Biodiversité: sur les traces du petit peuple des cavernes

Publié par Michel,
Source: CNRS
Illustrations: © L. DeharvengAutres langues:
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L'an dernier, l'expédition Santo 2006 a permis de faire l'inventaire de la faune souterraine de l'île d'Espiritu Santo, au Vanuatu. Longtemps négligés, les écosystèmes des grottes regorgent d'espèces nouvelles pour la science, souvent très spectaculaires. Plongée avec ces chercheurs dans le ventre de la terre.

Durant tout le mois de septembre 2006, ils ont tamisé la litière et le sol de la forêt tropicale, près de l'entrée des grottes. Ils y sont entrés, prudemment, faisant s'envoler au passage quelques chauves-souris. Ils se sont attardés sous leurs colonies, au-dessus du guano qui jonchait le sol, pour échantillonner quelques-uns des mille-pattes, blattes et autres rampants qui y faisaient bombance. Puis, à la lumière de leurs lampes frontales, ils se sont enfoncés sous terre, le plus loin possible, en suivant les galeries. Dans le cadre de l'expédition Santo 2006, vaste inventaire de la biodiversité de l'île d'Espiritu Santo, au Vanuatu, une équipe d'une vingtaine de personnes a ainsi exploré le milieu souterrain de cette île du Pacifique Sud. Topographie des cavités, récolte du pollen fossile, paléontologie... et étude de la faune du sol et des grottes.


Mille-pattes (diplopode) souvent rencontré dans les grottes du Nord du Vietnam.
Comme beaucoup d'espèces strictement cavernicoles, il est dépigmenté
et ses appendices sont très allongés. Mais lui a conservé un appareil oculaire.
De grande taille (plus de 4 centimètres), il exhale une odeur fétide
dont la fonction est encore inconnue

"Le dépouillement des échantillons prendra encore des mois. Mais pour les seuls collemboles, un groupe d'invertébrés proche des insectes, nous devrions atteindre une centaine d'espèces, dont une cinquantaine, au moins, est nouvelle pour la science." Le verdict est signé Louis Deharveng, directeur de l'unité "Origine, structure et évolution de la biodiversité" et coordinateur du volet "souterrain" de Santo 2006. Habitué des missions de terrain, il part chaque année pour explorer et échantillonner la faune des grottes tropicales, avec une prédilection pour l'Asie du Sud-Est.

"Longtemps négligée, la faune souterraine – aquatique ou terrestre – représente un gisement d'espèces nouvelles bien plus grand que n'importe quel milieu en surface, reprend-il. À la manière d'une île, chaque massif karstique (1) est un foyer potentiel d'endémisme, c'est-à-dire qu'on peut espérer y trouver des espèces uniques au monde !" Jusqu'aux années quatre-vingt, on pensait qu'il n'existait pas d'organismes spécifiques au milieu souterrain en zone tropicale humide. Les conditions climatiques à l'intérieur des grottes étaient jugées trop similaires à celles de la surface pour isoler suffisamment les populations, et permettre la divergence génétique et la spéciation. "Aujourd'hui, on sait que ce type d'organismes, appelés troglobies, existe aussi dans des endroits comme l'île d'Espiritu Santo, même s'ils sont moins nombreux qu'en milieu tempéré."

Pour savoir si les organismes découverts appartiennent exclusivement au milieu souterrain, les chercheurs échantillonnent systématiquement le sol de la forêt, à l'entrée des grottes. "À Santo, nous nous sommes aperçus que de nombreux animaux de la litière forestière sont entraînés vers les galeries, à cause de la pluie notamment. À long terme, si une population se retrouve isolée assez longtemps dans les grottes d'un massif karstique, à la suite par exemple d'une montée du niveau des eaux souterraines, ce genre d'événement peut donner naissance à une espèce troglobie." Les troglobies aquatiques, quant à eux, proviennent souvent du milieu marin. "Dans les karsts de Sulawesi, nous avons découvert plusieurs lignées d'organismes dérivés d'espèces marines. Notamment deux crabes, dont l'un s'est adapté à l'eau douce et l'autre à l'eau saumâtre. Il n'y a pas si longtemps, la mer baignait sans doute cette cavité. Elle s'est retirée et, depuis, l'évolution a fait son œuvre."

Les conditions extrêmes de l'environnement souterrain, notamment l'absence de lumière, conduisent souvent ces animaux à évoluer de manière spectaculaire. On observe généralement une perte de la pigmentation, une régression des yeux et, le cas échéant, des ailes.


Jeune amblypyge, prédateur fréquent des orthoptères Rhaphidophoridae
des cavernes d'Asie tropicale

"Parallèlement, peut-être par un phénomène de “compensation sensorielle”, les organes tactiles – soies, pattes et antennes – s'allongent. Par ailleurs, les espèces cavernicoles ont une plus longue durée de vie que leurs “cousines” qui vivent en surface. Elles se reproduisent plus tard, leurs œufs sont peu nombreux et de plus grande taille. Cela correspond à une stratégie écologique généralement observée dans un environnement très stable."

Outre cette stabilité, les écosystèmes souterrains sont caractérisés par un très petit nombre d'espèces: "Une vingtaine d'espèces troglobies, pour une grotte, c'est déjà beaucoup." Cela permet aux scientifiques d'appréhender l'ensemble de leurs interactions, ce qui est inenvisageable à la surface. "Les grottes sont en quelque sorte des laboratoires grandeur nature, dont on commence à peine à exploiter le potentiel."

(1) Un karst est un massif calcaire creusé par l'érosion.

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