jyb a écrit :Les sondes de Pitot, qui ont été mises en avant dans la presse, n'ont pas forcément joué un rôle aussi grand que supposé au début. En revanche, leur panne de départ ajoutée à d'autres éléments rendant des informations « étonnantes » ont pu contribuer à rendre la situation moins compréhensible pour les pilotes.
Les pilotes ont aussi été perturbés par les turbulences qui les forçaient à faire en permanence des actions pour contrebalancer les mouvements de roulis.
La grande nouveauté qu'apporte la note du BEA est la persistance des pilotes à maintenir l'avion cabré. Cette action a maintenu l’appareil dans une situation de décrochage et a prolongé sa chute jusqu'à l'impact.
Reste à savoir pourquoi avoir entrepris de telles actions ? Là encore, nous ne pouvons faire que des hypothèses qui restent à vérifier :
- au début, les pilotes ont pu ne pas s'apercevoir qu'ils étaient en chute, mais ce n'était plus le cas au moins à partir de 2h 13 minutes et 32 secondes, lorsque l'avion passe sous les 3000 m
?? - application d'une procédure non adaptée au cas d'un décrochage prolongé (lié à la formation des pilotes et des procédures enseignées par la compagnie)
?? - erreur dans l'application des procédures (mais il est à priori étonnant qu'aucun des trois membres d'équipages présents ne l'ait remarqué)
- l'inversion contre-intuitive de la réaction de l'alarme de décrochage lorsque l'un des pilotes met l'avion en position moins cabrée a pu renforcer la conviction des pilotes sur l'action à faire
- les turbulences et la tension ont pu provoquer un stress très important et certainement perturber les pilotes dans leurs décisions, tout comme le doute sur le bon fonctionnement des instruments.
Comme déjà énoncé, le BEA n'a pas communiqué l'ensemble du contenu des boites noires. Les enquêteurs ont donc en main d'autres éléments, mais surtout, là où nous nous contentons d'expliquer la note et d'énoncer certaines hypothèses ou pistes, le BEA devra démontrer ses conclusions. Il s'agit d'un travail de longue haleine qui reste à accomplir.
Bravo pour ce dossier, vraiment excellent, et notamment aux précisions essentielles, que je n'avais pas perçues jusqu'alors, qui concerne
l'alarme de décrochage :
- qui
se déclenche au début alors qu'il n'y a probablement pas vraiment de décrochage ("vent vertical suffisamment violent pour que l'incidence de l'écoulement d'air sur les ailes soit perturbé")
- qui retentit à nouveau ("02:10:51 - 02:11:07 : nouvelle alerte de décrochage") : "L'altitude continue de monter, montrant que l'avion n'est pas complètement en décrochage. .. " mais cette alerte pourrait indiquer un danger très proche de décrochage : "Avec un angle de 16°, l'avion a un angle de cabré digne d'un avion au décollage, bien au delà de ce que peuvent indiquer des procédures. L'avion est donc à cet instant dans une position dangereuse."
- qui
s'arrête (02:11:40 : le commandant dans le cockpit, l'avion chute) parce que l'incidence est trop forte et/ou la vitesse -horizontale- est trop faible ("les tubes de Pitot qui ne peuvent alors plus mesurer correctement la vitesse. ... l'incidence n'est plus prise en compte, ce qui entraine un arrêt de l'alarme de décrochage. ")
alors que "la vitesse verticale est de -10 000 pieds / minute, soit une descente à 183 km/h", donc
très forte ce qui est bien sûr
très paradoxal, et source de grande confusion- qui
se réenclenche alors que le pilote fait ce qu'il convient de faire (!!) (2h 12mn et 17 secondes : "L'un des pilotes pousse le mini-manche ce qui réduit l'incidence de l'avion. Les indications de vitesse repassent au-dessus de 60 nœuds (110 km/h), l'alarme de décrochage se réenclenche"), ce qui est
encore plus paradoxal, et maintient une grande confusion
- qui disparaît à nouveau probablement lorsque le pilote "continue les mêmes actions à savoir de maintenir un angle de cabré fort", ce qui est toujours paradoxal puisque la vitesse verticale atteint " -10912 pieds / minutes (soit 200 km/h en descente)" alors que la vitesse horizontale est de l'ordre de "107 nœuds (soit 197 km/h)", donc très faible.
Le fait essentiel, à la lecture de l'article,
est l'alerte de décrochage qui fonctionne au contraire de ce qui devrait se passer, parce que l'on est sorti du domaine de vol normal (on en est très loin !).
Les sensations inexistantes de chute, les turbulences (focalisant les pilotes sur autre chose : roulis, tangage), et le stress lié à l'absence d'indication de vitesse (ne serait-ce que 1 minute), qui a tendance à ne plus avoir confiance dans les instruments, tout ceci ne peut que renforcer la confusion.
Il est hautement probable qu'il y a dû y avoir des échanges vifs entre les différents pilotes, l'un au moins se rendant compte de la situation (et c'est probablement celui qui avait essayé de mettre l'avion en piqué), alors qu'un au moins un autre, probablement les deux autres, souhaitai(en)t maintenir l'avion très cabré.
En fait
il est très probable que plusieurs pilotes aient conclu que l'horizon artificiel donnait de mauvaises indications, affichant un léger cabré alors qu'ils avaient l'impression de foncer à piqué (ce qui expliquait une forte descente). Dans ce cas,
la volonté de cabrer correspondait à redresser la position de l'avion, alors qu'elle aggravait le décrochage, donc la chute...
Dans ce cas et s'il n'y avait pas eu stress ou confusion (et flou sur qui commandait, voir ci-dessous), les pilotes se seraient rendu compte de l'aspect illogique de leur raisonnement, puisque pousser sur le balai (peu de temps) n'aurait pas dû déclencher l'alerte de décrochage, ET au contraire dû augmenter la chute.
il est probable que si l'action de pousser sur le manche avait duré un peu plus longtemps, ils se seraient rendu compte que la vitesse verticale diminuait, ce qui montrait qu'ils étaient sur la bonne voie avec cette action.
Mais il faut tenir compte d'un autre élément, essentiel en période de crise (besoin d'un seul chef, encore plus essentiel qu'en temps normal) : du fait que le commandant de bord revenait de son repos, il y a eu une transition pendant laquelle il y avait
un flou sur qui était vraiment le chef. Cela n'aurait pas été gênant dans une situation normale, au bout qq instants la situation aurait été rétablie, mais là il a suffi de 3 minutes pour précipiter l'avion dans l'océan.
Si les éléments ci-dessus sont corrects, alors ce serait une nouvelle confirmation de ce que :
- les accidents sont généralement liés à plusieurs causes
- les aspects techniques sont bien moins souvent en cause (ici l'absence d'indication de vitesse n'aura duré qu'une minute) que les facteurs humains ; sauf qu'ici l'alerte de décrochage a sembler fonctionner à l'inverse de la réalité
- la nécessité d'avoir un seul chef
Il est hautement probable que les échanges (non publiés) dans le cockpit donnent des informations complémentaires sur ce que les pilotes croyaient. Et confirmeraient, ou infirmeraient, les éléments exposés ici.
Dans le cas où il y aurait confirmation,
plusieurs recommandations découleraient de ces conclusions :
- chercher à reproduire les hypothèses indiquées ci-dessus, sur simulateur, et voir si le simulateur donne des indications conformes à ce qui résulte des boîtes noires.
Si OUI, alors bravo au simulateur, mais il faut modifier l'alerte de décrochage, par exemple avec une indication de son proportionnelle à l'ampleur du décrochage (pour constater si l'on s'éloigne du décrochage en faisant une action, ou si l'alerte disparait du fait d'une absence de mesures pertinentes) ; et vérifier avec des instructeurs ce qu'il faudrait faire ; et probablement modifier les procédures.
Si NON, alors corriger le simulateur, de telle sorte à pouvoir reproduire les phénomènes constatés, et voir plus haut (mêmes autres conclusions, après correction du simulateur).
- essayer de compenser l'absence de mesures fiables par utilisation du GPS, et/ou EGNOS (etc.) pour mesurer l'altitude, et la vitesse horizontale sol, et la vitesse verticale sol ; ou autre source d'information (laquelle ?), pour notamment éviter d'arrêter l'alerte alors qu'elle devient encore plus nécessaire !
- bien sûr imposer d'afficher l'angle d'incidence, alors que cet affichage semble être en option pour les compagnies d'aviation, à l'achat de l'avion
- essayer de trouver un palliatif à la situation du commandant de bord qui revient de son repos : à quel moment reprend il les commandes ?
Voilà, merci de me donner vos commentaires,