Publication a écrit :Les neutrinos électroniques ue sont produits lors des réactions de désintégration beta: N -> p + e- + anti(ue)
Depuis la fin des années 70, la mesure de la masse du ue est réalisée à partir des spectres de désintégrations beta. Dans une désintégration beta, on mesure avec un spectromètre magnétique l’impulsion ou l’énergie des électrons qui s’échappent. Cette énergie présente l’allure d’un spectre continu qui va de zéro à une valeur maximale égale à la différence d’énergie entre l’atome père et l’atome fils. C’est là où le neutrino intervient : s’il a une masse, même s’il sort de la désintégration avec une impulsion nulle, il faudra soustraire la valeur de cette masse à l’énergie maximale possible de l’électron. L’existence des neutrinos a d’ailleurs été postulée par Pauli pour que le principe de conservation de l'énergie soit vérifié lors de cette désintégration. Le spectre des électrons sera donc légèrement modifié. En 1936, un physicien américain, Frank Kurie, propose une représentation graphique simple du spectre des électrons. Cette représentation graphique est en fait une droite obtenue en traçant la racine carrée du nombre d'événements divisé par le carré de l’impulsion en fonction de l'énergie de l’électron.
Fig. 2: Diagramme de Kurie représentant la mesure de l’énergie de l’électron issu d’une désintégration beta
Si le neutrino a une masse, la droite observée expérimentalement doit s’incurver avant de couper l’axe des abscisses
D’après "La lumière des neutrinos" par Michel Cribier, Michel Spiro, Daniel Vignaud éditions du Seuil 1995 Paris Si le neutrino a une masse, si faible soit-elle, la droite s’incurvera légèrement et interceptera l’axe un peu avant la valeur maximale possible. La différence entre ces deux valeurs représentera simplement la masse du neutrino. Cependant au niveau expérimental les choses sont un peu plus compliquées, pour au moins trois raisons. La première est que le point ou la droite va intercepter l’axe correspond à un nombre d'événements très faibles, il faudra donc que l’appareil fonctionne suffisamment longtemps, au risque d’avoir des dérives systématiques qui nuiraient à la fiabilité. La seconde est que la précision des mesures doit être meilleure que la masse du neutrino que l’on cherche à mesurer. Or le meilleur spectromètre a ses limites. La troisième est que les atomes radioactifs dont on mesure la disparition se trouvent, en général, à l’intérieur d’un cristal et que les électrons risquent d’y perdre un peu de leur énergie avant d’en sortir. Bref il va falloir beaucoup de patience et de ruse aux expérimentateurs pour réduire les sources d’incertitude.
A l’heure actuelle la plus précise de ces mesures permet d’atteindre une limite supérieure de 8 eV pour la masse des neutrinos mais pas de minoration pour cette masse.
Cependant au plus profond du brejnévisme, un petit groupe de Moscou, dirigé par le professeur Lyubimov, a attiré l’attention en annonçant avoir mesuré une déformation de l’extrémité du spectre des électrons issus du tritium. L’équipe soviétique conclut que le neutrino ue a une masse comprise entre 16 et 46 eV. Le tritium analysé provenait d’une feuille de valine (une molécule organique). Le principal problème provient de la validité de l’approximation atomique utilisée pour décrire la molécule de valine qui supporte le tritium. Tous les auteurs sont d’accords pour dire que le spectre des électrons provenant de la désintégration d’un atome de tritium est différent de celui d’un tritium piégé dans un complexe moléculaire compliqué. Les divergences portent sur le résultat du calcul. D’où une controverse car d’autres groupes ont atteint la même sensibilité sans pour autant voir l’effet attendu. Il n’est donc pas possible d’attribuer beaucoup de crédit à cette expérience.
De plus avec la majoration de 8 eV (obtenue par une équipe américaine de Los Alamos et une équipe japonaise de Tokyo) il semble que nous atteignions les limites de ce que nous pouvons apprendre en utilisant cette méthode directe. On voit mal d’ailleurs comment améliorer la résolution des spectromètres pour gagner encore un ordre de grandeur, c'est-à-dire descendre la limite, ou mesurer, en dessous de 1 eV.
Cependant la supernova SN1987A nous a permis de vérifier cette majoration de masse. L’explosion d’une supernovae est en effet quasi instantanée, une dizaine de secondes. L’énergie des neutrinos émis va de quelques MeV à quelques dizaines de MeV, avec une moyenne d’une quinzaine de MeV. Si les neutrinos sont massifs, les plus énergétiques voyageront un peu plus vite. On observera à la fois un étalement de leur arrivée dans le temps par rapport à ce qui est prévu et le spectre de l’énergie en fonction du temps sera déformé. Cette méthode souffre néanmoins de lourdes incertitudes (notamment au niveau des modèles d’explosion de supernovae et à cause du faible nombre de neutrinos détectés), c’est pourquoi elle ne permet que de vérifier l’ordre de grandeur des majorations obtenues précédemment (par cette méthode on obtient:
La méthode directe permet, d’une façon analogue, de majorer la masse des neutrinos muoniques et tauiques. Cependant les incertitudes associées à ces mesures sont plus grandes encore car elles mettent en jeu un plus grand nombre de particules. Par ces méthodes on obtient:
En définitive on constate qu’il semble que l’on aient atteint les limites de la méthode directe, tout du moins vis à vis des technologies disponibles. Cette méthode ne nous permet pas, à l’heure actuelle de trancher sur la question de la masse des neutrinos. C’est pourquoi d’autres techniques sont utilisées pour tenter de percer le secret de la masse des neutrinos.