Pourquoi, malgré les trithérapies, des patients porteurs d'HIV continuent-ils de développer certains lymphomes ?

Publié par Adrien le 21/04/2017 à 00:00
Source: CNRS-INSB
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Des chercheurs de l'Institut Gustave Roussy lèvent le voile sur ce mystère. Ils démontrent comment un taux infime de Tat, une protéine produite par le virus HIV et circulant dans le sang de patients porteurs du virus mais parfaitement équilibrés du point de vue immunologique, provoque néanmoins un changement d'organisation (Une organisation est) globale des chromosomes dans le noyau de leurs lymphocytes B normaux. Dès lors, le risque est fortement accru que surviennent dans ces cellules des cassures de l'ADN. La réparation inappropriée de ces cassures peut aboutir à la formation d'une translocation chromosomique qui, en juxtaposant l'oncogène MYC à des gènes d'immunoglobulines, provoque le développement d'un lymphome particulier, le lymphome de Burkitt (Le Lymphome de Burkitt est une tumeur (lymphome non-hodgkinien) qui provient de l'évolution...). Cette étude a été publiée le 31 mars 2017 par la revue Leukemia.


Figure 1: Localisation des gènes MYC (rouge) et IGH (vert) dans les noyaux des lymphocytes B d'un sujet séro-négatif (à gauche) et d'un patient séro-positif (à droite).
© CNRS UMR8126

Grâce aux thérapies combinées, la fréquence de survenue de la plupart des cancers qui affectaient le pronostic des populations HIV-positives a désormais été ramenée à ce qu'on observe dans la population générale. Pourtant, ce n'est toujours pas le cas pour certaines proliférations malignes spécifiques. Le lymphome de Burkitt en représente un exemple frappant puisqu'il continue de survenir 30 à 50 fois plus fréquemment chez les porteurs du virus, y compris lorsque celui-ci est devenu indétectable. Une équipe de l'Institut Gustave Roussy (Gustave Roussy, né le 24 novembre 1874 à Vevey (Suisse) et mort le...) coordonnée par Yegor Vassetzky et Marc Lipinski, a cherché à comprendre les raisons de ce mystère persistant.

Le lymphome de Burkitt résulte de la prolifération incontrôlée d'un clone de lymphocytes B porteurs d'un remaniement chromosomique spécifique et pathognomonique, une translocation aboutissant à ce que se trouvent côte-à-côte deux gènes normalement éloignés l'un de l'autre dans l'espace du noyau cellulaire: l'oncogène MYC et un gène codant pour une chaine - le plus souvent la chaine lourde - d'immunoglobuline. Puisque le virus HIV est incapable d'infecter les lymphocytes B, les chercheurs ont posé l'hypothèse qu'un composant du virus pouvait à lui seul jouer un rôle pathogène (Le terme pathogène (du grec παθογ?νεια !...). Parmi les quelques protéines produites par le virus une fois qu'il a pénétré les cellules qu'il peut infecter, l'attention s'est portée sur Tat. Du fait de ses propriétés physico-chimiques, cette petite protéine (Une protéine est une macromolécule biologique composée par une ou plusieurs...), dont on continue de mesurer des traces dans le sang circulant des patients même quand le virus lui-même est devenu indétectable sous l'effet des thérapies combinées, pénètre librement dans tous les types cellulaires.


Figure 2: Schéma des événements conduisant à la colocalisation des gènes MYC et IGH dans les lymphocytes B sous effet de la protéine TAT du VIH-1
© Vlada Zakharova

Les chercheurs ont mis en présence de protéine Tat purifiée des lymphocytes B normaux isolés du sang périphérique d'individus sains négatifs pour HIV. Les observations sont claires: quelques heures d'incubation (L'incubation est la période pendant laquelle les ovules sont couvés, de manière à les maintenir...) avec Tat sont suffisantes pour que se produisent des effets importants dans les cellules ainsi traitées.

Tout d'abord, le nombre de cassures de l'ADN augmente de façon significative comme le démontrent, à 6 heures d'incubation, à la fois un test de comètes qui révèle le niveau de fragmentation de l'ADN génomique, et l'apparition de foyers fluorescents dus à la phosphorylation de l'histone variante H2AX aux sites de cassure. Ces cassures chromosomiques déclenchent les processus habituels de réparation de l'ADN par jonction non homologue des extrémités des chromosomes cassés. Le point crucial ici est que ce phénomène s'accompagne de la relocalisation spécifique de l'oncogène MYC dans l'espace tridimensionnel du noyau cellulaire. Cet oncogène, normalement porté par le chromosome (Le chromosome (du grec khroma, couleur et soma, corps, élément) est l'élément...) 8, réside en périphérie (Le mot périphérie vient du grec peripheria qui signifie circonférence. Plus...) du noyau des cellules B normales. Lors de l'incubation avec Tat, une technique de fluorescence (La fluorescence est une émission lumineuse provoquée par l'excitation d'une molécule...) in situ, couplée à la visualisation tridimensionnelle, permet d'observer dans un nombre important de cellules une relocalisation de MYC vers le centre du noyau et en particulier à proximité immédiate du locus IGH, un locus actif transcriptionellement dans le lignage des lymphocytes B puisqu'il code pour les chaînes lourdes des immunoglobulines. Ce phénomène culmine à 48 heures d'incubation avec Tat, avec jusqu'à un tiers des lymphocytes B qui présentent cette colocalisation MYC-IGH, contre 3 à 5% seulement dans les cellules contrôles sans Tat. Le même phénomène se reproduit si l'on incube les lymphocytes avec un surnageant de virus HIV: si l'on retire spécifiquement la protéine Tat de ce surnageant, le phénomène est abrogé ; si l'on rajoute alors de la protéine Tat purifiée, la colocalisation est à nouveau provoquée.

Ces expériences permettent de conclure qu'à elle seule, la protéine Tat est suffisante pour induire des cassures chromosomiques spécifiques qui en 24 à 48h aboutissent à des déplacements chromosomiques majeurs rapprochant l'oncogène MYC du locus IGH (Figure 1). Ce phénomène est durable: in vitro il perdure au moins 72 heures en présence de Tat. Au-delà, ces lymphocytes B normaux commencent à souffrir, l'absence de mitogène dans leur milieu d'incubation empêchant toute activation (Activation peut faire référence à :) et a fortiori toute prolifération. En outre, la transcription de MYC est alors 2,8 fois plus élevée, de façon cohérente avec le fait que les gènes MYC relocalisés résident à proximité immédiate des mêmes usines de transcription que le locus IGH.

L'équipe s'est ensuite interrogée sur ce qui provoquait les cassures chromosomiques initiales. La protéine Tat est connue pour son rôle dans l'activation transcriptionnelle et en effet, les chercheurs ont observé l'activation rapide de la transcription du gène RAG qui code une nucléase dont le rôle dans la maturation des immunoglobulines est bien connu. En théorie (Le mot théorie vient du mot grec theorein, qui signifie « contempler, observer,...), la nucléase RAG reconnaît des séquences cibles très spécifiquement dans le locus IGH. Les séquençages génomiques ont cependant révélé qu'un grand nombre de séquences identiques ou très similaires étaient réparties à travers le génome et en particulier au niveau du gène MYC. Ceci explique pourquoi l'activation inappropriée de la transcription de RAG par Tat peut causer nombre de cassures chromosomiques indues, y compris dans le gène MYC, et résulter in fine dans la relocalisation de MYC à proximité d'IGH.

Pour savoir si ces observations expérimentales réalisées ex vivo, pouvaient avoir un équivalent chez des porteurs du virus, l'équipe Vassetzky-Lipinski s'est tournée vers le service d'immunopathologie du Professeur Eric Oksenhendler à l'hôpital Saint-Louis (L’hôpital Saint-Louis est un hôpital de l’Assistance publique -...) à Paris. Treize patients porteurs du virus et biologiquement normalisés sous l'effet du traitement, ont été prélevés, dont trois à deux reprises. De façon extrêmement frappante, le niveau de colocalisation MYC-IGH dans leurs lymphocytes B circulants s'est révélé significativement augmenté (colocalisation observée dans 22,1 % des cellules en moyenne contre 4,7% dans le groupe témoin de sujets séro-négatifs), avec des niveaux très élevés pouvant dépasser 35% chez certains patients (Figure 2).

La persistance du virus HIV dans certains réservoirs cellulaires se traduit par la production à très bas bruit de protéine Tat détectable dans le sérum des patients concernés. Quelques nanogrammes par millilitre sont suffisants pour susciter des cassures dans l'ADN des cellules B où Tat pénètre ainsi qu'une relocalisation durable de l'oncogène MYC à proximité du locus IGH dans ces lymphocytes par ailleurs parfaitement normaux. Ce haut niveau de colocalisation MYC-IGH augmente fortement le risque de cassure collatérale dans MYC quand, lors de la maturation de la cellule B, le gène IGH est à nouveau coupé physiologiquement pour son remaniement ultime sous l'influence de l'enzyme AID. Les risques sont corrélativement multipliés qu'une réparation erronée aboutisse à une translocation réciproque (La réciproque est une relation d'implication.) entre les chromosomes 8 et 14 avec pour résultat oncogénique la juxtaposition des gènes MYC et IGH. Il sera particulièrement intéressant d'analyser ce qui se passe chez les sujets traités par des inhibiteurs de l'intégrase d'HIV qui pourraient également inhiber l'activation de RAG du fait de similitudes structurales.

En toute hypothèse, cette démonstration que la réorganisation de territoires chromosomiques peut être induite par une simple protéine virale dans une cellule que le virus correspondant n'infecte pas, révèle un nouvel aspect dans la diversité des événements qui peuvent aboutir à des processus de transformation maligne.
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