Variabilité comportementale et vie sociale chez un organisme unicellulaire

Publié par Adrien le 05/12/2015 à 00:00
Source: CNRS-INSB
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Beaucoup d'animaux présentent, tout comme les humains, des comportements différents et ne réagissent pas tous de la même manière face aux informations environnementales et sociales. Toutefois, l'intégralité de ces recherches a été consacrée à des organismes relativement complexes et multicellulaires. Audrey Dussutour et David Vogel au Centre de recherche sur la cognition animale, démontrent pour la première fois que des différences comportementales sont déjà manifestes chez un organisme unicellulaire, Physarum Polycephalum, lointain parent des animaux, des champignons et des plantes. Cet organisme peut présenter des types comportementaux distincts: "lent-social", "rapide-social" et "rapide-asocial". Ces résultats sont publiés dans la revue Proceedings of The Royal Society B.


Figure 1: Déplacement des cellules des différentes souches de P. polycephalum dans un environnement dépourvu de nourriture. Les cellule australiennes et japonaises s'étendent dans toutes les directions, tandis que les cellules américaines poussent principalement de façon digitée.

Les différences comportementales sont observées à tous les échelons de l'organisation du vivant: entre individus au sein d'un groupe, entre groupes au sein d'une population et entre populations au sein d'une espèce. De nombreuses études à ce sujet, chez des espèces multicellulaires, ont montré que ces différences comportementales ont un impact majeur sur l'évolution et l'écologie de ces organismes. A l'inverse, la variabilité comportementale chez des organismes unicellulaires est très peu documentée. Pourtant une bonne compréhension de cette variabilité semble cruciale pour appréhender pleinement la variabilité observée chez des organismes plus complexes. Afin de pallier ce manque, les chercheurs ont choisi d'étudier la variabilité comportementale chez un organisme unicellulaire Physarum polycephalum. P. polycephalum est une cellule géante (ou plasmode) extrêmement mobile pouvant atteindre plusieurs mètres carrés et une vitesse de déplacement de 4cm à l'heure. Les chercheurs ont choisi de travailler avec 3 souches de la même espèce: une souche australienne, une souche japonaise et une souche américaine.

Dans une première série d'expériences, les chercheurs ont quantifié le comportement de P. polycephalum dans un environnement dépourvu de nourriture. Les résultats mettent en évidence que les cellules peuvent être regroupées dans des sous-types comportementaux distincts. Les cellules australiennes se déplacent lentement dans toutes les directions, les cellules japonaises progressent rapidement dans toutes les directions et les cellules américaines se déplacent rapidement dans une direction unique.


Figure 2: Choix des cellules de chaque souche entre les informations sociales et la nourriture. Les cellules australiennes et japonaises se déplacent vers les informations sociales tandis que les cellules américaines choisissent la nourriture.

Ensuite, les chercheurs ont observé le comportement de P. polycephalum lorsqu'une source de nourriture ou des informations sociales sont présentes dans l'environnement. Les informations sociales correspondent à l'ensemble des molécules excrétées par une cellule dans son environnement lorsque celle-ci se nourrit. Les résultats montrent une nouvelle fois des différences comportementales manifestes entre les souches. Les cellules australiennes et japonaises préfèrent se déplacer vers les informations sociales plutôt que vers la nourriture, contrairement aux cellules américaines qui préfèrent se déplacer vers la nourriture plutôt que vers les informations sociales. Les chercheurs sont parvenus à identifier le calcium comme élément responsable de l'attraction sociale en utilisant une approche associant l'étude éthologique fine du comportement des cellules à des analyses chimiques. Les chercheurs ont pu déterminer que les cellules australiennes sécrètent de grandes quantités de calcium et sont capables de détecter de faibles concentrations de calcium dans l'environnement. A l'inverse, les cellules américaines sécrètent peu de calcium et sont peu sensibles au calcium présent dans l'environnement. Les cellules japonaises se situent dans une position intermédiaire.

Une dernière série d'expériences, dans laquelle deux cellules sont mises en présence de deux sources de nourriture identiques, montre que les cellules manifestent des stratégies sociales différentes. Les cellules australiennes exploitent la même source de nourriture tandis que les cellules japonaises et américaines choisissent aléatoirement une des deux sources de nourriture. De plus, les cellules australiennes trouvent plus facilement la nourriture lorsqu'elles sont accompagnées d'un congénère que lorsqu'elles sont seules dans l'environnement, indiquant un phénomène de facilitation sociale. A l'inverse, les cellules américaines, en présence d'un congénère, sont ralenties dans leur découverte de la nourriture. L'élaboration d'un modèle mathématique reproduisant la dynamique d'interactions entre deux cellules a permis aux chercheurs de démontrer les mécanismes responsables de ces stratégies sociales, d'une part leur vitesse de déplacement et d'autre part leur niveau d'attraction pour les informations sociales.


Figure 3: Les cellules australiennes exploitent la même source de nourriture lorsqu'elles sont mises en présence de deux sources de nourriture identiques.
© Audrey Dussutour

Ainsi, ces résultats prouvent l'existence de types comportementaux même chez les organismes unicellulaires et permettent d'enrichir le répertoire comportemental de P. polycephalum. Audrey Dussutour et ses collaborateurs montrent, une fois de plus, que les comportements complexes ne résultent pas obligatoirement de procédés neuronaux sophistiqués mais que des formes de vie plus simples sont aussi capables de présenter des comportements étonnants.
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