La part chaotique de la variabilité océanique

Publié par Michel le 19/09/2011 à 12:00
Source: CNRS-INSU
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Des travaux récents de chercheurs du Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (LEGI, CNRS / Institut Polytechnique de Grenoble / Université Grenoble 1) ont montré que les processus océaniques turbulents de petite échelle (~ 10 à 200 km) contribuent aux variations interannuelles des courants océaniques et du niveau marin. Une part importante (jusqu'à 70% en moyenne dans l'océan Austral) de la variabilité interannuelle du niveau des mers est chaotique et générée par l'océan, sans forçage direct par l'atmosphère. Ces résultats plaident en faveur d'une représentation explicite des fines échelles océaniques dans les systèmes de prévision climatique et soulèvent des questions quant à la prévisibilité des courants océaniques.

Les altimètres satellitaires, qui cartographient depuis près de 20 ans le niveau de la surface de l'océan, la direction et l'intensité des courants océaniques, ont permis de confirmer à l'échelle mondiale que les grands courants océaniques produisent des tourbillons de petite échelle (~ 10- 200 km) qui rétroagissent sur la circulation générale. L'étude, la simulation et la prévision de la circulation océanique requiert donc la prise en compte d'une large gamme d'échelles spatiales et temporelles. C'est pourquoi les océanographes modélisateurs travaillent sur la simulation explicite et précise des fines échelles dans les modèles océaniques globaux afin d'en améliorer le réalisme.

Les scientifiques savent par ailleurs que les grands courants océaniques fluctuent en réponse à la variabilité atmosphérique. Pour autant, des simulations idéalisées et des études théoriques montrent que même en l'absence de variabilité atmosphérique, la circulation océanique peut fluctuer à basse fréquence de manière chaotique et spontanée, et ce d'autant plus que les fines échelles sont explicitement prises en compte. Ainsi, concernant les modèles d'océan globaux, la question suivante se pose: comment la résolution explicite des fines échelles océaniques affecte-t-elle la variabilité basse fréquence (interannuelle) des océans ?

De plus, si ces fines échelles océaniques sont résolues dans les modèles purement océaniques, elles ne le sont pas encore dans les modèles de prévision du système climatique complet comme ceux du GIEC (1): pour des raisons de coût calcul, seuls certains effets des fines échelles océaniques sont en effet paramétrés. Ceci soulève une seconde interrogation: comment les prévisions climatiques seront-elles affectées lorsque ces fines échelles océaniques seront résolues dans les modèles du GIEC ?

Afin d'explorer ces questions, une équipe de recherche du Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (LEGI) a conduit, dans le cadre du consortium européen DRAKKAR (2), une série originale de simulations numériques de l'océan global résolvant explicitement les tourbillons océaniques. Ces simulations, dont une de plus de 320 ans (3), ont été effectuées au Centre informatique national de l'enseignement supérieur (CINES, Montpellier), pour partie dans le cadre de l'appel à projet "Grands challenges GENCI/CINES 2008". Cette série a été conçue de manière à ce que les comparaisons entre simulations, et avec les observations satellitaires, permettent de séparer les fluctuations forcées par l'atmosphère de celles générées par l'océan lui-même. Les chercheurs se sont notamment intéressés aux fluctuations océaniques à l'échelle de plusieurs années.

Une première étude a montré, pour la première fois à l'aide d'un modèle de l'océan global, que la résolution explicite des processus océaniques de petite échelle superpose à la variabilité basse fréquence directement forcée par l'atmosphère une composante additionnelle chaotique d'intensité notable, le long des grands courants aux moyennes et hautes latitudes. En moyenne sur l'océan Austral, cette composante chaotique pourrait expliquer plus de 70% des variations interannuelles de topographie de surface de l'océan mesurées par les satellites altimétriques. Résoudre les tourbillons rend ainsi les niveaux de variabilité basse fréquence simulés en surface bien plus proches des observations altimétriques. Les modèles océaniques qui ne résolvent pas les fines échelles sous-estiment donc notablement l'amplitude et le caractère chaotique de cette variabilité d'échelle climatique dans de nombreuses régions.


Carte de l'océan mondial issue d'une simulation avec représentation explicite des tourbillons, indiquant (en %) la contribution de processus purement océaniques à la variation interannuelle du niveau des mers. Dans les régions les plus claires, la variabilité interannuelle atmosphérique n'a qu'un effet modéré sur la variabilité océanique dont l'origine est essentiellement intrinsèque. Les contours localisent les zones de forte variation interannuelle du niveau des mers. © CNRS / LEGI

Carte de l'océan mondial issue d'une simulation avec représentation explicite des tourbillons, indiquant (en %) la contribution de processus purement océaniques à la variation interannuelle du niveau des mers. Dans les régions les plus claires, la variabilité interannuelle atmosphérique n'a qu'un effet modéré sur la variabilité océanique dont l'origine est essentiellement intrinsèque. Les contours localisent les zones de forte variation interannuelle du niveau des mers. © CNRS / LEGI

Dans une deuxième étude, les chercheurs se sont intéressés à une structure de circulation connue depuis une quinzaine d'année sous le nom d'anticyclone de Zapiola. Il s'agit d'un vaste tourbillon anticyclonique (1000 kilomètres de diamètre) piégé au large de l'Argentine au-dessus d'un haut fond constitué de sédiments (45°W - 45°S). Avec environ 80 millions de mètres cube transportés par seconde, il est d'une intensité comparable au Gulf Stream, ce qui en fait l'un des courants les plus puissants de l'hémisphère sud. Les observations altimétriques ont récemment montré que ce courant subit d'une année à l'autre des variations très importantes (de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de mètres cube par seconde). Les chercheurs du LEGI ont montré que ces fluctuations ne sont pas gouvernées par l'atmosphère comme on le supposait jusqu'alors, mais bien par des processus océaniques turbulents de petite échelle que les chercheurs ont pu décrire. Les variations interannuelles de l'intensité de l'anticyclone de Zapiola ont donc une forte composante chaotique: les prédire sur le long terme pourrait s'avérer difficile pour les modèles de prévision océanique.

L'impact notable des processus de petite échelle spatiale sur les fluctuations océaniques à basse fréquence soulève plusieurs interrogations: quels sont les mécanismes impliqués dans la génération de ces fluctuations ? leur caractère chaotique affecte-t-il notre capacité à prédire l'évolution de la circulation océanique ? ces fluctuations affectent-elles la température de surface de l'océan et pourraient-elles ainsi influencer la circulation atmosphérique ? Ces résultats soulignent en tous cas certains enjeux importants d'une représentation explicite des processus océaniques de petite échelle dans les futurs modèles de prévision climatique.

Notes:

(1) Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (en anglais Intergovernmental panel on climate change, IPCC) est un organe intergouvernemental ayant pour mandat d'évaluer, sans parti pris et de manière méthodique, claire et objective, les informations scientifiques, techniques et socio-économiques disponibles en rapport avec la question du changement climatique d'origine humaine. Ses activités consistent principalement à la production de rapports sur la question du changement climatique sur la base de publications scientifiques et techniques de valeur reconnue.

(2) Le consortium DRAKKAR (http://www.drakkar-ocean.eu) regroupe des équipes de recherche européennes qui coordonnent la conception, la production et l'analyse de simulations numériques de l'océan global sur les dernières décennies. Ces simulations basées sur la plateforme NEMO (http://www.nemo-ocean.eu/) visent en particulier à améliorer la représentation des processus océaniques turbulents. En France, sont impliquées des équipes du Laboratoire de écoulements géophysiques et industriels (LEGI, CNRS/Université de Grenoble), du Laboratoire de physique des océans (LPO, CNRS / IFREMER / IRD / UBO), du Laboratoire d'océanographie et du climat: expérimentations et approches numériques (LOCEAN, CNRS / IRD / MNHN / UPMC) et de Mercator-Océan, le centre français d'analyses et de prévisions océaniques.

(3) Cette simulation dite climatologique est forcée tout au long des 320 années par le même cycle annuel atmosphérique. Ainsi, les fluctuations océaniques qui émergent à l'échelle interannuelle ne sont pas forcées par l'atmosphère, mais sont d'origine purement océanique.


Références:

Penduff, T., M. Juza, B. Barnier, J. Zika, W.K. Dewar, A.-M. Treguier, J.-M. Molines, and N. Audiffren, (2011). Sea-level expression of intrinsic and forced ocean variabilities at inter-annual time scales. Journal of Climate, in press. doi: 10.1175/JCLI-D-11-00077.1

Venaille, A, J. Le Sommer, J.-M. Molines and B. Barnier (2011). Stochastic variability of oceanic flows above topography anomalies. Geophysical Research Letters, in press. doi: 10.1029/2011GL048401
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