Géométrie euclidienne - Définition

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Euclide
Euclide

La géométrie euclidienne commence avec les Éléments d'Euclide, qui est à la fois une somme des connaissances géométriques de l'époque et une tentative de formalisation mathématique de ces connaissances. Les notions de droite, de plan, de longueur, d'aire y sont exposées de façon axiomatisée. La conception de la géométrie est alors intimement liée à la vision de l'espace physique ambiant au sens classique du terme.

Les conceptions géométriques subissent, à partir des travaux d'Euclide, des évolutions suivant trois axes principaux :

  1. Pour vérifier les critères de rigueur logique actuels, la définition axiomatique subit de profonds changements, l'objet mathématique reste néanmoins le même.
  2. Pour ne plus se limiter aux dimensions deux et trois et pour permettre l'élaboration d'une théorie plus puissante, un modèle algébrique de la géométrie est envisagé. L'espace euclidien est maintenant défini comme un espace vectoriel ou affine réel de dimension finie muni d'un produit scalaire.
  3. Enfin, la structure géométrique euclidienne n'est plus la seule envisageable ; il est maintenant établi qu'il existe d'autres géométries cohérentes.

Plus de 2 000 ans après sa naissance, l'espace géométrique euclidien est un outil toujours efficace aux vastes domaines d'applications. Par exemple, l'espace des physiciens reste encore principalement du domaine de la géométrie euclidienne, l'astronomie étant l'exception la plus notoire.

L’approche euclidienne de la science de l’espace

La géométrie euclidienne au sens des antiques traite du plan et de l'espace. Les objets considérés sont les points, les segments, les droites, les demi-droites, et leurs propriétés d'incidence (la règle), ainsi que les cercles (le compas). Les enjeux essentiels sont l'étude de figures et la mesure.

Les outils de la géométrie d'Euclide

La construction d'Euclide se fonde sur cinq postulats[1]:

  1. Un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques.
  2. Un segment de droite peut être prolongé indéfiniment en une ligne droite.
  3. Etant donné un segment de droite quelconque, un cercle peut être tracé en prenant ce segment comme rayon et l'une de ses extrémités comme centre.
  4. Tous les angles droits sont congruents
  5. Si deux lignes sont sécantes avec une troisième de telle façon que la somme des angles intérieurs d'un côté est strictement inférieure à deux angles droits, alors ces deux lignes sont forcément sécantes de ce côté.

Les raisonnements sur les figures géométriques portent sur leurs intersections, et leurs dimensions : sur l'incidence et la mesure. De ce point de vue, certaines transformations des figures sont utiles ; les plus pertinentes sont les similitudes c'est-à-dire les transformations qui conservent les rapports des distances. Les similitudes les plus simples sont les rotations, les symétries, les translations, qui conservent les distances, ainsi que les homothéties. À partir de ces quelques objets de base, toutes les similitudes peuvent être construites par composition, .

La construction d'Euclide permet le développement de la notion de mesure de longueur, d'aire, de volume, d'angle. Il existe de nombreuses aires de surfaces usuelles calculables par les techniques des Eléments. Une méthode, la méthode d'exhaustion qui préfigure l'intégration, permet d'aller plus loin. Archimède (287-212 av. J.C.), par exemple réalise la quadrature de la parabole. Une limite de la notion de mesure vient de ce que les nombres considérés sont seulement les nombres constructibles.

Les deux théorèmes fondamentaux sont le théorème de Pythagore et celui de Thalès. Un peu d'analyse permet d'aller plus loin avec la trigonométrie. C'est le premier exemple de construction d'un pont entre la géométrie euclidienne pure et une autre branche mathématique, pour enrichir la palette d'outils disponibles.

Un succès euclidien : la règle et le compas

Figure à la règle et au compas: Heptadécagone, un polygone régulier de 17 cotés
Figure à la règle et au compas: Heptadécagone, un polygone régulier de 17 cotés

Un objectif de la géométrie euclidienne est la construction de figures à la règle et au compas. L'étude du triangle relève de ce domaine, la richesse des résultats obtenus est illustrée par la liste des éléments remarquables d'un triangle. Une famille de figures emblématiques est celle de certains polygones réguliers (voir l'article Partage d'une tarte). Ils ne sont cependant pas tous constructibles. Les techniques de construction s'appliquent non seulement au plan, mais aussi à l'espace comme le montre l'étude sur les polyèdres.

Une spécificité de la géométrie euclidienne réside dans le fait qu'elle n'utilise initialement que peu ou pas du tout de théorèmes complexes et puissants d'algèbre ou d'analyse. C'est une mathématique autonome et indépendante, où les preuves proviennent essentiellement de raisonnements purement géométriques. Cependant, pour les cas complexes, comme la construction de la figure ci-contre, d'autres outils, par exemple les polynômes, se révèleront indispensables (cf Théorème de Gauss-Wantzel). Les trois grand problèmes de l'antiquité, à savoir la quadrature du cercle, la trisection de l'angle et la duplication du cube, à l'aide seulement de la règle et du compas, ne seront d'ailleurs montrés impossibles qu'avec l'apport d'autres branches des mathématiques.

La géométrie euclidienne aura de nombreuses applications. La Renaissance utilise largement les techniques des Éléments. L'architecture, la peinture à travers la perspective[2] regorgent d'exemples de cette nature. L'art des entrelacs[3] de Léonard de Vinci (1452-1519) est un autre cas d'utilisation. Ces mathématiques servent aussi à la mesure, à la fois pour les arpenteurs et dans un objectif scientifique. Le théorème de Thalès permet à Ératosthène (276–194 av. J.-C.) de mesurer la circonférence de la terre. Cette technique, dite de triangulation permet aussi aux marins de connaître leur position.

Application et nouveaux outils : espace euclidien et physique

Système solaire (échelle non réelle).
Système solaire (échelle non réelle).

A partir du XVIe siècle les mathématiques s'éloignent de plus en plus de la géométrie du triangle. La géométrie euclidienne garde son utilité car elle modèlise toujours avec pertinence le monde physique ambiant.

Cependant, l'approche purement antique devient trop restrictive. Elle n'offre pas un cadre suffisant pour le développement des mathématiques. Pour aller plus loin, comme par exemple pour l'étude des coniques[4] de Blaise Pascal (1623-1662) ou la naissance du calcul infinitésimal[5], l'introduction d'un repère est obligatoire. Avec le temps l'algèbre et l'analyse deviennent prédominantes : de nouveaux outils, éloignés des outils hérités d'Euclide, sont créés ; en ce qui concerne la modélisation de l'espace physique, ils sont néanmoins toujours utilisés dans le cadre d'une géométrie euclidienne peu formalisée, et ce avec un large succès. Toutes les théories datant d'avant le XXe siècle se contentent en fait de ce cadre. Encore maintenant, et dans un contexte très général, la géométrie usuelle de la physique reste euclidienne. Elle permet des résultats spectaculaires, comme la mécanique newtonienne.

Ce n'est qu'en 1915, qu'une autre géométrie, celle de la relativité générale, explique mieux un phénomène, celui de l'avance du périhélie de Mercure. La géométrie euclidienne reste maintenant valable à trois exceptions près:

  • les distances astronomiques, dans le cadre de la relativité générale
  • les vitesses proches de la lumière, avec la géométrie de la relativité restreinte,
  • les dimensions inférieures à la taille des particules, dans le cadre de certaines théories contemporaines comme les supercordes.

Il faut toutefois à nouveau noter que, si la modélisation de la géométrie de l'espace reste souvent la même que celle de l'Antiquité (aux exceptions déjà citées près), la formalisation change radicalement. D'autres mathématiques que celle du triangle sont utilisées.

Le modèle linéaire de la géométrie

La conception de l'espace par les mathématiciens n'est historiquement pas figée ; les évolutions se font pour plusieurs raisons : le besoin de mieux fonder la théorie géométrique, d'une part en comblant certains déficits de rigueur du texte d'Euclide, d'autre part en liant la théorie à d'autres branches des mathématiques ; mais aussi la nécessité de pouvoir utiliser l'important corpus de résultats géométriques dans d'autres espaces, physiques aussi bien que mathématiques, que l'espace physique ambiant ou le plan usuel.

Ces deux derniers objectifs sont en fait atteints grace à une branche particulière des mathématiques : l'algèbre linéaire.

Motivation : la mécanique du solide

Un solide possède 6 degrés de liberté
Un solide possède 6 degrés de liberté

La mécanique du solide apporte un point de vue nouveau sur la géométrie euclidienne. Si notre espace décrit la position du centre de gravité, le solide peut encore tourner autour de ce centre. Il dispose encore trois degrés de liberté supplémentaires. Il est alors nécessaire de considérer un espace de dimension six, pour rendre compte de la position exacte du solide.

Il en est de même pour la vitesse. Elle est décrite par le mouvement de son centre de gravité, représenté classiquement par un vecteur dans l'espace et par une rotation, que l'on peut représenter par un vecteur perpendiculaire au plan de rotation et dont la longueur est proportionnelle à la vitesse angulaire. Mathématiquement, le champ des vitesses est dit équiprojectif et se représente par un torseur. L'espace est encore de dimension six.

Cette démarche consistant à définir un espace abstrait, qui ne représente plus directement notre univers, mais un espace spécifique au problème étudié, est féconde. Elle permet d'utiliser les outils de la géométrie euclidienne dans des contextes variés. Cette géométrie est remarquablement adaptée pour la représentation d'un champ équiprojectif.

La mécanique statique est un autre exemple, un objet est considéré comme l'assemblage d'un ensemble de solides soumis à des contraintes qui les lient entre eux. La dimension est alors égale à six fois le nombre de solides composant l'objet. Cette démarche est surtout développée durant le XXe siècle. En effet, la dimension croit rapidement et une puissance de calcul accessible uniquement depuis l'arrivée des ordinateurs est nécessaire pour rendre l'approche opérationnelle.

Motivation : la statistique

Exemple de représentation euclidienne d'un dépouillement.
Exemple de représentation euclidienne d'un dépouillement.

Le dépouillement des sondages utilise aussi les propriétes de la géométrie euclidienne. Elle permet, grâce à la notion de distance, une modélisation pertinente, et, grâce aux outils de l'algèbre linéaire, une algorithmique puissante pour les calculs.

Si les critères, représentés par des questions d'un sondage peuvent être ramenés à des grandeurs mesurables, alors chaque sondé apparaît comme un point d'un espace dont la dimension est égale au nombre de critères. Cette géométrie est essentielle en statistique :

  • Elle réduit la dimension de l'espace à travers le choix d'axes (appelé ici composantes) particulièrement révélateurs et en nombre réduits. L'analyse du sondage devient réalisable dans un espace plus petit, dépolluée du bruit non significatif, et graphiquement représentable pour une compréhension intuitive du dépouillement.
  • Elle mesure les corrélations entre les différentes questions. La figure illustre ici deux critères, chacun représenté par un axe. Pour cet exemple, quand le critère de l'axe horizontal prend des valeurs positives, alors le critère de l'axe vectical prend des valeurs négatives. Les deux critères sont dits anticorrélés.

La démarche consistant à analyser des données à travers une géométrie euclidienne est utilisée dans de nombreuses sciences humaines. Elle permet l'analyse des comportements même lorsque ceux-ci ne suivent pas des lois rigides.

Modèle linéaire de la géométrie: les espaces euclidiens

La notion d'espace vectoriel fournit une première structure purement algébrique dans laquelle le langage géométrique peut s'exprimer. La notion de coordonnée introduite au ? siècle devient centrale, et le plan, par exemple, est modélisé par un espace vectoriel de dimension deux, qui s'identifie essentiellement à l'ensemble de tous les couples de coordonnées (x1,x2), où x1,x2 sont des nombres réels ; un point est alors simplement un tel couple, et une droite l'ensemble des couples de la forme x1x2), où (x1,x2) est un couple fixé, et λ varie parmi tous les nombres ; la généralisation se fait facilement à l'espace de dimension 3 en considérant des triplets de coordonnées (x1,x2,x3), mais aussi aux espaces de dimension n en considérant l'ensemble de tous les n-uplets de nombres (x_1,\dots,x_n). Les propriétés d'incidence ne sont toutefois pas celles attendues ; notamment, toutes les droites se rencontrent en un point origine : le n-uplet (0,\dots,0). En fait, les droites ont le comportement attendu seulement au voisinage de l'origine. Il faut ensuite pouvoir transférer cette situation locale à tous les autres points de l'espace. Cela se fait par translation, plus précisément en faisant agir l'espace vectoriel sur lui-même par translation. La situation locale est alors la même au voisinage de tous les points, on obtient ainsi la notion d'espace affine, qui permet de rendre compte pleinement des propriétés d'incidence : par exemple, dans un espace affine réel de dimension 2, les droites vérifient le cinquième postulat d'Euclide.

Cependant, avec simplement la notion d'espace affine, seules les propriétés d'incidence sont modélisées, une grande partie de la géométrie euclidienne classique n'est pas atteinte : il manque essentiellement une notion de mesure. Un outil linéaire permet de combler cette lacune ; c'est le produit scalaire. Un espace affine réel muni d'un produit scalaire est appelé espace euclidien, toutes les notions géométriques classiques sont définies dans un tel espace, et leurs propriétés issues de l'algèbre vérifient tous les axiomes euclidiens : les théorèmes géométriques issus du corpus classiques, portant sur n'importe quels objets vérifiant ces axiomes, deviennent donc en particulier des théorèmes pour les points, droites, cercles, tels que définis dans un espace euclidien.

Version géométrique du théorème de Pythagore, le théorème fondamental des espaces euclidiens.
Version géométrique du théorème de Pythagore, le théorème fondamental des espaces euclidiens.

Enfin, comme on l'a vu, les espaces affines euclidiens ne sont pas limités aux dimensions 2 ou 3 ; ils permettent donc de rendre compte des différents problèmes physiques et statistiques évoqués plus haut, et qui mettaient en jeu un plus grand nombre de variables, avec une utilisation d'un langage géométrique, et beaucoup de théorèmes d'incidence et de mesure se généralisent presque automatiquement, notamment le théorème de Pythagore. Il traite d'un triangle, il est maintenant modélisé par deux vecteurs x et y. Les propriétés du produit scalaire assurent l'égalité suivante:

(x-y|x-y)=(x|x)+(y|y)-2(x|y)\;

Il suffit de remarquer que (x|y) est nul si et seulement si les vecteurs sont orthogonaux pour affirmer le théorème de Phytagore et sa réciproque. Des démonstrations équivalentes dans la formalisation antique sont données dans l'article associé. Elles sont plus longues, particulièrement à cause de la réciproque, qui fait appel au théorème d'Al-Kashi.

Le passage à un degré d'abstraction supérieur offre un formalisme plus puissant, donnant accès à de nouveaux théorèmes et simplifiant les démonstrations ; l'intuition géométrique habituelle des dimensions 2 ou 3 est parfois défiée par ces dimensions supérieures, est parfois toujours efficace. Les gains sont suffisants pour que les analyses sophistiquées soient généralement exprimées à l'aide du produit scalaire.

Historique de l'approche linéaire

Arthur Cayley
Arthur Cayley

La notion d'espace vectoriel apparaît petit à petit. René Descartes (1596-1650) et Pierre de Fermat (1601-1665) utilisent le principe de coordonnées comme un outil pour résoudre avec une approche algèbrique des problèmes géométriques. La notion de repère orthonormal est utilisée en 1636[6]. Bernard Bolzano (1781-1848) développe une première conception géométrique[7] où les points, les droites et les plans sont définis uniquement par des opérations algèbriques, c’est-à-dire l'addition et la multiplication par un nombre. Cette approche permet de généraliser la géométrie à d'autres dimensions que celles des plans et des volumes. Arthur Cayley (1821-1895) est un acteur majeur dans la formalisation des espaces vectoriels[8].

Un contemporain William Rowan Hamilton (1805-1865) utilise un autre corps de nombres que celui des réels : les imaginaires[9]. Il montre que cette démarche est essentielle en géométrie pour la résolution de nombreux problèmes.

A la suite des travaux de Gaspard Monge (1746-1818), son élève Jean Poncelet (1788-1867) réforme la géométrie projective[10]. La géométrie projective, géométrie de la perspective, devient aussi modélisable par l'algèbre linéaire : un espace projectif se construit à partir d'un espace vectoriel à partir d'un processus d'identification des points suivant une règle de perspective. Les espaces projectifs sont ainsi généralisés aux dimensions quelconques. Il est aussi intéressant de noter que la géométrie projective est une géométrie non euclidienne, dans le sens où le cinquième postulat d'Euclide y tombe en défaut ; l'algèbre linéaire fournit donc non seulement un modèle pour la géométrie euclidienne, mais aussi, par des adaptations simples, pour une géométrie non euclidienne.

Les limites d'Euclide

L'approche linéaire n'est pas une remise en question des conceptions euclidiennes. Elle permet au contraire de généraliser celles-ci, d'étendre leur portée, et de les enrichir en retour. Seulement, un autre grand mouvement historique a au contraire remis en cause ces conceptions.

Le cinquième postulat

Le XIXe siècle voit l'apparition de nombreuses nouvelles géométries. L'origine de leurs naissances résulte d'interrogations sur le cinquième postultat, que Proclus exprime de la manière suivante: Dans un plan, par un point distinct d'une droite d, il existe une unique droite parallèle à d ; ce postulat, admis par Euclide, et que l'intuition soutient, ne devrait-il pas être un théorème ? Ou, au contraire, peut-on imaginer des géométries où il tomberait en défaut ?

Un enjeu durant le XIXe siècle pour les mathématiciens, sera de parvenir à se détacher d'une intuition physique casuellement inféconde, ainsi que d'un respect inopportun des leçons des anciens, pour oser inventer de nouvelles conceptions géométriques ; celles-ci ne s'imposeront pas sans difficulté.

Dès le début du siècle Carl Friedrich Gauss (1777-1855) s'interroge sur ce postulat[11]. En 1813 il écrit : Pour la théorie des parallèles, nous ne sommes pas plus avancés qu'Euclide, c'est une honte pour les mathématiques. En 1817 il semble que Gauss ait acquis la conviction[12] de l'existence de géométries non euclidiennes. En 1832, le mathématicien János Bolyai (1802-1860) rédige un mémoire sur le sujet[13]. L'existence d'une géométrie non euclidienne n'est pas formellement démontrée, mais une forte présomption est acquise. Le commentaire de Gauss est éloquent : Vous féliciter reviendrait à me féliciter moi-même[14]. Gauss n'a jamais publié ces résultats, probablement pour éviter une polémique. Indépendamment, Nicolaï Lobatchevsky (1792-1856) devance Bolyai sur la description d'une géométrie analogue dans le journal russe Le messager de Kazan en 1829. Deux autres publications[15] et [16] sur le sujet n'ont néanmoins pas plus d'impact sur les mathématiciens de l'époque.

Bernhard Riemann (1826-1866) établit l'existence d'une autre famille de géométries non euclidiennes pour son travail de thèse sous la direction de Gauss. L'impact reste faible, la thèse n'est publiée que deux ans après sa mort.

Les géométries de Lobatchevsky et Bolyai correspondent à des structure hyperboliques où il existe une infinité de parallèles passant par un même point. Cette situation est illustrée dans la figure ci-contre, les droites d1, d2 et d3 sont trois exemples de parallèles à D passant par le point M. Le cas riemannien correspond au cas elliptique où aucune parallèle n'existe.

L'unification de Klein

Université d'Erlangen
Université d'Erlangen
Felix Klein
Felix Klein

La situation est devenue confuse, les Eléments ne sont pas en mesure de rendre compte d'une telle diversité. On compte nombre d'espaces géométriques : les espaces vectoriels euclidiens, les espaces affines euclidiens, les espaces projectifs, les géométries elliptiques et hyperboliques, plus quelques cas exotiques comme le ruban de Möbius. Chaque géométrie possède des définitions différentes, plus ou moins équivalentes et aboutissant sur des séries de théorèmes plus ou moins différents selon les auteurs et les géométries. La fin de la suprématie euclidienne engendre un important désordre, qui rend la compréhension de la géométrie difficile. Un jeune professeur de 24 ans Felix Klein (1848-1925) nouvellement nommé professeur à l'université de Erlangen ordonne toutes ces géométries dans son discours inaugural[17]. Ces travaux ont cette fois un vaste retentissement sur la communauté scientifique, la suprématie euclidienne disparaît et la polémique née de la remise en cause du cinquième postulat s'éteint. Son travail implique une réforme de la formalisation des espaces euclidiens. Il utilise les travaux de James Joseph Sylvester (1814-1897) sur ce que l'on appelle maintenant les produits scalaires[18]. La géométrie euclidienne reste d'actualité au prix d'une refonte profonde de sa construction.

Dans son programme d'Erlangen, Felix Klein trouve le critère permettant de définir toutes les géométries. Les gains attendus sont au rendez-vous. Les géométries sont classifiéees, celles qui se présentent comme des cas particuliers apparaissent et les théorèmes génériques peuvent s'exprimer sur l'intégralité de leur domaine d'application ; en particulier, l'espace vérifiant l'axiomatique euclidienne est la limite qui sépare les familles de géométries hyperboliques de Bolyai et Lobatchevsky des géométries elliptiques de Riemann.

Klein définit une géométrie par l'ensemble de ses isométries c'est-à-dire les transformations laissant les distances invariantes. Cette approche caractérise parfaitement une géométrie. Cet ensemble bénéficie d'une structure nouvelle pour l'époque, celle d'un groupe particulier puisqu'il possède lui même une géométrie. Cette approche dans le cas euclidien est équivalente à celle du produit scalaire, et si elle est d'un maniement plus abstrait, elle est aussi plus générale car elle s'applique à toutes les géométries. La présentation des espaces euclidiens se limite donc à l'étude du produit scalaire, parfaitement suffisant pour décrire la géométrie dans ce cas particulier.

Euclide et la rigueur

Théorème de Pythagore
Théorème de Pythagore

La dernière réforme est celle de la logique. Le point de vue vectoriel de la géométrie a permis de trouver un modèle de la géométrie d'Euclide dans un autre domaine mathématique qu'on espère mieux fondé. Mais cela ne rend pas caduques certaines questions sur la construction logique intrinsèque d'Euclide. Les postulats proposés par Euclide ne suffisent en fait pas à décrire entièrement les résultats qu'il obtient ; il utilise de façon implicite des postulats non formulés. Cette lacune logique est principalement due à une carence de formalisation du texte d'Euclide : Les Elements ne satisfont pas les critères de rigueur actuels. Notons quelques lacunes.

Cas ou les nombres ne sont pas les réels
Cas ou les nombres ne sont pas les réels

Les transformations laissant invariantes les distances ne peuvent se déduire de la base axiomatique. Le cœur même du raisonnement géométrique antique n'est donc pas démontrable à partir des postulats. Le Théorème de Pythagore est un exemple illustré dans la figure de droite. La démonstration utilise le fait que les triangles IBC et AEC possèdent la même aire car l'un correspond à la rotation d'un quart de tour de l'autre. Cette assertion n'est en fait pas démontrable dans le cadre axiomatique choisi par Euclide.

La nature du corps de nombres sous-jacent n'est pas explicitable. Il n'est donc pas possible de connaître la nature des longueurs. L'article sur les nombres réels montre les conséquences facheuses de ce problème. Ainsi, comme illustré sur la figure de gauche, la rotation d'un angle de 45° de la diagonale d'un cercle de coté 1 ne possède pas, a priori son extrémité A' .

Enfin les limites recouvertes par la construction euclidienne ne sont pas explicités. Le cinquième postulat, dont le statut est entre celui d'axiome et de conjecture est un exemple. L'orientation de l'espace (voire article Déterminant) qui permet de parler de droite et de gauche est encore supposée exister. En revanche, aucun élément dans la base axiomatique ne permet une telle construction.

La réponse de Hilbert

Le mathématicien David Hilbert cherche alors à apporter une réponse par la définition d'une nouvelle axiomatique décrivant exactement l'espace euclidien. Elle doit remplir les trois critères suivants:

  • Etre minimale, aucun axiome ne doit pouvoir être retranché sans que soient alors possibles d'autres géométries que celle d'Euclide.
  • Etre complète, tous les éléments non démontrables à partir de la construction d'Euclide doivent maintenant pouvoir l'être. L'objectif est plus ambitieux, la base axiomatique doit être complète, c’est-à-dire qu'une démonstration doit pouvoir exister pour montrer la véracité ou non de toute proposition.
  • Etre intrinsèque, comme celle d'Euclide, la base axiomatique ne doit pas faire appel à d'autres notions mathématiques, comme par exemple les nombres réels.

Le fruit de son travail est l'article de 1899 qu'il appelle Fondements de la géométrie et contenant une liste de 21 axiomes. Si cette liste décrit bien la géométrie d'Euclide, deux des trois critères ne sont pas remplis. En 1902, le mathématicien Eliakim Hastings Moore (1862 1932) démontrera la redondance[19] du 21ème axiome de la liste de Hilbert. Elle est depuis minimale. La complétude n'est pas non plus atteinte. En fait, le mathématicien Kurt Gödel (1906-1978) démontrera[20] en 1931 que, dans un tel contexte, la complétude n'est jamais atteignable. Ainsi, il existe d'autres classes de problèmes pour lesquels la construction de Hilbert souffre des mêmes lacunes que la base axiomatique antique. L'hypothèse du continu est un exemple de nouveau champ mathématique où cette base axiomatique se révèle trop incomplète pour trancher. Et Gödel a démontré que l'ajout d'un nouvel axiome pour permettre une démonstration ne fera qu'ouvrir un nouveau champs contenant d'autres propositions indécidables.

Malgré ses limites, l'article de 1899 est d'une grande influence sur les mathématiques du XXe siècle. Au détail près du 21eme axiome qu'il est aisé de retirer, la construction de Hilbert correspond à ce que l'on peut faire de mieux en matière de base axiomatique. Ces fondements permettent une construction aussi rigoureuse que possible de la géométrie euclidienne. Cette approche est pionnière dans le monde de la logique. En revanche, la construction de Felix Klein est plus opérationnelle et plus aisément généralisable. En géométrie, la base axiomatique de Hilbert n'est donc que peu utilisée.

Généralisations

Le concept de géométrie est maintenant appliqué à un vaste ensemble d'espaces. Si la remise en question du cinquième postulat est l'exemple historique qui donne un contenu à la notion de géométrie non euclidienne, une analyse plus précise montre l'existence de quantité d'autres cas non envisagés par Euclide respectant néanmoins le cinquième postulat.

Dans le cas des espaces vectoriels, le corps de nombre peut être modifié, la distance est parfois choisie de manière à posséder un nouveau groupe d'isométries, le nombre de dimensions peut devenir infini.

Il existe en plus de nombreux cas où l'espace n'est pas vectoriel, Klein formalise des géométries non orientables, Georg Cantor (1845-1918) découvre un ensemble triadique dont la dimension n'est pas entière et qui maintenant est classé dans la catégorie des géométries fractales. La topologie ouvre la porte à la construction de nombreux autres cas.

C'est la raison pour laquelle le terme de géométrie non euclidienne tombe petit à petit en désuétude durant le XXe siècle. Il est maintenant entré dans l'usage de décrire une géométrie par les propriétés qu'elles possèdent et non pas par une, devenue très spécifique et qu'elle n'aurait pas, à savoir son caractère euclidien.

Les exemples suivants sont parmi les plus fréquemment utilisés.

Dimension infinie

Les espaces de fonctions à valeur réelles disposent d'une structure d'espace vectoriel. Il est fécond de les étudier avec des outils géométriques. Il est possible d'y associer une distance issue d'un produit scalaire si les fonctions sont de carré intégrable. Ce produit scalaire est défini de la manière suivante:

(f|g)=\int fg\;

Dans un tel espace, le théorème de Pythagore se généralise et a permis à Joseph Fourier (1768-1830) de résoudre l'équation de la chaleur.

Cette approche, consistant à utiliser les outils de la géométrie pour résoudre des problèmes d'analyse s'appelle maintenant l'analyse fonctionnelle. De multiples distances différentes sont alors définies sur ces espaces, générant alors des géométries différentes. Elles prennent, par exemple, pour nom espace de Hilbert, espace de Banach, espace préhilbertien ou espace vectoriel normé. L'espace de Hilbert est la généralisation la plus naturelle des géométries euclidiennes.

Remarque: L'espace donnée en exemple possède une propriété particulière. Une fonction nulle partout sauf en zéro ou elle vaut un est à une distance nulle de la fonction nulle. Deux points différents ont donc une distance nulle. Pour résoudre cette difficulté, il est possible de quotienter l'espace vectoriel par l'espace des fonctions de mesure nulle.

Espace Hermitien

Les nombres réels souffrent d'une faiblesse, le corps qu'ils forment n'est pas algébriquement clos. Cela signifie qu'il existe des polynômes non constants qui n'y ont pas de racine. Cette faiblesse complexifie l'analyse des applications linéaires d'un espace vectoriel dans lui-même. L'article sur les valeurs propres explicite cette difficulté. Une solution souvent utilisée consiste à généraliser le corps de nombre et à passer aux complexes. Cette méthode est utilisée en physique, par exemple pour l'étude des systèmes oscillants. La généralisation d'un espace euclidien aux nombres imaginaires s'appelle un espace hermitien.

Distance négative

Le cône de lumière en relativité restreinte
Le cône de lumière en relativité restreinte

La géométrie euclidienne suppose que la distance entre deux points est toujours positive. Il existe cependant des formes bilinéaires ne vérifiant pas cette hypothèse. La géométrie est alors différente, l'ensemble des points à une distance nulle de l'origine forme un cône. La physique utilise cette géométrie.

En relativité restreinte, la partie spatiale de l’espace-temps est euclidien, mais si on intègre le temps, il ne l'est plus. En effet, la forme quadratique x2 + y2 + z2c2t2 définissant le " carré de la distance " spatio-temporelle n'est pas positive.

La figure illustre ce phénomène. Le point A représente un observateur, le plan horizontal représente les dimensions spatiales (les trois dimensions sont ici représentées par un plan pour que la figure soit représentable en dimension trois), l'axe vertical représente la dimension temporelle. Pour que l'observateur puisse intéragir avec le point C, il faudrait un déplacement à une vitesse supérieure à la lumière. Dans le cadre de cette théorie, c'est impossible. En conséquence, le point C n'est pas dans la partie accessible de l'univers pour l'observateur. Le point B en revanche, se situe dans le cone de lumière, en conséquence, une interaction entre l'observateur et le point B est possible.

Variété

Sur une sphère, la somme des angles d'un triangle n'est pas égale à 180° : une sphère n'est pas un espace euclidien. Par contre, les lois de la géométrie euclidienne sont de bonnes approximations locales. Pour un petit triangle sur la surface de la Terre, la somme des angles est proche de 180°.
Sur une sphère, la somme des angles d'un triangle n'est pas égale à 180° : une sphère n'est pas un espace euclidien. Par contre, les lois de la géométrie euclidienne sont de bonnes approximations locales. Pour un petit triangle sur la surface de la Terre, la somme des angles est proche de 180°.

Toute les géométries ne satisfont pas le cinquième postulat d'Euclide. La surface de la terre est un parfait exemple, le plus court chemin entre deux points se situe toujours sur un grand cercle sur la surface de la sphère et dont le centre est celui de la terre, ce type d'objet correspond donc à la droite pour cette géométrie. Voilà une géométrie cohérente, correspondant à un cas réel. Cependant le cinquième postulat n'est plus vérifié. Dans cet exemple, deux droites non confondues possèdent toujours une intersection contenant deux points.

L'abandon du cinquième postulat est fondamental. Il est en effet souhaitable de considérer la sphère, non pas comme un sous-ensemble d'un espace euclidien de dimension 3 mais comme une géométrie à part entière, disposant d'une distance et d'un critère d'orthogonalité. Sans outil de cette nature, l'étude d'objet de cette nature devient plus délicate.

La solution mathématique est dérivée de l'exemple illustré dans la figure. Si l'étude se résume à une zone locale, comme par exemple Paris, alors il est possible d'utiliser une carte plane. C’est-à-dire une représentation euclidienne, qui, à condition de ne pas trop s'éloigner du point d'étude, sera d'une précision aussi grande que voulue. Un plan de Paris n'est pas totalement exact car sur une sphère la somme des angles d'un triangle est toujours supérieure à 180 degrés. En revanche, la dimension de Paris est suffisamment petite pour que l'erreur soit négligeable. La solution consistant à décrire un objet géométrique avec une carte associée à chaque point est celle retenue pour la description mathématique d'un tel objet.

Une géométrie de cette nature, qui ne correspond pas à un espace comme l'imaginait Euclide s'appelle une géométrie non euclidienne, on les appelle maintenant des Variétés. Le mathématicien Felix Klein a démontré que d'autres phénomèmes que la remise en question du cinquième postulat peut amener une géométrie non euclidienne.

L’astrophysique à grande échelle ne peut pas se contenter de la géométrie euclidienne. En théorie de la relativité générale, les modèles utilisés ne sont plus euclidiens, la gravitation se manifestant par la trajectoire incurvée suivie par une masse le long d'une géodésique non euclidienne. Il convient donc de susbstituer à la distance euclidienne une distance définie par une forme quadratique plus générale.

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