Décrypter certains fossiles grâce aux terres rares

Publié par Isabelle le 30/01/2014 à 17:00
Source: CNRS
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Il était jusqu'à présent très difficile de lire les fossiles "plats". Une nouvelle approche permettant d'analyser de tels fossiles vient d'être mise au point par une équipe réunissant des chercheurs de l'unité Ipanema (CNRS / ministère de la Culture et de la Communication), du Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements (CNRS / MNHN / UPMC) et du synchrotron SOLEIL. Cette méthode non destructrice s'appuie sur des éléments chimiques appelés terres rares: les localiser et les quantifier à l'état de traces suffit pour mieux décrypter la morphologie des fossiles. Les chercheurs ont ainsi pu décrire l'anatomie, mais aussi l'environnement à l'origine de la préservation de trois fossiles datant du Crétacé. Publiés le 29 janvier 2014 dans la revue Plos One, ces travaux devraient faciliter l'analyse des nombreux fossiles "plats", tout particulièrement ceux "à conservation exceptionnelle".

Lors du processus de fossilisation les restes d'animaux ou de plantes sont souvent aplatis, comprimés en deux dimensions par la pression des roches, ce qui constitue parfois un réel obstacle à l'étude de ces fossiles. Autre difficulté: ces fossiles écrasés subissent des modifications physicochimiques au cours de leur fossilisation, compliquant leur lecture. Or, ces fossiles peuvent receler des informations inestimables. En particulier, quand l'anatomie y est bien conservée (on parle alors de fossiles "à conservation exceptionnelle"), des tissus "mous", tels les muscles, sont alors fossilisés. Mais localiser ces tissus reste particulièrement difficile du fait du contraste limité atteint en microscopie optique et des limites de la tomographie (1), techniques aujourd'hui couramment utilisées pour étudier les fossiles.

Des chercheurs du CNRS, du MNHN et du synchrotron SOLEIL ont imaginé et mis au point une nouvelle approche non destructrice: elle repose sur la localisation de terres rares. Ces éléments chimiques (yttrium, lanthanides) sont connus pour être contenus à l'état de traces dans les fossiles, typiquement de 1 à 1000 microgrammes par gramme de matière. Or, selon le type de tissu, les quantités d'éléments traces incorporées lors de la fossilisation diffèrent. Cette fixation préférentielle permet de discriminer les parties anatomiques d'un fossile. Elle se matérialise par un contraste important des différents éléments chimiques selon les types de tissus du fossile lorsque celui-ci est caractérisé par imagerie de fluorescence X rapide sous rayonnement synchrotron (2). Pour accélérer l'analyse, l'équipe a proposé une méthode rapide de différenciation des tissus, fondée sur la nature probabiliste des données mesurées.

Les scientifiques ont appliqué cette approche à trois fossiles (deux poissons et une crevette) découverts au Maroc et datant du Crétacé supérieur, il y a environ 100 millions d'années. Les contrastes ainsi mis en évidence permettent de distinguer les "tissus durs" (os ou carapaces) des "tissus mous" (muscles ou autres organes fossilisés). Ils ont notamment permis de révéler des particularités anatomiques, jusqu'ici cachées, d'un poisson fossile connu par un unique spécimen, dont l'un des os du crâne a pris la forme d'une large lame dentée.

Cette nouvelle approche permet de visualiser en détail et avec précision l'anatomie d'un fossile sans le dénaturer et sans avoir besoin de préparer finement l'échantillon au préalable. Elle est particulièrement adaptée aux fossiles aplatis étant donné que les rayons X pénètrent quelques fractions de millimètres à l'intérieur du fossile. Cette technique a également révélé certains os cachés sous une fine couche de roche, permettant ainsi leur visualisation directe. Elle a permis par exemple de visualiser certains appendices cachés d'une crevette fossile, tels que les pattes ou les antennes, qui portent des informations importantes pour étudier ses relations de parenté avec les autres crevettes. Par ailleurs, les teneurs en terres rares reflètent l'environnement dans lequel un fossile est préservé: la connectivité aux réseaux d'eau environnants, les conditions physico-chimiques locales et les propriétés des phases minérales constituant les fossiles, qui peuvent ainsi être mieux décrites.

Ces travaux devraient donc faciliter l'interprétation des fossiles "plats" très fréquents dans le registre fossile. Ils ouvrent de nouvelles perspectives pour les études paléoenvironnementales mais également pour mieux comprendre les processus de fossilisation à long terme.

L'image en fausses couleurs des distributions du fer (bleu) et de deux terres rares (néodyme, rouge et yttrium, vert), obtenue par fluorescence des rayons X synchrotron, révèle des détails anatomiques cachés des fossiles comme le crâne et les vertèbres de ce poisson du Crétacé datant d'environ 100 millions d'années.
© CNRS/MNHN, Pierre Gueriau.

Ces recherches ont été effectuées dans le cadre de la plateforme Ipanema, inaugurée le 12 septembre 2013 par Geneviève Fioraso, ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur. Ipanema est une unité mixte du CNRS et du ministère de la Culture et de la Communication, qui a été mise en place en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle et avec l'aide notamment du synchrotron SOLEIL qui l'héberge et de la Commission européenne (projet FP7 CHARISMA).

Notes:

(1) La tomographie est une technique reposant sur la reconstruction de coupes virtuelles d'un objet en 3 dimensions à partir d'un grand nombre de vues radiographiques.
(2) La fluorescence X est une émission secondaire de rayons X par un atome bombardé par des rayons X. Le spectre d'émission est caractéristique des éléments chimiques constituant l'échantillon. Utilisée en mode d'imagerie elle permet de localiser ces éléments. Dans cette étude, l'intensité très importante de la lumière synchrotron permet d'avoir accès aux éléments présents à l'état de traces, inatteignables avec les sources de rayons X de laboratoire.
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