Mémoire: une remise en cause de l'hypothèse de la consolidation/reconsolidation

Publié par Isabelle le 13/10/2015 à 12:00
Source: CNRS-INSB
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L'équipe de Pascale Gisquet-Verrier de l'Institut des neurosciences Paris-Saclay, en collaboration avec des chercheurs de Kent University (USA), démontre que la formation de nouveaux souvenirs ne requiert pas nécessairement la synthèse de nouvelles protéines et que les amnésies dues à l'application d'un agent pharmacologique, ne correspondent pas à des pertes de mémoire (D'une manière générale, la mémoire est le stockage de l'information. C'est aussi le souvenir...), mais à des incapacités à retrouver le souvenir. Cette étude parue dans la revue Journal of Neuroscience, réinterprète les données (Dans les technologies de l'information (TI), une donnée est une description élémentaire, souvent...) fondatrices des hypothèses solidement ancrées de consolidation et de reconsolidation de la mémoire et permet d'envisager de nouvelles pistes thérapeutiques.

L'hypothèse de la consolidation/reconsolidation, formulée par James McGaugh au milieu des années 60, postule que la formation des souvenirs implique des processus séquentiels s'échelonnant sur une longue période temporelle. Cette hypothèse s'appuie essentiellement sur de nombreuses études montrant des perturbations de performance à la suite de l'application de divers traitements modifiant l'activité cérébrale et inhibant la synthèse protéique. Ces perturbations sont d'autant plus importantes que le traitement est appliqué précocement après l'événement à mémoriser. Sur la base de ces données, on a fait l'hypothèse de l'existence de processus de consolidation assurant la fixation/stabilisation de la trace mnésique. Perturber ces processus entrainerait une perte plus ou moins totale du souvenir, rendant compte des amnésies délai-dépendantes constatées. Dans les années 2000, sur la base de données (En informatique, une base de données (Abr. : « BD » ou...) similaires obtenues avec des traitements délivrés après la réactivation d'un souvenir, l'hypothèse de l'existence d'un processus de reconsolidation, impliquant également une synthèse de protéines, a été émise. La reconsolidation est sensée permettre la re-stabilisation d'un souvenir réactivé ou rappelé, rendant possible sa mise à jour (Une mise à jour, souvent abrégé en MAJ ou MàJ, est l'action qui consiste à...). Dès leur formulation (La formulation est une activité industrielle consistant à fabriquer des produits...), ces hypothèses se sont heurtées à un certain nombre de critiques qui n'ont cependant jamais été considérées.

L'étude réalisée dans le Centre de Neurosciences Paris Sud-NeuroPSI à Orsay et à Kent University aux Etats-Unis, a repris les conditions expérimentales les plus classiques: des rats sont entrainés à éviter un compartiment associé à un léger choc sur les pattes (voir Figure). Lorsqu'un inhibiteur de synthèse protéique est délivré après l'apprentissage, une amnésie (L'amnésie est la perte partielle ou totale de la mémoire.) est obtenue: les rats rentrent dans le compartiment où ils ont reçu un choc électrique, comme s'ils ne s'en souvenaient pas, et l'amplitude (Dans cette simple équation d’onde :) de cette amnésie est d'autant plus forte que le délai entre la fin de l'apprentissage et le traitement est court. Cependant, si l'on présente à ces animaux amnésiques, avant le test de rétention, un indice de rappel de l'apprentissage ou si l'on réapplique le traitement ayant induit l'amnésie, les animaux refusent de rentrer dans le compartiment où ils ont reçu le choc. Ces données montrent que si l'amnésie peut être levée, elle n'est pas due à l'absence ou à l'effacement du souvenir, mais à des difficultés de rappel du souvenir, qui peuvent être compensées par la présentation d'indices jouant le rôle de madeleine de Proust.

De tels résultats ont déjà été publiés, mais l'originalité de cette nouvelle étude est d'avoir obtenu des résultats identiques après l'apprentissage et après la réactivation du souvenir lorsque l'inhibiteur est administré par injection systémique (La systémique - du grec « systema », « ensemble...) ; après l'administration de beaucoup plus petites doses d'inhibiteur lorsqu'il est administré directement dans le cerveau, soit dans les ventricules cérébraux, soit dans une structure cérébrale très impliquée dans la mémoire, l'hippocampe ; après l'administration d'un agent pharmacologique, le chlorure de lithium (Le chlorure de lithium est un composé chimique de formule LiCl. Ce sel est un composé...), qui induit un malaise gastrique (tout comme l'inhibiteur), sans perturber ni la synthèse protéique, ni la mémoire.

Prises toutes ensembles, ces données confirment que des traitements variés peuvent induire des amnésies délai-dépendantes. Cependant, elles montrent que dans toutes les conditions étudiées, ces amnésies ne correspondent pas à une perte du souvenir mais à une incapacité à restituer l'information initiale. Elles montrent également que si le traitement amnésiant peut jouer le rôle d'indice de rappel, c'est que l'information portée par le traitement et qui n'a rien à voir avec l'apprentissage initial, a été intégrée au souvenir. C'est son absence, lors du test de rétention, qui empêche son rappel correct. Les auteurs soulignent que cette étude montre que la caractéristique principale d'un souvenir actif, lors de sa formation, ou de sa réactivation, n'est pas sa fragilité (La fragilité est l'état d'une substance qui se fracture lorsqu'on lui impose des...), mais sa malléabilité, c'est à dire sa capacité à intégrer des informations présentes si elles sont importantes. Si l'information est pertinente, le souvenir est actualisé mais si elle ne l'est pas, l'intégration de cette information peut perturber le rappel du souvenir.


Figure: Réexamen de l'hypothèse de la consolidation/reconsolidation de la mémoire.
A: Chaque rat placé dans un compartiment éclairé reçoit un léger choc électrique sur les pattes lorsqu'il pénètre dans le compartiment sombre. Les animaux reçoivent alors soit une injection de Cycloheximide (Cyclo) qui inhibe la synthèse protéique et indispose l'animal, soit du chlorure de lithium (LiCl) qui provoque un malaise gastrique mais n'a pas d'effet sur la synthèse protéique, ni sur la mémoire, soit une injection de sérum physiologique (Sal). 48 heures plus tard, une seconde injection est administrée 30 min avant l'épreuve de rétention, puis les animaux sont replacés dans le compartiment éclairé et le temps mis pour pénétrer dans le compartiment sombre est enregistré. Les rats témoins (Sal-Sal) ne retournent pas dans le compartiment sombre, montrant un parfait souvenir du conditionnement. Ceux ayant reçu une injection de Cyclo après le conditionnement rentrent rapidement, montrant une amnésie. Cependant cet effet n'est pas obtenu lorsqu'une seconde injection de Cyclo est délivrée avant l'épreuve de rétention: le souvenir est présent, mais n'est pas accessible sans l'aide d'un indice de rappel. Des résultats comparables sont obtenus lorsque le LiCl est administré à la place du Cyclo.
B: 48 heures après le conditionnement, les rats sont placés dans le compartiment éclairé afin de réactiver le souvenir puis les mêmes traitements que ceux décrits en A sont appliqués après la réactivation et avant l'épreuve de rétention. Des résultats similaires sont obtenus.
© Pascale Gisquet-Verrier

Ces données remettent en cause l'hypothèse de la consolidation/reconsolidation qui domine la littérature depuis plus de cinquante ans. Les conséquences sont importantes car elles montrent que les amnésies expérimentales, qui forment la base de l'hypothèse de la consolidation, ne seraient qu'un artéfact résultant de la malléabilité des souvenirs pouvant être reproduits avec des agents qui n'affectent pas la mémoire, comme le chlorure de lithium. Elles soulignent l'importance de la malléabilité des souvenirs au moment de leur formation ou de leur réactivation, qui permet de modifier et de réactualiser les souvenirs. Elles suggèrent que la formation des souvenirs est beaucoup plus rapide et beaucoup plus dynamique (Le mot dynamique est souvent employé désigner ou qualifier ce qui est relatif au mouvement. Il...) que ce que la littérature le laissait supposer jusqu'à présent. Enfin, elles posent la question du rôle fonctionnel des cascades moléculaires qui ont été mises en évidence chez l'animal à la suite de divers apprentissages.

Cette étude bouleverse nos connaissances sur la formation et la transformation des souvenirs. Elle est aussi porteuse d'espoir car la mise en évidence d'une telle malléabilité ouvre des voies thérapeutiques nouvelles consistant à modifier la valence émotionnelle de souvenirs pathologiques, les rendant ainsi moins perturbants (Toledano, D et Gisquet-Verrier P (2014) Behavioral Brain Res, 272:165-74).

Pour plus d'information voir: Integration of New Information with Active Memory Accounts for Retrograde Amnesia: A Challenge to the Consolidation/Reconsolidation Hypothesis?
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