Intercept: des plaquettes suspectes

Publié par Adrien le 17/09/2015 à 00:00
Source: Jean Hamann - Université Laval
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Le procédé Intercept diminue la capacité d'agrégation des plaquettes (en bleu dans l'image), une fonction essentielle à la coagulation du sang, et il réduit l'expression de centaines d'ARN messagers contenus dans ces éléments du sang.
Dans un récent numéro de PLOS ONE, une équipe internationale de chercheurs rapporte qu'un traitement utilisé pour éliminer les bactéries et les virus contenus dans les concentrés de plaquettes sanguines altère le matériel génétique de ces éléments du sang. "Les plaquettes soumises à ce traitement pourraient ne pas être en mesure de remplir correctement leurs fonctions chez les gens à qui on les transfuse. On parle ici d'accidentés de la route, de personnes qui subissent une chirurgie ou de patients soumis à des traitements de chimiothérapie", explique l'un des auteurs de l'étude, le professeur Patrick Provost, de la Faculté de médecine. "C'est inquiétant parce que ce procédé vient d'être approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis et qu'il pourrait aussi recevoir le feu vert de Santé Canada sous peu."

Le procédé en question, Intercept, cible le matériel génétique d'organismes pathogènes qui proviennent du donneur ou qui s'infiltrent dans les concentrés de plaquettes pendant leur production. Le problème est que ce traitement attaque aussi le matériel génétique des plaquettes. "Ce procédé a été mis au point il y a quelques années, explique le professeur Provost. On connaissait alors le rôle des plaquettes dans la coagulation du sang et dans la cicatrisation des plaies, mais on ne savait pas qu'elles renfermaient le tiers du génome sous forme d'ARN messagers. Ce matériel génétique participe à la synthèse de centaines de protéines qui jouent un rôle dans les mécanismes indispensables au bon fonctionnement des plaquettes et du corps humain."

L'année dernière, le professeur Provost et ses collaborateurs ont démontré qu'Intercept diminue la capacité d'agrégation des plaquettes, une fonction essentielle à la coagulation du sang. Pour compenser cette perte de fonction, les médecins doublent le volume de concentrés de plaquettes transfusés, mais ça ne résout pas tous les problèmes, souligne le chercheur. Dans leur dernier article, Patrick Provost et ses collaborateurs suédois et allemands montrent qu'Intercept réduit l'expression des ARN messagers de 816 gènes. "On peut en déduire que l'expression des protéines codées par ces gènes est aussi réduite, résume-t-il. Ça pourrait expliquer la baisse radicale de la capacité des plaquettes traitées à répondre à des stimuli."

Le professeur Provost admet que la transmission de pathogènes par les produits sanguins est un problème auquel il faut s'attaquer, mais il estime qu'Intercept n'est pas la meilleure solution. "En plus d'altérer le fonctionnement des plaquettes, ce procédé ne détruit pas tous les pathogènes. Certains virus de même que les spores de certaines bactéries et les prions y résistent."

Le chercheur croit qu'il y aurait moyen de faire mieux en modifiant la gestion des dons de plaquettes. Plutôt que de regrouper les plaquettes de plusieurs donneurs dans un concentré, qui est ensuite soumis à un traitement de destruction des pathogènes, il faudrait fonctionner sur la base d'un donneur par receveur. "Il suffirait de prendre les plaquettes d'un donneur, de tester l'échantillon pour tous les microorganismes connus et de conserver uniquement les dons qui ne posent pas de risques pour le receveur. Cette approche coûterait moins cher qu'Intercept et elle serait plus sécuritaire."

Très peu d'études indépendantes ont été réalisées sur Intercept, déplore le professeur Provost. "Nous sommes moins d'une dizaine de chercheurs dans le monde à avoir étudié le procédé sans recevoir de soutien financier du fabricant." Le chercheur a bien pris soin de transmettre ses études à la FDA, à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec afin de les aviser des risques associés à Intercept. Dans le cas de l'organisme américain, ces preuves n'ont pas suffi à infléchir la décision.

"Les organismes de régulation étudient des technologies et des médicaments qui leur sont soumis par des compagnies. Celles-ci présentent leur dossier à un comité d'experts et exercent un fort lobbying pour obtenir une décision favorable. En théorie, les organismes de régulation veillent à l'intérêt de la population. En pratique, les patients qui doivent recevoir une transfusion de plaquettes après un accident de la route, une opération ou un cancer ne sont pas entendus par le comité d'experts et ils ne disposent pas, eux, de lobby pour faire valoir leurs intérêts."
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