En 2016, une équipe de chercheurs du centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG, CNRS/Université de Bordeaux), en collaboration avec des équipes internationales, ont découvert un nouvel isotope radioactif très rare: le
67Kr. Ce noyau de Krypton possède la particularité de se désintégrer en émettant deux protons, un phénomène très rare prédit dès les années 1960. Ce résultat permet de mieux comprendre le comportement de la matière lorsqu'elle est poussée dans ses retranchements.
La radioactivité est un phénomène naturel présent dans le
noyau atomique (Le noyau atomique désigne la région située au centre d'un atome constituée de...). Sa stabilité est liée à un équilibre entre les protons et les neutrons qui le composent. Si cet équilibre est rompu, ce dernier va alors se désintégrer pour donner un noyau plus stable, en émettant des particules. En étudiant les compostions en nucléons des différents noyaux, il a été possible de concevoir une carte représentant tous les noyaux possibles. Aujourd'hui, on dénombre 287 espèces nucléaires "naturelles" stables et plus de 2 500 nucléides radioactifs. Parallèlement, la nature des particules émises (alpha, béta, gamma, etc.) dépend fortement de cette composition. Et c'est en étudiant les noyaux les plus exotiques, aux limites de la cohésion de la matière, que la radioactivité à un proton a été découverte en 1982, et dans les années 2000, la radioactivité à deux protons.
La radioactivité 2-protons, un phénomène très rare Parmi les différents types de radioactivités dont nous avons connaissance, la radioactivité 2-protons est un phénomène très rare. Il a été prédit au début des années 60, mais il a fallu attendre le début des années 2000 pour que l'équipe "Noyaux Exotiques" du CENBG et ses collaborateurs puisse mettre expérimentalement en évidence l'existence de cette radioactivité. Il ne peut s'observer que pour quelques noyaux situés au-delà de la
drip-line (ou limite d'existence des noyaux), c'est-à-dire lorsque l'
interaction (Une interaction est un échange d'information, d'affects ou d'énergie entre deux agents au sein...) nucléaire (Le terme d'énergie nucléaire recouvre deux sens selon le contexte :) forte ne peut plus retenir les protons excédentaires. Ce phénomène ne concerne que les noyaux très riches en protons.
Ce type de radioactivité résulte de la conjugaison de deux effets produits par l'interaction qui s'exerce entre les nucléons. D'une part l'appariement des nucléons identiques (ici les protons) qui amène des configurations énergétiques favorables. Et d'autre part l'effet de barrière de potentiel (appelée barrière coulombienne) qui piège les protons à l'intérieur du noyau en raison de leur
charge électrique (La charge électrique est une propriété fondamentale de la matière qui respecte le principe de...). Ceci a pour conséquence que les deux derniers protons peuvent être maintenus ensemble, pour un certain temps, à l'intérieur du noyau.
Les noyaux produits par collisions nucléaires violentes sont triés par le séparateur en fonction de leur nombre de protons et de neutrons (ici Z est le nombre de protons, A / Q est le rapport du nombre total de constituants et de la charge électrique). Chaque "tâche" correspond à un type différent de noyau. Les noyaux produits et identifiés sont stoppés dans un dispositif permettant de mesurer l'énergie des particules émises lors de leur décroissance radioactive. Ainsi, dans le cas des noyaux 67Kr, ces mesures montrent un pic particulier qui a été identifié comme la signature du phénomène de radioactivité 2-protons. © Jérôme Giovinazzo
Cette paire finit néanmoins par franchir la barrière coulombienne, par un effet quantique appelé
effet tunnel (L'effet tunnel désigne la propriété que possède un objet quantique de franchir...). Du fait de l'interaction d'appariement, le noyau ne peut éjecter les deux protons l'un après l'autre, mais doit émettre la paire simultanément. Un tel noyau n'existe donc que parce que le sous-système composé de 2 protons est fortement corrélé à l'intérieur du noyau, alors qu'il est
complètement (Le complètement ou complètement automatique, ou encore par anglicisme complétion ou...) dissocié une fois éjecté (un ensemble de deux protons seuls ne peut pas être lié). Les prédictions théoriques les plus récentes indiquaient qu'une masse A d'environ 50 (nombre de nucléons du noyau) devrait être la plus favorable à l'
observation (L’observation est l’action de suivi attentif des phénomènes, sans volonté de les...).
L'étude d'une radioactivité exotique Pour produire de tels noyaux, avec un très grand déséquilibre entre protons et neutrons, il faut utiliser des réactions de fragmentation du projectile. Des noyaux stables sont envoyés avec une très grande énergie sur une cible dans laquelle des collisions violentes vont leur arracher des nucléons, pour produire toute une variété de noyaux. Les noyaux recherchés étant les plus exotiques, ils sont aussi les moins produits. Il faut alors un important dispositif de séparation des fragments en fonction de leur nombre de protons et neutrons, basé sur les champs magnétiques et électriques, pour sélectionner et identifier les noyaux d'intérêt.
Ceux-ci, une fois sélectionnés, sont implantés dans un dispositif de détection qui permet ensuite de mesurer les informations concernant leur décroissance radioactive, qui a lieu quelques millisecondes après la production des noyaux.
Dans un premier temps, un système de détection relativement simple est utilisé. Les noyaux radioactifs sont implantés dans un dispositif composé de diodes en silicium qui mesure (éviter la répétition de "permettre") l'énergie des particules émises. Ce type d'expérience ne permet pas l'observation directe de chacun des protons émis, et la mise en évidence du phénomène de radioactivité 2-protons résulte d'une détermination indirecte. Celle-ci est basée sur l'identification d'une transition d'énergie bien définie, sur l'absence de particule béta et sur la reconnaissance de la radioactivité du noyau fils (noyau
résultant (En mathématiques, le résultant est une notion qui s'applique à deux polynômes....) de l'émission des 2 protons), lui-même encore très éloigné de la stabilité.C'est ainsi que cette nouvelle radioactivité a été établie par l'équipe du CENBG en 2002 pour
45Fe lors d'une expérience menée au GANIL (Caen) et confirmée par les résultats d'une expérience au GSI (Darmstadt), et en 2005 pour
54Zn au GANIL.
La photo présente le bout de la ligne du séparateur (BigRIPS) d'où arrivent les noyaux exotiques sélectionnés.Ils sont implantés dans le dispositif utilisant des diodes silicium, qui n'est pas visible directement car il est situé au cœur de l'ensemble de détection qui se trouve à gauche sur la photo. © Mathias Gerbaux
Depuis leur première détection dans les années 2000, de nouveaux systèmes de détections ont été développés afin d'observer individuellement les protons émis, et de déterminer les corrélations entre les énergies et les angles d'émission de chacun. Un premier dispositif, une chambre à projection temporelle, a été développé au CENBG, qui a permis la première observation directe du phénomène pour
45Fe (GANIL 2007), puis de
54Zn (GANIL 2011). À la suite de ces premiers résultats, des travaux similaires ont été menés par une équipe de Varsovie sur le noyau
45Fe (MSU 2007) et a permis l'observation directe de quelques événement de radioactivité 2-protons de
48Ni (28 protons et 20 neutrons, en 2014).
Jusque-là, trois noyaux étaient donc identifiés comme donnant lieu à ce type de radioactivité, et les toutes premières informations concernant les corrélations ont montré l'importance de ces mesures pour une compréhension microscopique de ce phénomène difficile à reproduire d'un point de vue théorique. Afin de développer et de valider une description théorique alliant la structure du noyau et la dynamique de l'émission, il est nécessaire de pouvoir assoir cette compréhension sur une plus large gamme de cas.
C'est dans ce contexte qu'une expérience a été proposée au RIKEN de Tokyo, pour produire de nouveaux candidats potentiels. L'expérience, réalisée par l'équipe du CENBG (en collaboration avec des équipes internationales) en 2015, a permis de produire les noyaux
59Ge,
63Se et
67Kr, ces deux derniers étant identifiés pour la première fois. De plus, dans le cas de
67Kr (36 protons, 31 neutrons) la radioactivité 2-protons a été établie sur la base de mesures indirectes (similaires à la découverte du phénomène dans le cas de
45Fe).
Ces travaux se poursuivent, notamment avec le développement d'un nouveau dispositif pour l'observation directe et individuelle des protons émis, le détecteur ACTAR TPC. Ce dispositif doit être utilisé au GANIL pour
48Ni et/ou
54Zn et au RIKEN pour
67Kr. Le cas de
67Kr est d'autant plus intéressant que les premiers calculs théoriques ne permettent pas de reproduire les résultats expérimentaux, fait qui peut éventuellement être lié à la forme de ce noyau, ou encore à un mécanisme d'émission plus complexe. Ces mesures à venir doivent apporter de nouvelles
données (Dans les technologies de l'information (TI), une donnée est une description élémentaire, souvent...) sur les corrélations entre les protons, afin de tenter de clarifier ce phénomène unique du monde subatomique.