Des physiciens viennent d'observer expérimentalement les changements d'organisation d'un réseau de vortex magnétiques, provoqués par une modification du paysage d'énergie, induisant une frustration géométrique des interactions.
Dans un système de particules interagissant deux à deux, les contraintes géométriques peuvent rendre impossible la minimisation simultanée de toutes les interactions. On parle alors de système frustré. C'est par exemple le cas de la glace d'eau: alors que le motif d'énergie minimale pour quatre molécules d'eau est un
tétraèdre (Le tétraèdre (du grec tétra : quatre), est un solide composé de quatre triangles, de la...) régulier, il est impossible de remplir l'espace avec ce volume sans former des tétraèdres irréguliers dont l'énergie n'est pas minimale. Les systèmes permettant l'étude
expérimentale ( En art, il s'agit d'approches de création basées sur une remise en question des dogmes...) des conséquences de la frustration sont rares et surtout leur
géométrie (La géométrie est la partie des mathématiques qui étudie les figures de l'espace...) est habituellement prédéterminée.
Image "artistique" de la fonte de la glace artificielle à base de vortex. Illustration: CNRS
Des physiciens de l'Unité Mixte de Physique CNRS/Thales à Palaiseau, du Laboratoire de Photonique et de Nanostructures - LPN (CNRS) à Marcoussis et du Laboratoire de Physique et d'Etude des
Matériaux (Un matériau est une matière d'origine naturelle ou artificielle que l'homme façonne pour en...) - LPEM (CNRS/ESPCI ParisTech/UPMC) viennent de mettre au point un système à deux
dimensions (Dans le sens commun, la notion de dimension renvoie à la taille ; les dimensions d'une pièce...) dont il est possible de basculer le paysage d'énergie d'une configuration "frustrante" à une configuration "non frustrante". Il s'agit d'un oxyde
supraconducteur à haute température (Un supraconducteur à haute température (en anglais, high-temperature...) critique dont les propriétés sont modulées spatialement. On obtient ainsi un paysage d'énergie pour des vortex magnétiques dont la géométrie varie radicalement en fonction de la
température (La température est une grandeur physique mesurée à l'aide d'un thermomètre et...). En chauffant ou refroidissant ce dispositif, les chercheurs ont activé ou désactivé la frustration géométrique, et ainsi observé et analysé le gel ou la fonte d'une glace magnétique. Ce travail est publié dans la revue
Nature Nanotechnology.
Lorsque l'on place une couche peu épaisse de supraconducteur dans un champ magnétique, il se forme des tourbillons de courant, aussi dénommés vortex, au centre desquels passent les lignes de champ magnétique. Ces vortex de
diamètre (Dans un cercle ou une sphère, le diamètre est un segment de droite passant par le centre...) nanométrique, dont le flux magnétique est quantifié et égal au quantum élémentaire de flux, se comportent comme de petites particules se repoussant deux à deux. Ils s'organisent en formant un réseau élastique qui s'adapte au paysage d'énergie potentielle créé par les défauts du
matériau (Un matériau est une matière d'origine naturelle ou artificielle que l'homme façonne...). En combinant la nanolithographie électronique et l'
irradiation (En physique nucléaire, l'irradiation désigne l'action d'exposer (volontairement ou...) ionique, les chercheurs ont mis au point une technique permettant de moduler spatialement les propriétés électroniques d'un oxyde supraconducteur à haute température critique et de la sorte contrôler le paysage d'énergie vu par les vortex. Lorsque la température est basse, chaque site du réseau présente deux minima d'énergie entre lesquels le vortex doit choisir, tandis que pour une température plus élevée, ces deux puits fusionnent en un seul. En mesurant la magnétorésistance des échantillons, directement liée à la mobilité des vortex, les chercheurs ont pu caractériser la transition entre un état de glace, dans le premier potentiel, à un cristal, dans le second.
A basse température (a), les puits de potentiel (gris foncé) sont disposés d'une façon telle que les vortex (jaune) se voient forcés à adopter une configuration du type "glace" (la distance entre les vortex n'est pas constante). En revanche, à plus haute température (b), les puits de potentiel les plus proches coalescent, ce qui efface la frustration géométrique et permet aux vortex d'adopter une configuration périodique. Illustration: CNRS
Les résultats de cette étude, en particulier la possibilité de varier la géométrie via la température, ouvrent des nouvelles possibilités dans l'étude de la glace artificielle. Par exemple la possibilité d'introduire des défauts, zones cristallisées à l'intérieur d'un état de glace, dont la prépondérance peut être contrôlée via la température, ou d'étudier des phénomènes de relaxation après un changement abrupt de la géométrie. En dehors des systèmes frustrés, les résultats ouvrent des nouveaux horizons dans la "fluxtronique", dont l'objectif est d'obtenir des fonctionnalités, par exemple la rectification d'un signal électrique, via la manipulation des vortex. Ceci est fait en utilisant des paysages d'énergie d'une géométrie particulière. La possibilité de modifier la géométrie via la température permettrait donc de changer la fonctionnalité des dispositifs à l'aide de ce
paramètre (Un paramètre est au sens large un élément d'information à prendre en compte...) externe - ce qui n'était pas possible auparavant.
Pour plus d'information voir: http://www.cnrs.fr/inp/IMG/pdf/14-10-glace-magnetique.pdf