Pour se reproduire, il faut bien manger !

Publié par Adrien le 25/04/2017 à 00:00
Source: CNRS-INSB
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Tous les vertébrés utilisent des molécules semblables, les stéroïdes, comme hormones sexuelles femelles (oestrogènes, progestérone) ou mâles (androgènes). Mais d'où viennent ces hormones ? Comment se sont-elles mises en place au cours de l'évolution ? En étudiant l'évolution du couple hormone et récepteurs des stéroïdes, l'équipe de Vincent Laudet à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (ENS de Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), associée à l'équipe de Guillaume Lecointre à l'Institut de systématique, évolution, biodiversité (MNHN/CNRS/UPMC/EPHE), et à d'autres équipes françaises (1), révèle un couplage profond entre nutrition et reproduction. En effet en ressuscitant le couple hormone/récepteur de l'ancêtre des premiers vertébrés, les chercheurs démontrent que les hormones stéroïdes sont en fait des produits de dégradation du cholestérol. Cela renforce de nombreuses observations montrant que la reproduction ne peut se produire que si une nutrition suffisante est assurée.


Figure: Le couple ancestral hormone-récepteur ressuscité. En bleu, structure du récepteur ancestral aux stéroïdes basée sur le modèle par homologie du récepteur ERa. En vert, le paraestrol A, un stéroïde possédant des caractères présents séparément chez le cholestérol et chez les oestrogènes, est capable de se fixer dans la poche du récepteur et de l'activer.
© Isabelle Billas

Une hormone est une molécule produite par une glande précise et qui agit sur des tissus cibles contenant un récepteur précis. Ainsi, le 17B-oestradiol (un oestrogène), l'hormone qui détermine les caractères sexuels secondaires de la femme, est fabriqué par les ovaires et est actif sur les très nombreux tissus qui expriment les récepteurs des oestrogènes. La spécificité du couple hormone/récepteur assure que chaque hormone exerce une action propre. Pourtant, nous savons très peu de choses sur l'origine et l'évolution de cette spécificité. Dans le cas des hormones stéroïdes, qui ne sont pas des protéines codées par des gènes (comme l'insuline) mais des petites molécules issues d'une voie métabolique complexe, la stéroïdogenèse, le mystère est complet ! Les récepteurs des cinq hormones stéroïdes de l'homme et des mammifères (voir Annexe) sont issus d'un ancêtre commun unique et on peut donc se demander comment ces récepteurs ont acquis leur spécificité vis-à-vis de leur hormone.

Un couplage ancestral nutrition/reproduction

En retraçant l'histoire évolutive des hormones stéroïdes, les chercheurs illustrent le couplage très profond qui existe entre reproduction et nutrition. En effet ce travail révèle que nos hormones sexuelles sont des produits de dégradation du cholestérol, une molécule qui est directement issue de notre alimentation. Ce couplage est somme toute logique: en effet, au cours de l'évolution passée, seuls ceux qui ont été bien nourris ont pu se lancer avec succès dans la reproduction, une activité très coûteuse en énergie. On sait que chez de nombreuses espèces, y compris chez l'Homme, la reproduction s'arrête en cas de famine. Le travail de l'équipe de Vincent Laudet montre que ce couplage nutrition/reproduction a des bases anciennes qui remontent à 500 millions d'années, et que nos hormones assurent en permanence une coordination entre l'état physiologique et l'entrée en phase de reproduction.

Les hormones stéroïdes sont spécifiques des vertébrés

Ce travail montre en outre qu'il est possible de mener de véritables études d'évolution expérimentale en reconstruisant des molécules du passé pour montrer la façon dont elles fonctionnaient en interaction. Pour cela, l'équipe de Vincent Laudet a retracé l'histoire de la stéroïdogenèse en utilisant une approche mise au point par Chomin Cunchillos et Guillaume Lecointre en 2002. L'originalité de cette approche est d'utiliser les méthodes d'anatomie comparée pour étudier l'évolution au niveau biochimique. Le principe est simple: de même que l'anatomie des animaux, les voies métaboliques sont le produit de l'évolution et se modifient peu à peu au cours du temps. On peut donc retracer l'histoire de ces changements en utilisant les méthodes comparatives de construction d'arbres évolutifs et c'est ce qu'ont réalisé Gabriel Markov et Guillaume Lecointre.

En menant une telle étude sur l'ensemble des stéroïdes, les chercheurs ont obtenu un arbre montrant que les cinq hormones stéroïdes actuelles partagent un ancêtre commun unique à la base des vertébrés. Elles n'existent donc pas en dehors des vertébrés, contrairement à ce que l'on pensait jusqu'à présent.

Le couple hormone/récepteur ancestral des vertébrés ressuscité

Les chercheurs sont alors allés beaucoup plus loin. En effet, sur un tel arbre, il est possible de prédire les molécules qui étaient présentes à chaque étape de l'évolution. Ainsi, ils ont déterminé la structure du stéroïde ancestral des vertébrés et l'équipe de chimistes de Jens Hasserodt a alors pu fabriquer la molécule en question, baptisée "paraestrol A". Les chercheurs ont également produit le récepteur ancestral unique des stéroïdes de vertébrés. Il était alors tentant de vérifier si ligand ancestral et récepteur ancestral pouvaient effectivement interagir.... L'équipe a montré que c'était bien le cas, ressuscitant ainsi pour la première fois un couple hormone/récepteur ancestral. En modélisant l'interaction de cette hormone ancestrale dans la poche de fixation du récepteur ancestral, Isabelle Billas et Dino Moras à Strasbourg ont pu ainsi expliquer comment la spécificité du récepteur vis-à-vis de son ligand s'est renforcée au cours de l'évolution. Toutes ces équipes, ensemble, ont ainsi montré que les arbres phylogénétiques ne dessinent pas seulement des portraits d'ancêtres, mais qu'elles permettent aussi de les "ressusciter", ainsi que leurs fonctions !

Les hormones stéroïdes sont des produits "domestiqués" de la dégradation du cholestérol

Il est important pour les organismes de dégrader le cholestérol en excès et de récupérer le plus d'énergie possible de cette dégradation. Un tel arbre évolutif permettant de dater et d'ordonner les évènements, les chercheurs se sont alors aperçu que, au cours de l'évolution, les animaux ont recruté ces produits de dégradation du cholestérol en les utilisant dans leur signalisation hormonale. En bref, le recyclage en hormones des résidus du cholestérol représente une sorte de "domestication" moléculaire. Ainsi, le fait que nos hormones sexuelles soient d'abord des produits de dégradation du cholestérol révèle un lien très clair entre la nutrition et la reproduction. Pour se reproduire, il faut d'abord manger !

Note:
(1) Celles de Jens Hasserodt au laboratoire de Chimie de l'ENS de Lyon/CNRS et de Isabelle Billas et Dino Moras au Centre de Biologie Intégrative de l'IGBMC (INSERM/CNRS/Université de Strasbourg à Illkirch.
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