Vers une prévision de la météo dépassant la semaine

Publié par Michel le 31/10/2008 à 00:00
Source et illustration: CNRS / INSU
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Dans une étude publiée dans Nature, Christophe Cassou du CERFACS (Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique) montre que les régimes de temps Nord Atlantique d'hiver sont influencés, via l'atmosphère, par la variabilité climatique tropicale à l'échelle intrasaisonnière. Ce résultat ouvre des perspectives prometteuses dans le domaine de la prévision météorologique hivernale sur l'Europe: celle-ci pourrait être étendue au-delà d'une semaine, une échéance considérée jusqu'à présent comme une limite.


Anomalie journalière de pression de surface (millibar) correspondant aux quatre régimes
de temps d'hiver (de novembre à mars) sur l'Atlantique Nord.
Le pourcentage représente l'occurrence moyenne de ces régimes
sur la période 1974-2007

Une grande partie des fluctuations de température et de précipitation sur l'Europe, de l'échelle météorologique (variabilité journalière à hebdomadaire) à l'échelle climatique (variabilité mensuelle à décennale), est liée à l'existence de "régime de temps" (états préférentiels de l'atmosphère) sur un domaine Nord Atlantique étendu. De manière traditionnelle, on distingue quatre régimes: les régimes NAO+ et NAO- liés à la différence de pression atmosphérique entre la Dépression d'Islande et l'Anticyclone des Açores, et les régimes de dorsale et de blocage (voir encart). Ce concept de régimes (approche dite "épisodique") permet d'interpréter les fluctuations météorologiques comme la transition entre deux régimes et les fluctuations climatiques comme l'occurrence privilégiée d'un régime donné sur une période donnée, et ainsi de percevoir de manière plus concrète le lien météo/climat à nos latitudes moyennes. La question que se posent les chercheurs est de savoir si l'atmosphère de l'Atlantique Nord transite de manière aléatoire entre ces quatre régimes, ou bien si des conditions "extérieures" peuvent favoriser l'occurrence d'un régime particulier au détriment des autres. La faible prévisibilité déterministe de la météorologie au-delà du temps de vie caractéristique des régimes (de l'ordre de la semaine) donnerait à penser que la première hypothèse est la bonne... Pourtant Christophe Cassou vient de montrer qu'il n'en est rien.

Dans les tropiques, la variabilité intrasaisonnière est largement dominée par l'Oscillation dite de Madden-Julian (MJO). Comme la NAO, la MJO est caractérisée, entre autres, par une oscillation de pression atmosphérique à laquelle sont associés des épisodes de précipitations intenses sur certaines régions (convection (1)) et des anomalies de vents à la fois de surface et d'altitude sur l'ensemble de la bande tropicale. À la différence de la NAO, l'équilibre de pression de la MJO ne se fait pas selon la direction nord-sud (Islande-Açores) mais dans la direction est-ouest, et les noyaux de haute et basse pression ne sont pas statiques, mais se propagent d'ouest en est le long de l'Équateur avec une période comprise entre 20 et 60 jours. Ainsi, lorsque la convection est renforcée à grande échelle sur l'océan Indien et l'ouest du Pacifique (baisse de pression, précipitations marquées, etc.), elle est inhibée sur l'est du Pacifique et l'Atlantique tropical (hausse de pression, conditions sèches, etc.), le tout se propageant vers l'est pour aboutir en moyenne 20 jours plus tard à l'inverse, en première approximation. La MJO est traditionnellement divisée en 8 phases d'une durée d'environ une semaine, qui décrivent son évolution temporelle et spatiale, ainsi que son intensité, sur toute la planète.

Y a-t-il un lien entre l'évolution oscillatoire de la MJO et la nature épisodique des régimes Nord-Atlantique ? Pour tenter de répondre à cette question, Christophe Cassou a compté le nombre d'occurrence de chaque régime en fonction de chaque phase de la MJO, en introduisant un déphasage progressif entre MJO et régimes. Il a ainsi pu montrer que certaines phases de la MJO précèdent l'occurrence de certains régimes, en particulier les régimes NAO en période hivernale (voir la légende complète de la Table de contingence ci-dessous).
Il a également montré que les véhicules physiques de la connexion MJO-NAO hivernale sont les ondes de Rossby atmosphériques planétaires (2) dites "forcées" et les tempêtes associées au jet-stream (3) de l'hémisphère Nord. Ainsi, les régimes NAO+ sont excités par une onde de Rossby initiée dans le Pacifique Ouest lors de la phase 3 de la MJO, dont la signature se propage le long du jet-stream (au-dessus du Pacifique puis de l'Atlantique) jusqu'en Europe via les tempêtes. Quant à l'excitation des régimes NAO-, elle est associée à une onde de Rossby initiée par la MJO dans le Pacifique Est-Caraïbes durant la phase 6-7 et qui vient affecter la course et l'intensité des tempêtes hivernales de l'Atlantique Nord, alors portées par un jet-stream intense sur le bassin Atlantique et décalé vers le sud. Le régime NAO+ répond donc à une sollicitation à distance venant du Pacifique, alors que le régime NAO- se développe préférentiellement in situ.

La prise en compte de cette connexion tropique-extratropique permet d'envisager une prévisibilité plus grande en terme de probabilité de la NAO d'hiver, qui pourrait aller bien au-delà des quelques jours d'échéance traditionnellement considérés comme limite. Des tests préliminaires confirment déjà le caractère prometteur de cette approche.
Cette étude souligne combien il est important de considérer le climat comme un continuum d'échelles à la fois dans l'espace et dans le temps, et combien la séparation entre météo et climat dans sa définition classique, est de plus en plus contestable, ou en tout cas artificielle, en particulier à nos latitudes moyennes.

Les régimes de temps européens

Les deux compères, Dépression d'Islande et Anticyclone des Açores, marchent généralement ensemble, en particulier en hiver: quand la Dépression d'Islande se creuse, l'Anticyclone des Açores se renforce, et inversement. Dans le jargon des climatologues, ce balancier de pression entre ces deux centres d'action porte le nom d'Oscillation Nord Atlantique (NAO pour North Atlantic Oscillation). On parle de phase positive, ou de régimes NAO+, lorsque les deux centres d'action sont simultanément intensifiés, et de phase négative, ou de régimes NAO-, lorsqu'ils sont simultanément affaiblis. Dans le cas NAO+, les tempêtes hivernales ont tendance à suivre une course plus septentrionale: l'Europe méditerranéenne reste sèche, alors que l'Europe du Nord connaît des conditions douces mais humides. Et inversement pour le régime NAO-, en première approximation.

Ces régimes NAO sont présents environ la moitié du temps, le reste des jours étant dominé par deux autres régimes: le régime de dorsale et le régime de blocage. Le régime de dorsale se caractérise par une extension vers le nord de l'Anticyclone des Açores qui va jusqu'à couvrir une grande partie de l'Atlantique. L'Europe de l'Ouest est alors sèche, car les fronts sont rejetés sur la Scandinavie ou passent plus au sud (Maghreb). Le régime de blocage est dominé par un anticyclone sur la mer du Nord / Scandinavie qui induit des descentes d'air froid d'origine ouest-sibérienne. Il est généralement, avec la NAO-, à l'origine des grandes vagues de froid sur la France.


Notes:

(1) En météorologie, on appelle convection "tout processus de transport vertical de l'air entretenu par une ascendance due à la présence d'une instabilité". Cette convection peut être libre, i.e. associée à un différentiel thermique entre l'air de surface et l'air d'altitude, ou forcée par une convergence d'air due au vent de surface qui impose alors localement des mouvements verticaux par compensation. La convection est à l'origine des effets de brise, des orages (nuages convectifs), des lignes de grains... induisant de fortes précipitations. La convection est le processus météorologique et climatique dominant dans les tropiques.

(2) Les ondes de Rossby atmosphériques planétaires dites "forcées" sont des ondes atmosphériques longues (longue période et longue distance) essentiellement engendrées par des anomalies de convection atmosphérique dans les tropiques et qui se propagent de l'Équateur vers le nord-est, jusqu'aux moyennes et hautes latitudes, en suivant un grand arc.

(3) Les courants-jet ou jet-streams sont deux tubes de vent fort (un dans chaque hémisphère) tout au long desquels se développent des tempêtes, chacun d'eux formant pratiquement une ceinture qui tourne en ondulant autour de la Terre d'ouest en est aux latitudes comprises entre 30 et 50o et à 10 km d'altitude environ. Leur existence provient de la recherche d'un double équilibre thermique de la part de l'atmosphère, entre les zones froides (les pôles) et chaudes (les tropiques et l'équateur) d'une part, et entre les zones proches du sol (qui se réchauffent à son contact) et en altitude (qui ont tendance à se refroidir) d'autre part. De par la présence des continents, le jet de l'hémisphère Nord a tendance à se scinder en deux, un morceau sur le Pacifique et un autre sur l'Atlantique.


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