D'énormes quantités d'eau piégées dans les magmas profonds des arcs volcaniques

Publié par Adrien le 20/11/2016 à 00:00
Source: CNRS-INSU
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Une équipe internationale comprenant des chercheurs de l'Institut des sciences de la Terre d'Orléans (ISTO/OSUC, CNRS / Université d'Orléans / BRGM) vient de mettre en évidence par une méthodologie peu conventionnelle que les magmas piégés en profondeur par le volcanisme d'arc sont étonnement riches en eau. Ces chercheurs ont également pu montrer que si l'eau est la force motrice des éruptions les plus catastrophiques, c'est également elle qui cause le piégeage en profondeur de ces magmas.


Le volcanisme d'arc est un volcanisme lié à la subduction d'une plaque océanique sous une autre plaque (continentale ou océanique), qui donne alors naissance à un ensemble de volcans plus ou moins alignés selon un arc. Ce type de volcanisme est le plus dangereux de tous car les quantités importantes d'eau et de gaz dissouts dans les magmas provoquent des éruptions très explosives, et parfois meurtrières (ex. Tambora, Krakatau, la montagne Pelée...). Cependant, le volcanisme lui-même n'est que la partie visible de l'iceberg. En effet, la grande majorité des magmas produits à partir de la fusion partielle du manteau reste piégée en profondeur dans la croûte terrestre, où ils refroidissent et se solidifient pendant des centaines de milliers d'années, produisant des roches plutoniques (appelées batholithes ou plutons). C'est d'ailleurs l'addition de ces plutons qui fait croître la croûte continentale sur laquelle nous vivons.

Si l'on peut parfois observer ces magmas fossiles en surface, les nombreuses transformations qu'ils ont subies lors de leur solidification et de leur remontée empêchent de déchiffrer les caractéristiques et les processus magmatiques profonds et notamment d'expliquer pourquoi la croûte continentale a une composition andésitique (de andésite, une roche volcanique très courante dans les Andes) alors que les plutons ont la plupart du temps une toute autre composition.

L'eau contenue dans ces magmas encore liquides les rendant très conducteurs, il est possible de traduire la conductivité électrique des réservoirs magmatiques profonds en termes de teneur en eau. Un groupe de chercheurs français (ISTO), anglais et canadiens a mesuré pour la première fois en laboratoire la conductivité électrique d'un liquide andésitique, le liquide magmatique le plus probable dans ce contexte géologique. Leurs conclusions sont stupéfiantes: les liquides magmatiques profonds qui alimentent les arcs volcaniques actifs (comme l'Uturuncu en Bolivie, le Mont St-Helens aux USA ou le Taupo en Nouvelle-Zélande) contiennent jusqu'à 10 % d'eau (en poids), soit près du double des valeurs attendues puisque près du double des teneurs en eau des éruptions les plus catastrophiques.

Par ailleurs, les chercheurs ont mesuré à l'aide de méthodes géophysiques le volume de liquide magmatique identifié sous la Bolivie et celui-ci est énorme: 50 000 km3, soit 1000 fois le volume des laves émises lors de la terrible éruption Minoenne de Santorin. Ce volume permet d'estimer la masse d'eau dissoute dans ce réservoir magmatique laquelle dépasse celle contenue dans le lac Supérieur !

Suite à ces résultats, une question se pose: pourquoi ces liquides magmatiques boliviens stagnent-ils en profondeur, s'accumulant vers 20 km sous la surface, alors que l'eau diminue leur densité et devrait de ce fait favoriser leur ascension ?

La réponse est l'eau, ou plus précisément "trop d'eau".

Lors de leur remontée, les magmas profonds contenant beaucoup d'eau vont en effet commencer à dégazer (la solubilité de l'eau dans les magmas diminuant lorsque la profondeur diminue) à de plus grandes profondeurs que les magmas classiques, en particulier à des profondeurs où la croûte est molle et ne peut donc être fracturée sous l'effet de la pression de la vapeur d'eau. Le magma commence alors à cristalliser, ce qui le rend plus visqueux et bloque son ascension.

Les liquides magmatiques identifiés comme très riches en eau sont des andésites, lesquels n'entrent que rarement dans la composition des roches plutoniques exhumées. Or, en Bolivie, ce sont majoritairement des dacites que l'on retrouve à la surface, autour des caldeiras formées par les éruptions et super-éruptions du passé. Il semblerait donc que la forte teneur en eau des magmas profonds constitue un filtre magmatique franchi uniquement par les liquides résiduels (créés après cristallisation partielle des andésites) que sont les dacites, des magmas plus riches en silice.

Les auteurs estiment que ces résultats pourraient s'appliquer au Mont St-Helens et au Taupo (cités précédemment) où de tels magmas profonds sont visibles par tomographie électrique mais s'agit-il de cas isolés ou est-ce une règle du volcanisme d'arc ? Deux questions sont laissées en suspens dans cette étude.
- quel est le devenir de cette eau libérée en profondeur, dont une faible partie seulement accompagnera les dacites émises en surface via le volcanisme de caldeira ? Notre perception du cycle de l'eau dans les subductions est à réviser.
- quels sont les moteurs géologiques qui conduisent à la production de tels volumes de magmas, lesquels contrastent avec les volumes classiquement observés dans les systèmes volcaniques.

Les deux questions sont probablement liées.

Ce travail a été réalisé dans le cadre d'une collaboration entre deux projets ERC pilotées par Fabrice Gaillard (ElectroLith) de l'Institut des Sciences de la Terre d'Orléans et Jon Blundy (Critmag) de l'université de Bristol.
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