Un phénomène quantique observé en 3D

Publié par Michel le 08/12/2008 à 00:00
Source: CNRS
Illustration: © CNRS & © John H. Page, Department of Physics and Astronomy, Univ. of Manitoba, Winnipeg, Canada
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Une collaboration franco-canadienne vient de démontrer l'existence de la "localisation d'Anderson" à trois dimensions, un phénomène quantique décrit pour la première fois il y a exactement cinquante ans.

Pourquoi, à basse température, certains métaux arrêtent-ils de conduire l'électricité ? L'explication théorique a été fournie en 1958 par l'Américain Philip W. Anderson, lauréat du prix Nobel en 1977: un phénomène quantique dit de "localisation" bloque littéralement les électrons dans le matériau. Aujourd'hui, cinquante ans après qu'elle a été formulée, la théorie de la localisation d'Anderson vient enfin d'être vérifiée de façon convaincante en trois dimensions. Une véritable première réalisée par Bart Van Tiggelen et Sergey Skipetrov, du Laboratoire de physique et modélisation des milieux condensés (LPM2C), à Grenoble, en collaboration avec l'équipe du professeur John Page, de l'université de Manitoba (Canada), et soutenue par un programme international de coopération scientifique (Pics) du CNRS. Les résultats ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature Physics.


Dans leur expérience, les chercheurs ont envoyé des ultrasons
dans un échantillon de billes d'aluminium de 4,11 mm de diamètre.
Insert: distribution spatiale du son transmis à travers l'échantillon.
Les pics sont caractéristiques de la localisation d'Anderson

Habituellement, les scientifiques se représentent un métal conducteur comme un matériau où les électrons se déplacent librement à travers le réseau des atomes. Ils expliquent alors la résistance électrique par la présence d'impuretés qui introduisent du désordre: les électrons sont déviés de leur course et traversent moins bien le métal. Connu sous le nom de Drude-Sommerfeld, ce modèle est généralement considéré comme décrivant correctement la réalité. À une nuance près cependant: la thèse impose qu'un métal ne peut devenir totalement isolant. En effet, il y aurait tellement d'impuretés qu'un tel matériau n'aurait plus rien d'un métal ! Comment expliquer alors l'existence de conducteurs – des alliages complexes – capables de devenir brusquement isolants lorsqu'ils sont fortement refroidis, en dessous de quelques kelvins ? En 1958, le physicien américain Philip W. Anderson est le premier à proposer une réponse. Selon lui, à très basses températures, les électrons se comportent plus comme des ondes que comme des particules. Dans un matériau désordonné, comme un métal contenant des impuretés, ces ondes interfèrent entre elles de manière destructive. En somme, elles s'annulent les unes les autres, ce qui se traduit par le blocage – la localisation – des électrons dans le matériau, empêchant ainsi le courant de circuler.

Mais au fil du temps, l'idée géniale d'Anderson est devenue un véritable casse-tête pour les physiciens. Il leur faut développer une théorie moderne qui couvre l'essentiel des propositions d'Anderson tout en incluant les possibilités expérimentales. Et de ce côté-là, ce n'est pas non plus une sinécure. Concevoir une expérience qui puisse mettre en évidence le phénomène, souvent caché derrière d'autres effets, s'avère très difficile. Cependant, ils découvrent dans les années 1980 que la localisation d'Anderson pourrait ne pas se limiter aux électrons mais s'appliquer aussi aux ondes "classiques", comme la lumière ou les ondes acoustiques, un peu plus faciles à manipuler. Même si, comme le rappelle Bart Van Tiggelen, directeur du LPMMC, "elle n'est pas pour autant aisée à mettre en évidence dans ces derniers domaines. Pour observer le phénomène de localisation d'une onde lumineuse par exemple, il faudrait produire un milieu extrêmement désordonné ; une sorte de brouillard de l'ordre d'un milliard de fois plus épais que celui que l'on trouve en montagne sur une piste de ski. Le produire est en soi un challenge technique !"

C'est pourquoi les chercheurs du LPMMC et de l'université de Manitoba ont préféré employer des ondes acoustiques à température ambiante. Il leur aura tout de même fallu trois ans pour préparer l'expérience. Elle a consisté à envoyer des ultrasons dans un milieu désordonné formé de petites billes d'aluminium. En analysant les ondes transmises à la sortie du dispositif, ils ont pu observer, sans qu'aucun doute ne soit permis, plusieurs manifestations de la localisation d'Anderson. Point fort de cette réussite, qui vient s'ajouter à la récente démonstration réalisée à l'aide d'atomes froids par le groupe d'Alain Aspect, du Laboratoire Charles Fabry de l'Institut d'Optique, à Orsay: leur test a été mené en trois dimensions. Et maintenant ? "Notre travail n'est pas pour autant terminé, indique Bart Van Tiggelen. Nous allons adapter notre expérience pour mesurer certains paramètres importants de la localisation d'Anderson qui échappent encore aux prédictions théoriques." Au bout de cinquante ans d'âpres travaux, les scientifiques n'en ont semble-t-il pas encore fini avec la localisation d'Anderson.


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