position antérieure par rapport aux gonades mâles a aussi été un caractère proposé pour rapprocher les chaetognathes et les gnathostomulides (Zrzavy, 1993).

C'est en 1993 que, pour la première fois, l'outil moléculaire a été utilisé pour préciser la position phylogénétique des chaetognathes. À partir de l'analyse du 18S de l'espèce Sagitta elegans, Telford et Holland ont obtenu trois résultats principaux : (1) les chaetognathes n'appartiennent pas aux deutérostomiens, (2) ils seraient un groupe frère des plathelminthes et (3) ils auraient divergé précocement dans l'évolution des métazoaires (avant l'émergence des coelomates). Ainsi, les ressemblances embryologiques qui servaient à rapprocher les chaetognathes et les deutérostomiens ne seraient donc pas des synapomorphies mais des convergences ou des symplésiomorphies. Ces résultats ont été soutenus par l’étude de Wada et Satoh (1994). En 1996, Halanych analyse le 18S de trois espèces de chaetognathes (Sagitta elegans, Sagitta crassa et Paraspadella gotoi). En utilisant des séquences de mollusques, de deutérostomiens et de nématodes, les résultats montrent que les chaetognathes seraient proches des nématodes (une position déjà proposée, notamment sur la base d’un arrangement similaire des bandes musculaires. Voir les travaux cités dans Ghirardelli, 1968). Halanych décrit une possible origine du clade chaetognathes/nématodes à partir d’un organisme vermiforme marin benthique. Les deux lignées se seraient ensuite adaptées au mode de vie pélagique par un accroissement du rapport surface/volume et une modification des structures de prédation (notamment un développement et/ou un durcissement des parties buccales). Littlewood et al. (1998) ont conforté ce résultat en associant les gnathostomulides et les nématomorphes au clade nématodes/chaetognathes. Enfin, l’utilisation d’un marqueur tissulaire spécifique a montré que les chaetognathes sont exclus des ecdysozoaires (Haase et al. 2001). Les espèces de chaetognathes utilisées dans les études précédentes sont malheureusement des espèces dont le 18S évolue très rapidement (Aguinaldo et al., 1997 ; Ruiz-Trillo et al., 1999 ; Mallatt et Winchell, 2002). Ceci pourrait expliquer l'émergence basale de ce groupe par attraction avec les longues branches avec les groupes externes utilisés. Il est également possible que les plathelminthes, les nématodes, les gnathostomulides et les chaetognathes soient regroupés deux à deux du fait de leur grande dérive génétique et de leur isolement respectif. D’autres marqueurs ont été utilisés, tels les filaments intermédiaires qui placent les chaetognathes dans les lophotrochozoaires, mais de manière très hypothétique, la séquence de chaetognathe étant une nouvelle fois l’une des plus dérivées (Erber et al., 1998). La conclusion la plus franche et honnête est venue de Mallatt et Winchell (2002), qui, après leur analyse du 18S et du 28S ont simplement conclu que la position phylogénétique des chaetognathes ne pouvait être résolue avec ces marqueurs. Enfin, les tentatives d’inclusion des chaetognathes dans les analyses globales et combinées (18S+morphologie) de la phylogénie animale n’ont pas été plus convaincantes :

  • Zrzavy et al. (1998) : l’analyse morphologique place les chaetognathes entre les deutérostomes (lophophorates inclus) et les protostomes, et l’analyse combinée, comme groupe frère des panarthropodes (sans doute à cause de l’attraction des longues branches). Les auteur-e-s concluent à une position dans les ecdysozoaires, se fondant sur des résultats précédents ;
  • Giribet et al. (2000), en utilisant la même matrice de caractères morphologiques que Zrzavy et al. (1998) avec des séquences de 18S supplémentaires, concluent à une position intermédiaire entre les deutérostomiens et les protostomiens, mais sans grande conviction ;
  • Peterson et Eernisse (2001). Dans leur analyse morphologique, les chaetognathes sont à la base des ecdysozoaires, et vont se positionner à l’intérieur de ce clade dans les analyses moléculaires et combinées. La même situation est observée pour les lophophorates avec les lophotrochozoaires. Les auteurs proposent donc que ces deux groupes, chaetognathes et lophophorates, soient respectivement basaux par rapport aux ecdysozoaires et lophotrochozoaires, puisqu’ils ne possèdent pas les caractères dérivés spécifiques des deux groupes de protostomiens mais présentent des caractéristiques deutérostomiennes ancestrales ;
  • Zrzavy (2003). Cette fois l’analyse morphologique place les chaetognathes à la base du groupe phoronozoaires/deutérostomiens, et l’analyse moléculaire, basaux entre les acoels et le reste des bilatériens. L’auteur classe les chaetognathes comme l’un des taxa les plus problématiques dans son analyse, mais conclue, étrangement et de manière spéculative, en les plaçant prés des gnathifères au sein des lophotrochozoaires.

Pour conclure sur cet aperçu de la controverse autour de la position phylogénétique des chaetognathes, force est de constater que la situation n’a pas beaucoup évolué depuis Darwin (1844), qui considéraient les chaetognathes comme " remarquables pour l’obscurité […] de leurs affinités ". Dans les ouvrages de Lecointre et Le Guyader (2001) et de Nielsen (2001), comme dans d’autres travaux, les chaetognathes appartiennent aux protostomiens, mais toujours avec une pointe d’incertitude, due notamment à l’absence de données moléculaires fiables. Nous espérons que ce chapitre apportera du poids à cette hypothèse.

Données récentes

Génome mitochondrial de Spadella cephaloptera (article de Papillon et al. 2004)

Le génome mitochondrial est un marqueur aujourd’hui largement utilisé pour l’étude de la phylogénie animale (Boore, 1999). Les analyses phylogénétiques des séquences primaires de divers génome mitochondriaux se superposent à la nouvelle phylogénie animale basée sur le 18S et les gènes hox (par exemple Helfenbein et Boore, 2004). D’autre part, l'étude qualitative et quantitative des arrangements des gènes mitochondriaux apparaissent aussi comme des outils phylogénétiques puissants (Boore et Brown, 1998).

Le génome mitochondrial de S. cephaloptera s’est révélé être très particulier, à la fois par sa taille et sa composition. Avec 11905 pb, il est le plus petit génome mitochondrial de métazoaires connu et contient seulement 13 des 37 gènes habituels. Le plus surprenant a été l’incapacité d’isoler le moindre ARN de transfert (ARNt) mitochondrial parmi les 22 habituellement présents dans les génomes mitochondriaux d’animaux. Parmi les treize gènes usuels codant des protéines, les gènes atp6 et atp8 sont absents. En dépit de cette organisation très peu commune, les diverses analyses des séquences de protéines mitochondriales montrent clairement des zones signature de protostomiens. Enfin, il n'y a aucune jonction de gènes en commun avec les deutérostomiens dans le génome mitochondrial de S. cephaloptera. Par conséquent, toutes les données mitochondriales (séquences, ordre et jonctions de gène) soutiennent l'inclusion des chaetognathes dans les protostomiens. Cependant, aucune de ces données ne permet de déterminer des affinités plus précises à l’intérieur du groupe protostomien. Ce positionnement indique que les caractères réunissant les chaetognathes et les deutérostomiens pourraient être des caractéristiques ancestrales des bilatériens, et, en tant que plésiomorphies, ne seraient donc utilisables pour l’établissement de parentés phylétiques.

Génome mitochondrial de Paraspadella gotoi

Exactement deux jours avant que l'article traitant du génome mitochondrial de S. cephaloptera ne soit accepté par Molecular Biology and Evolution, l’article de Helfenbein et al. (2004), sur le génome mitochondrial de Paraspadella gotoi, était publié dans PNAS. Soulignant l’importance de ces travaux pour le décryptage de la phylogénie animale, Telford (2004b) a publié une revue couvrant les deux articles dans la partie ‘News and Views’ du journal Nature. Il y a donc ainsi deux génomes complets de chaetognathes aujourd’hui disponibles. Les résultats des deux équipes sont équivalents : le génome mitochondrial de P. gotoi est très réduit (11424 pb), et son étude montre que les chaetognathes sont des protostomiens. Parmi les différences avec le génome de S. cephaloptera, on peut citer la présence d’un unique tRNA, celui de la méthionine (trnM), ou le fait que le génome comprend deux ensembles de gènes, chacun transcrit dans un sens différent. L’analyse phylogénétique des séquences du génome mitochondrial de P. gotoi montre que les chaetognathes sont le groupe frère des protostomiens, du moins, précisent les auteurs, des protostomiens échantillonnés dans l’étude. Les analyses phylogénétiques des deux génomes présentent plusieurs différences, susceptibles d'expliquer les légères différences de résultat:

  • Helfenbein et al. (2004) n’ont utilisé que 8 séquences de protéines mitochondriales (cob, cox1, 2, 3, nad1, 3, 4 et 5) alors que les 11 protéines du génome de S. cephaloptera (nad2, 4L et 6 en séquences supplémentaires) ont été utilisées.
  • L'échantillonnage taxonomique est sensiblement différent
  • L’analyse phylogénétique des séquences primaires de P. gotoi n’a été faite qu’avec la méthode de parcimonie.

Phylogénomique

Chez Spadella cephaloptera 11526 ESTs ont été séquencés par le Génoscope (Evry, Paris). À partir de ces séquences, un jeu de données de 79 protéines ribosomales concaténées chez 18 taxa, représentant plus de 11500 positions, a été analysé. Une nouvelles fois, les chaetognathes se trouvent liés aux protostomiens, confirmant les résultats issus du marqueur mitochondrial, et en position basale (Fig.3) (Marlétaz et al. 2006). Un projet similaire, avec Flaccisagitta enflata, a aboutit à une conclusion similaire (affinité des chaetognathes avec les protostomiens) mais avec une position différente à l’intérieur des protostomiens : à la base des lophotrochozoaires (Matus et al. 2006).

Implications de la position phylogénétique des chaetognathes

La division phylogénétique des bilatériens en protostomiens et deutérostomiens est traditionnellement basée sur les caractères suivants : l'origine du cœlome, la destinée du blastopore ou la segmentation de l’œuf. Le partage de certains de ces caractères entre les chaetognathes et les deutérostomiens (entérocoelie, deutérostomie, trimérisme, clivage radiaire ; Table 1), ainsi que l’absence de certaines caractéristiques (1) moléculaires (gènes hox, marqueur tissulaire ; voir plus bas pour les gènes hox de chaetognathes, Haase et al. 2001) ou (2) morphologiques (principalement la mue, la présence de lophophores ou de larves trochophores ; Lecointre et Leguyader 2001) définissant les ecdysozoaires et les lophotrochozoaires, soutiennent la position des chaetognathes à la base des protostomiens, à l’image de notre analyse phylogénomique (Fig. 3). Ainsi, les caractères de type deutérostomien auraient été conservés entre les chaetognathes et les deutérostomiens et perdus dans la lignée menant au dernier ancêtre commun des ecdysozoaires et des lophotrochozoaires.

Pourtant, le mode de formation du cœlome, la destinée du blastopore, ou le mode de clivage de l’œuf sont des caractères sujets à controverse, et ce depuis plusieurs décennies (Lovtrup 1975, Bergström 1986, Nielsen 2001). Pour exemple, des cas de deutérostomie peuvent être observés chez des annélides ou des mollusques (Lovtrup 1975, Arendt et Nubler jung 1997), les brachiopodes ou les entéropneustes comprennent à la fois des organismes schizocœliens et entérocœliens ou le cœlome des tardigrades se forme par entérocœlie (Bergström 1986, Nielsen 2001, Jenner 2004).

Enfin, les chaetognathes ne sont, en réalité, pas des animaux trimériques, mais dimériques. L’observation des étapes précoces de l’embryologie montre que la différenciation du mésoderme conduit à la formation de seulement deux paires de sacs cœlomiques : le coelome primaire céphalique et le cœlome primaire du tronc (Doncaster 1902).

Ce bref rappel montre que les critères ontologiques qui définissent traditionnellement les lignées deutérostomiennes et protostomiennes peuvent être trompeurs. Et c’est la prise en compte de la diversité animale dans son ensemble qui nous permettra de ne pas surestimer la conservation de caractères en réalité très labile et de mieux appréhender l’évolution et ces mécanismes. À ce titre, les phylums mineurs encore peu étudiés, comme les chaetognathes, ont toute leur importance.

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