L'irradiation solaire, moteur insoupçonné de l'évolution de la matière organique extraterrestre
L'origine de l'eau et de la matière organique sur Terre, ingrédients essentiels à l'émergence de la vie, constituent une question majeure pour la communauté scientifique. Pour retracer cette origine, il est nécessaire de se plonger dans les "archives" de notre
système solaire. Parmi elles, la signature isotopique de l'
hydrogène constitue une des "empreintes digitales" des grands réservoirs chimiques du système solaire. Des chercheurs de l'
Université de Lille, de
Sorbonne Universités et du CNRS viennent de démontrer que l'
irradiation émise par le jeune Soleil a pu modifier la
matière organique dans le disque protosolaire. Cette étude est publiée dans la revue
Nature Communications du 13 octobre 2015.
Légende: le vent solaire irradie les grains organiques dans le nuage protosolaire et provoque leur enrichissement en isotope lourd de l'hydrogène. Crédit B. Laurent à partir d'images du HST NASA/ESA
Quand le soleil modifie les caractéristiques de la matière organique
La matière organique insoluble présente dans les météorites primitives de type chondrites carbonées est une
macromolécule d'origine extraterrestre et non organique qui présente un enrichissement en isotope
(1) lourd de l'hydrogène (le deutérium) comparé aux autres constituants du système solaire. Dans la
chondrite carbonée d'Orgueil, par exemple, ce réservoir majeur d'hydrogène est deux fois plus riche en
deutérium que l'eau des océans sur Terre. Cette
météorite, tombée en 1864 dans le sud de la France, a la composition chimique la plus proche du système solaire. Une question importante est alors de relier la signature de la matière organique et de l'eau sur Terre à cette matière carbonée extraterrestre riche en deutérium.
Les modèles communément admis proposent que l'empreinte isotopique de la matière organique insoluble soit héritée de processus se déroulant dans des environnements froids du disque protoplanétaire ou l'espace interstellaire. Toutefois, aucune expérience à basse
température n'a permis à ce jour de reproduire expérimentalement et quantitativement la deutération d'une macromolécule organique à des niveaux mesurés dans la matière organique d'Orgueil.
Dans cette nouvelle étude menée conjointement à l'Unité Matériaux et Transformations (UMET,
Université de Lille/CNRS) à Lille et à l'Institut de
minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, Sorbonne Universités - CNRS/UPMC/IRD/Muséum national d'histoire naturelle) à Paris, la question a été abordée d'un tout autre point de vue. L'irradiation induite par le jeune Soleil dans les zones "chaudes" du disque, c'est-à-dire dans le voisinage de la Terre actuelle ou en surface du disque protoplanétaire, a été étudiée. Des analogues terrestres de la matière organique insoluble ont été irradiés par des électrons, simulant ainsi une composante importante et fortement pénétrante du vent solaire. Il a été découvert que la composition des résidus est enrichie en deutérium dans des proportions comparables à celles mesurées dans Orgueil.
L'étude démontre donc que des processus simples et directement liés à la présence du Soleil peuvent expliquer la quantité de deutérium dans la matière organique extraterrestre. Elle remet en cause le modèle classique: la matière organique pourrait s'enrichir en deutérium sans faire intervenir des processus à basse température. Au-delà, les chercheurs ont reproduit la signature isotopique de la matière organique insoluble des météorites primitives en partant de précurseurs de composition terrestre. Il n'y aurait donc pas deux réservoirs différents d'hydrogène pour l'eau et pour la matière organique dans le système solaire, mais un seul.
Ces résultats ont été obtenus avec la collaboration du Laboratoire de spectrochimie infrarouge et Raman (LASIR, CNRS/Université de Lille). Les laboratoires UMET et LASIR sont regroupés au sein de la fédération de recherche Michel-Eugène Chevreul.
Note:
(1) Isotopes: les isotopes d'un élément chimique possèdent les mêmes propriétés physicochimiques mais ont des masses différentes.
Pour plus d'information voir:
Article: B. Laurent, M. Roskosz, L. Remusat, F.Robert, H. Leroux, H. Vezin, C. Depecker, N. Nuns & J.-M. Lefebvre: The deuterium/hydrogen distribution in chondritic organic matter attests to early ionising irradiation - DOI: 10.1038/NCOMMS9567
http://www.nature.com/ncomms/2015/151013/ncomms9567/full/ncomms9567.html