Principe anthropique - Définition

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Le principe anthropique (du grec anthropos, homme) est un principe métaphysique qui énonce que si nous observons l'univers tel que nous le connaissons, c'est avant toute autre chose parce que... nous nous y trouvons ! Car, si nous n'y étions pas, nous ne serions pas là pour le constater. Il a été formulé et développé par Brandon Carter de l'observatoire de Meudon mais on en trouve le principe au premier livre du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer où il montre d'une part l'impossibilité pour toute science d'atteindre une réalité en soi, d'autre part la confusion que font les hommes entre l'univers conçu et un supposé univers objectif indépendamment du sujet qui le conçoit.

Cela implique que toute théorie qui inclut notre existence et ce sera assurément celles sur le monde tel que nous le concevons, doit nécessairement être cohérente avec notre propre existence. Ainsi, selon Schopenhauer, toute conception de l'univers est-elle une pétition de principe car le sujet qui conçoit la théorie est posé comme finalité de cette même théorie et s'introduit donc à l'origine même de cette théorie à laquelle le développement de l'univers doit être ordonné pour expliquer sa propre apparition.

Il existe deux versions principales du principe anthropique : les principes faible et fort.

Principe anthropique faible

Le principe anthropique faible ne se prononce pas sur la question de savoir si notre présence est le résultat d'un hasard particulièrement improbable ou d'un processus déterministe. Il exprime que si l'univers avait évolué d'une manière qui ne permettait pas à des entités conscientes d'y apparaître, aucune entité consciente n'aurait été là pour le remarquer, et donc qu'il n'y aurait pas de connaissance de cet univers ; autrement dit un tel univers n'existerait pas. Et par conséquent, que de notre point de vue (d'entité consciente dans l'univers) même si notre univers n'est qu'un des multiples univers qui auraient pu exister il n'a rien d'improbable a posteriori. Ainsi, les probabilités que nous avions d'apparaître (individuellement ou collectivement) sont tellement faibles a priori que l'on est tenté de se dire " quelle chance ! ". En réalité, s'il en avait été autrement, nous n'aurions pas pu nous plaindre de notre malchance puisque nous n'aurions jamais existé !

Principe anthropique fort

Cependant, une variante plus religieusement connotée du principe anthropique énonce l'idée d'une volonté ou d'une nécessité intervenant dans l'évolution de notre univers : cet univers a été conçu spécialement pour que nous y fussions placés. On parle dans ce cas de principe anthropique fort. Dans cette version, on tente de réintroduire le principe d'une finalité universelle qui serait l'homme lui-même et donc de penser les conditions initiales de l'univers en fonction de cette finalité. Le principe anthropique fort n'est qu'une variation sur le thème religieux traditionnel du "dessein cosmique", critiqué par Russell dans Science et religion.

Probabilités conditionnelles

Le principe anthropique est une des illustrations de toute la différence qui peut exister entre une probabilité a priori (par exemple : probabilité de tirer 3 " six " avec 3 dés  : 1 sur 216) et des probabilités conditionnelles (exemple : probabilité d'avoir tiré 3 " six " avec 3 dés sachant que le total est supérieur ou égal à 17 : 1 sur 4).

Une des métaphores les plus éclairantes pour assimiler l'idée est la suivante :

" Ne vous extasiez pas trop vite sur le fait que vous voyez une flèche plantée pile au centre d'une cible peinte. Êtes-vous certain que la cible n'a pas été peinte après l'arrivée de la flèche ? "

Ainsi, même si nous sommes (individuellement ou collectivement) le fruit du hasard le plus improbable a priori, notre seule existence est bien la preuve que l'événement s'est produit. Mais cette phrase dit en fait que nous peignons a posteriori la cible pour expliquer à partir de là le fait que nous... peignons.

Importance du principe anthropique

Ce principe s'applique à tous les événements indépendamment de toute recherche en causalité : au niveau cosmologique le plus profond (nature des lois physique, valeurs des constantes cosmologiques, etc.), au niveau de l'espèce (si nous ne voyons pas d'extraterrestres, c'est peut-être que nous sommes la première espèce intelligente de la galaxie, aussi improbable que cela puisse paraître a priori), et au niveau individuel (comme on peut s'extasier d'être issu de ce spermatozoïde particulier, parmi des millions).

Tout cela peut sembler tautologique, et en fait, ça l'est. La démarche est semblable à celle du Je pense, donc je suis de Descartes. Il s'agit de dire : " Je me vois, donc je suis possible. " Mais nous avons eu si longtemps l'habitude d'observer le monde depuis un œil extérieur et objectif que nous en avions fini par négliger que nous sommes dedans. Cela est vraiment sans importance dans la chute des corps, mais il en va différemment pour deux domaines où négliger cette existence nous ferait négliger de l'information :

Le fait que nous existons ne nous permet d'observer par construction qu'une seule instance des univers qui auraient pu exister.

Par exemple, si l'attraction gravitationnelle avait été plus faible, le processus d'agglomération protostellaire aurait pu ne pas se produire et en ce cas l'univers rester un grand nuage d'hydrogène. Si elle avait été plus forte, les réactions nucléaires auraient pu s'emballer, ne produisant que des éléments lourds comme l'uranium : la chimie du carbone, indispensable à la vie, n'aurait alors pas été possible. En outre si les étoiles avaient brûlé leur hydrogène dans leur fournaise nucléaire de façon trop rapide, elles n'auraient pas laissé le temps à la vie de se développer.

On peut aussi invoquer le principe anthropique pour expliquer pourquoi je suis comme je suis : si j'avais été différent, je n'aurais pas existé, ça n'aurait pas été moi ! Pour que j'existe, il fallait nécessairement que je sois comme je suis. Et de même, il fallait nécessairement que tous mes ancêtres aient tous eu la chance de se reproduire, c'est-à-dire notamment de ne pas mourir en bas âge à des époques où cela était le plus fréquent. A priori, quelle chance, mais a posteriori, rien de bien surprenant.

Applications

Le principe anthropique en physique subatomique

Le principe anthropique peut aussi expliquer la stabilité incroyable du proton : s'il est difficile d'observer la désintégration de cette particule dans la nature, c'est bien parce que notre propre existence est liée au phénomène inverse : la matière s'est créée par la production de protons, à une époque où l'univers contenait un nombre indistinct de quarks et antiquarks. A priori, l'univers avait autant de probabilités de produire plus d'antimatière que de matière, que l'inverse : la violation de la symétrie CP s'est faite dans un sens (le kaon neutre K0 se désintégrant plus facilement en quarks qu'en antiquarks), elle aurait tout aussi bien pu se produire dans le sens contraire. Et a priori on peut penser qu'il y avait encore plus de probabilités que la symétrie CP soit conservée, auquel cas l'univers, produisant autant de matière que d'antimatière, serait pratiquement vide.

La géométrie de l'univers

C'est également par le principe anthropique que l'on explique que la géométrie de l'univers est à trois dimensions spatiales : en deux dimensions, la vie est vouée à l'échec (le système digestif nous couperait en deux, par exemple) ; en quatre dimensions, le monde serait très instable, car aussi bien les forces électromagnétiques que les forces gravitationnelles auraient varié en fonction inverse du cube de la distance (au lieu du carré) : les astres auraient suivi des trajectoires en spirales avant de s'écraser au centre ou de s'évader dans l'espace, et les ondes se propageraient sans vitesse déterminée, entraînant une incohérence totale des signaux, du niveau microscopique jusqu'à l'échelle de l'univers.

En ce qui concerne un univers où l'espace possède trois dimensions, il y a trois cas de figure possibles.

1. L'univers est fermé. Sa densité est très élevée. Dans ce cas, sa durée de vie sera très courte. Après une brève expansion, il s'effondrera sur lui-même. Les étoiles n'auront pas le temps de s'y former. Il n'y aura donc pas de nucléosynthèse, pas d'atomes lourds, pas de planètes, pas de vie et donc pas d'observateur.

2. L'univers est ouvert. Sa densité est très faible, l'expansion ne rencontre donc aucun frein. Sa durée de vie est en principe infinie. Mais aucune condensation ne peut s'amorcer, donc aucune étoile ne peut s'y former non plus.

3. L'univers a une densité égale ou voisine de la densité critique. Autrement dit, il est plat ou quasi plat. D'une part, il est assez vide pour que l'entropie puisse s'évacuer et se diluer dans l'espace en expansion et d'autre part assez dense pour que la nucléosynthèse s'amorce et assez durable pour qu'elle se poursuive plusieurs milliards d'années. C'est notre univers. Lui seul a semble-t-il la possibilité d'engendrer une évolution stellaire, nucléaire, chimique et biologique.

Autrement dit, un univers fertile est un univers dont la géométrie doit être plane et dont la densité coïncide avec la densité critique. Tel doit être l'univers pour qu'il puisse engendrer un observateur. Il suppose un type de coïncidence actuellement inexpicable (voir Hubert Reeves, L'heure de s'ennivrer, ch. 8).

Magie et foi

Les guerriers, plus généralement les êtres humains qui s'adonnent à des activités dangereuses, croient souvent à l'efficacité de porte-chance (ou malchance) à la diversité infinie, ou consultent des devins aux méthodes variées (comme les sondages) ou ésotériques, comme des astrologues. C'est là une nouvelle illustration du principe anthropique : les guerriers survivants, ou les sportifs ou entrepreneurs vainqueurs, ou les créatifs reconnus, ont par définition survécu. Ils ont donc toutes les raisons de croire en l'efficacité de leurs protections ou des méthodes de leurs conseils, aussi ésotériques soient-elles. Inversement, les morts (physiques ou économiques) ne sont plus là pour s'étonner de l'inefficacité des leurs.

Épistémologie

Une façon légèrement différente d'appréhender le principe anthropique est le concept de filtre statistique. Encore une fois un court exemple fait mieux qu'un long discours : de quelle taille est le plus petit poisson de l'étang ? Vous attrapez 100 poissons, tous plus grands que 3 cm. Est-ce que cette mesure confirme l'hypothèse qu'aucun poisson n'est beaucoup plus petit que 3 cm dans cet étang ? Pas si le filet ne peut attraper de poisson plus petit. La connaissance des limites de notre procédure d'acquisition de données affecte les conclusions que l'on peut tirer de nos données.

Fiction

La fiction Les Dieux eux-mêmes (titre original : The Gods Themselves) est un roman d'Isaac Asimov qui explore en partie l'idée d'un univers parallèle basé sur une interaction forte différente.

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