Du X15 à la navette spatiale

Publié par jyb le 21/07/2011 à 12:51

1 - Introduction

Une page de l'histoire de la conquête spatiale se tourne en ce jeudi 21 juillet 2011. Après 30 ans de service, la navette spatiale américaine prend sa retraite. L'atterrissage de la navette Atlantis marque en effet la fin de la carrière de cet avion spatial qui aura suscité à la fois de grands espoirs et de grandes controverses.

Nous allons le voir, l'histoire de la navette spatiale en elle-même est encore plus ancienne. A peine le mur du son est-il à peu près maîtrisé, que des ingénieurs rêvent d'aller plus loin, d'envoyer des avions là où aucune autre machine n'est allée auparavant: dans l'espace ! La navette spatiale a eu une gestation pour le moins difficile. Entre impératifs économiques, difficultés techniques et grandes ambitions, les ingénieurs ont dû faire des compromis pour arriver à la réalisation de l'engin. C'est cette histoire que nous allons vous raconter.


Bill Dana, pilote d'essai de la NASA devant un prototype à corps-portant, le Northrop HL-10


lM2-F1: l'un des avions d'essais utilisé pour étudier le concept de navette spatiale


Une image devenue presque habituelle ces trente dernières années

2 - Années 50: de Mach 1 à l'espace

L'idée d'un avion spatial remonte aux années 1950. A cette époque, la NASA n'existe pas, les recherches aéronautiques et spatiales sont menées par la NACA (National Advisory Committee for Aeronautics c'est-à-dire Comité Consultatif National pour l'Aéronautique). La plupart des travaux sont alors menés en étroite collaboration avec l'armée de l'air, la toute jeune USAF, indépendante de l'US Army (armée de terre) seulement depuis 1947.

X15: de l'avion haute vitesse à l'avion spatial

Le but initial du X15 était d'étudier les très hautes vitesses et les hautes altitudes. Cette série d'avions expérimentaux allait dépasser les objectifs initiaux. Le X15 est ainsi le premier avion à avoir atteint l'espace. Au delà des réussites symboliques, le X15 va démontrer de nombreuses limites des technologies employées à commencer par le vol en haute vitesse.


Plusieurs vols du X15 permettent d'atteindre des vitesses phénoménales comprises entre mach 6 et mach 7. Mais lors de ces vols, les ingénieurs doivent ajouter une couche de protection éphémère qui est peu à peu consumée par la chaleur, en pratique, l'appareil ne pourrait supporter ces vitesses de manière prolongée.

Le problème est qu'un appareil en orbite ne se contente pas de vitesses de l'ordre de 7000 km/h, mais doit faire une rentrée atmosphérique à une vitesse de l'ordre de 28000 km/h. Les technologies mises en œuvre pour le X-15 ne permettent donc pas de réaliser un avion orbital.


Le North American X-15 en vol

X20 Dyna Soar: la navette spatiale de l'armée de l'air américaine

Le projet X20 est lancé en 1957, Spoutnik ne fait pas encore de bip bip dans l'espace mais la NACA pense sérieusement à cette navette. Les ingénieurs du projet avaient déjà réuni les grandes lignes de ce qui deviendra la navette spatiale que nous connaissons dans ce projet.


L'idée de base était de concevoir un avion militaire capable de faire des observations au-dessus de l'URSS en étant hors de portée des missiles ainsi que de saboter ou détruire les satellites ennemis. L'entrée en service de plusieurs X20 Dyna Soar est prévue dans le courant des années 60 avec un premier vol habité en 1965.

Les premiers succès spatiaux de l'URSS, à savoir la mise en orbite de Spoutnik et le premier vol habité de Youri Gagarine, vont mettre les États-Unis sous pression. Souhaitant ne pas prendre trop de retard symbolique, le gouvernement américain privilégie d'abord le programme Mercury, nettement plus simple et permettant un succès rapide. Par la suite, souhaitant devancer les soviétiques, John Kennedy lance la NASA sur le programme lunaire, ce dernier allant lui employer une très grande partie de son budget. Le programme militaire du X-20 Dyna Soar fait les frais de ces orientations.

Lors de l'abandon du programme en 1963, la construction du premier prototype avait déjà commencé. Une maquette grandeur nature a déjà été construite et les premiers astronautes militaires ont commencé à se préparer. L'USAF est fortement soupçonnée d'avoir cherché à concevoir un successeur au Dyna Soar dans les années 60, mais sans budget suffisant et au milieu de programmes parfois concurrents (le fameux Blackbird YA12 et les satellites espions).


Maquette grandeur nature du X-20 Dyna Soar (image USAF)

3 - Années 60: à l'ombre du programme lunaire

Contexte pas si négatif

Les années 60 sont des années de paradoxe. Le programme X20 Dyna Soar est techniquement très avancé et doit permettre aux USA de disposer d'un avion spatial multi-rôles dès le milieu des années 60. Cependant, les réussites soviétiques de Spoutnik et du vol de Youri Gagarine font que l'administration va privilégier les solutions simples des capsules pour rattraper le retard et aller le plus rapidement possible sur la Lune.

Pour autant, si le programme très militaire du X20 est abandonné, les chercheurs et ingénieurs travaillant dans le domaine de l'aérospatiale n'abandonnent pas l'idée d'un avion spatial. En fait, ils sont nombreux à penser que les capsules ne sont qu'une parenthèse et qu'une fois le programme Apollo fini, ce sera l'aire des avions de l'espace.

Du coup, à l'ombre des programmes Gemini et Apollo, les travaux pour un futur avion spatial continuent et progressent même rapidement. Le X-15 poursuit ses exploits et apporte de plus en plus d'enseignements tandis que de nouveaux travaux se concentrent plus particulièrement sur le passage du vol orbital au vol plané.

Un état de l'art qui reste à améliorer

Moins connu que le programme Apollo 11, le programme des planeurs orbitaux (appelé PILOT) constituait aux yeux de la NASA la voie de l'avenir. Le but de ces recherches est d'étudier des concepts d'avions spatiaux capables de retourner sur Terre après un vol orbital. Car si les ingénieurs ont pu étudier avec succès un vrai avion spatial avec le X-15, ils savent qu'il reste encore fort à faire pour concevoir un avion orbital. L'un des problèmes à résoudre est notamment celui de la vitesse.

Un avion orbital doit être capable, une fois en orbite de revenir dans l'atmosphère alors qu'il avance à environ 28 000 km/h. Il doit donc résister à une très violente rentrée dans l'atmosphère, comme le font les capsules munies d'un lourd bouclier. Surtout, un tel appareil doit rapidement retrouver sa fonction d'avion une fois dans l'atmosphère, l'ensemble des volets devant être fonctionnels.

Si on revient au X-15, nous avons un appareil capable certes d'atteindre l'espace, mais en vol balistique. La vitesse de rentrée dans l'atmosphère est alors nettement plus lente. Le même avion a aussi atteint de très hautes vitesses, de l'ordre de Mach 7. Mais il a alors montré ses limites: les ingénieurs devant ajouter une couche supplémentaire d'isolant qui se consume lors du vol. En réalité, si un X15 avait été mis en orbite, il se serait désintégré lors de son retour dans l'atmosphère.

Les appareils à corps portant

C'est là qu'un nouveau concept voit le jour: celui du "corps portant". Il s'agit d'appareils dépourvus d'ailes mais dont le fuselage a une forme particulière pour générer de la portance. Le principe peut sembler proche de l'aile volante, mais il est vraiment difficile de parler d'aile. De plus, les contrôles fonctionnent de manière complètement différente.


Le M2-F1

Le principal avantage du concept est de présenter moins de surface lors de l'entrée en atmosphère qu'un avion avec de vraies ailes. Non seulement la fatigue de la structure est réduite, mais il est plus facile de maintenir la stabilité de l'appareil. Par contre, une fois dans l'atmosphère, un avion à corps portant nécessite des vitesses de vol plus élevées et une plus grande distance de freinage.

Plusieurs séries de prototypes furent construites et expérimentées, la plupart avec succès, et ont permis de recueillir de nombreuses informations sur les vols après entrée atmosphérique. Les avions à "fuselage portant" ont alors les faveurs de la NASA.

Les premiers modèles présentent un corps bombé mais obtiennent d'assez bons résultats. Avec le Martin Marietta X24, les ingénieurs passent du corps bombé à une forme Delta à ventre plat qui donnera également de bons résultats. Ainsi amélioré, le X-24 "A" devient le X-24-B. La forme en flèche avec surface plane sera d'ailleurs retenue sur nombre de projets de la navette.


Le X-24-B est l'aboutissement des avions à corps portant

Bien sûr, si tous ces appareils sont au moment de l'atterrissage des planeurs sans aile, leur vitesse de vol sont nettement plus élevées que celle d'un planeur normal, avec une vitesse lors du touché au sol supérieure à 400 km/h. Au niveau de la portance pure, les ailes de planeurs classiques restent nettement plus efficaces.

Premières esquisses d'avion orbital

C'est dans les années 60, en parallèle de ces essais grandeur nature que des études préliminaires scrutent différents concepts d'engins spatiaux réutilisables. Ce sont à partir de ces études que le projet de la navette spatiale que nous connaissons sera lancé.

On notera le projet Star Clipper d'une grande aile Delta volante qui serait simplement complétée d'un énorme réservoir en V pour le décollage. Bien que non entièrement réutilisable, il s'agit d'un projet qui n'implique qu'un seul véhicule.

4 - De 1969 à 1972: la navette spatiale prend forme

Cette fois, c'est la bonne. Alors que le monde a les yeux rivés sur le programme Apollo, la NASA prépare très activement la relève avec le programme de navette spatiale. Les premières esquisses sont celles d'un couple avion-porteur – avion-orbital aux formes particulièrement élancées. L'avion orbital est alors de taille nettement plus modeste que la navette définitive.

Premier cahier des charges

Au début du projet, les besoins ne sont pas encore clairement définis, la masse maximale à transporter varie de 6 à 20 tonnes. Le déport (la capacité de la navette à changer de trajectoire lors d'une rentrée atmosphérique) varie de 400 à 2800 km.

Il y a au début du projet deux visions différentes de ce que doit être la navette. La NASA privilégie un engin aux performances plus réduites mais aux technologies plus avancées. L'idée est celle d'un engin entièrement réutilisable, éventuellement composé d'un avion-fusée porteur et d'un avion orbital. Le lanceur pourrait mettre en orbite la plupart des satellites classiques et ramener du fret sur Terre. L'objectif principal de la navette est aussi de ravitailler une station orbitale qui est également dans les cartons de la NASA.


Plusieurs concepts étudiés en 1969

Entre 1969 et 1970, plusieurs formes sont étudiées et concernent souvent des orbiteurs de taille assez réduite soutenus au décollage par un engin porteur de grande dimension. Au niveau des formes, les constructeurs étudient des formules très différentes:
- corps portant ressemblant à des HL-10 agrandis
- appareil avec petites ailes droites à la manière du F-104
- appareil avec voilure Delta ou double Delta
- Lockheed propose toujours son Star Clipper composé de deux engins en forme de triangle.


Différents concepts étudiés au début de 1970

Le projet se complique

L'armée américaine, suite à l'abandon du Dyna Soar, n'a plus vraiment de projet réaliste de navette spatiale. Elle utilise en outre des lanceurs classiques pour ses satellites. Dans ces circonstances, pour se passer des lanceurs traditionnels devenus fiables et participer au programme de la navette spatiale, l'armée a des exigences pour le moins élevées.

Les exigences des militaires sont les suivantes: la navette doit pouvoir mettre en orbite des charges de 23 000 Kg et doit pouvoir atterrir très rapidement près du lieu de décollage. Ce dernier point implique un déport latéral de 2800 km. La taille de la soute est, elle aussi, soumise à une exigence de longueur de plus de 18m. Une dernière exigence est l'exclusion de titane dont l'approvisionnement peut s'avérer problématique en cas de conflit, cela complique bien sur un peu plus la conception de la navette. En résumé, l'armée désire un gros porteur agile alors que la NASA penche plutôt pour un engin de taille plus réduite et plus simple à produire.

Cependant, après le succès lunaire et alors qu'une certaine détente débute dans les relations entre les États-Unis et l'URSS, la course à l'espace perd en importance. Pour pouvoir être financée, la NASA est obligée de démontrer la rentabilité économique de la navette spatiale par rapport aux lanceurs classiques. Un rapport démontre effectivement que la navette est un moyen plus économique de lancement que les fusées classiques. Mais il se base sur des données optimistes:
- chacun des engins doit pouvoir repartir deux semaines après un atterrissage
- la flotte des navettes doit pouvoir assumer 50 à 70 vols par an
- même dans ces conditions, il faut que cet engin assure 100% des mises en orbite, que ce soient des engins civils ou militaires.

La NASA doit donc se résoudre à accepter un appareil conforme aux souhaits des militaires et les appels d'offres à l'étude s'orientent pour des engins plus lourds. Les différentes études convergent sensiblement:
- décollage vertical
- engin porteur et navette sont accolés
- la navette est située à la base de l'engin porteur (ce qui limite les possibilités d'évacuation)
- abandon des corps portants pour des avions ailés
- la navette assure une grande partie de la poussée et s'alourdit un peu plus.

Une contrainte supplémentaire est l'absence d'engin intermédiaire qui permettrait d'obtenir plus d'enseignements sur l'utilisation d'une navette. Il faut rappeler que le programme lunaire comprenait un avant-programme Gemini qui a permis de mettre au point les différentes technologies du vaisseau Apollo. La navette spatiale devra être parfaite du premier coup !

Une petite coupe budgétaire en plus

En 1971, la NASA semble avoir réussi à trouver un cadre pour sa navette spatiale, trois consortiums travaillent alors sur ses appels d'offres. Cependant, le nouvel engin ne dispose pas de budget affecté. Finalement, le financement alloué est nettement plus réduit que prévu alors que le projet retenu est le plus ambitieux, c'est à dire un engin capable de placer près de trente tonnes en orbite. La seule bonne nouvelle est l'exigence de déport qui est réduit à 2000 km.

Le projet final:
- 29,5 tonnes de charge utile
- soute de 18m x 4,5m
- déport latéral de 2350 km

Cette réduction de budget a deux conséquences:
- la date initiale du premier vol fixé en 1977 semble intenable
- l'avion porteur se transforme en simple étage de fusée d'appoint non réutilisable.

Un nouvel appel d'offres est lancé pour une solution de fusée porteuse. Si certaines solutions placent la navette au sommet d'un étage de fusée, la solution retenue est une solution qui privilégie une récupération maximale et donc une solution porteuse à minima:
- la poussée est en grande partie fournie par la navette
- la majeure partie de l'étage porteur est un simple réservoir
- deux boosters à poudre sont ajoutés pour fournir une poussée apte à faire décoller l'ensemble


C'est ce concept qui est finalement retenu en 1972

Le principal avantage réside dans l'optimisation de la partie réutilisable par rapport aux éléments à usage unique. Le principal inconvénient est la complexité de l'orbiteur qui prend de plus en plus de fonctions lors du vol. De plus, contrairement à certains avant-projets, en cas d'accident au décollage, les possibilités de secours sont limitées, plus limitées que sur un lanceur de capsule spatiale standard comme Gemini, Apollo ou Soyouz.

5 - De 1972 à 1981: de la planche à dessins au pas de tir

Cette fois ci, on y est, la navette que nous connaissons existe, mais seulement en tant que plans et maquettes à échelle réduite. Avant le premier vol de Columbia, la NASA et plusieurs entreprises aéronautiques mettent au point:
- un avion de transport, dérivé du Boeing 747
- une navette d'entrainement au vol plané de retour sur Terre
- un gabarit grandeur nature pour les essais d'installation au sol
- la première navette spatiale Columbia

Enterprise: un avion pas encore orbital

Enterprise est considérée comme la première navette spatiale bien que cet engin n'ait jamais connu l'espace. L'Enterprise ne dispose ni de vraies plaques de protection thermique, ni de vrais propulseurs, ni de vrais réservoirs, mais une avionique complète et des poids afin d'être conforme à l'équilibre d'une véritable navette.

Au départ, Enterprise devait porter le nom de Constitution, mais un important lobbying de la part de fans de la série Star Trek pousse la NASA à donner à la première de ses navettes le nom du vaisseau du capitaine Kirk. Les connaisseurs ne manqueront pas de faire remarquer que dans les épisodes plus récents de la série, les auteurs ont intégré la navette Enterprise dans la chronologie des vaisseaux ayant porté ce nom, au milieu du porte-avions et de divers vaisseaux spatiaux.


Les principaux acteurs de la série Star Trek posent devant le vaisseau OV-101 Enterprise

Pathfinder: une maquette géante

Pathfinder est une maquette géante reprenant la forme d'un orbiteur, du réservoir additionnel et des deux boosters. La répartition des masses est identique à celle d'une véritable navette. Pathfinder va permettre de tester l'ensemble des installations de Cap Canaveral en vue de la mise en œuvre des vraies navettes. Pathfinder n'est donc pas particulièrement spectaculaire, mais a été très utile !


Pathfinder est maintenant exposée à Huntsville, en Alabama

Columbia: la toute première vraie navette

Columbia est la toute première navette à pouvoir assumer un vol spatial complet. Contrairement aux autres navettes de série, elle reçoit des instruments de mesure supplémentaires pour les premiers vols. Elle est aussi plus lourde que les navettes suivantes. En effectuant son premier vol le 12 avril 1981, elle signe le début de l'âge des navettes spatiales et le retour des américains dans l'espace pour les vols habités.


Columbia lors de son premier lancement

6 - Hommage à la navette et à ses équipages

Nous n'oublions pas que l'histoire de la navette spatiale est émaillée de bons moments mais aussi de deux drames qui ont coûté la vie à 14 astronautes.

Challenger: 28 janvier 1986


Photo officielle de l'équipage de la navette Challenger pour le vol STS 51

Columbia: 1er février 2003


Photo officielle de l'équipage de la navette Columbia pour le vol STS 107

Quelques photos illustrant la carrière finalement riche des navettes spatiales américaines


Lanceur au roulage





La navette a été un engin très polyvalent...


Hubble: un projet fou qui a permis de nombreuses découvertes, mis en oeuvre grâce à la navette


A l'approche de l'ISS
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