C'est un rêve d'expérimentateur: un matériau à ce point parfait qu'il se comporte exactement comme la théorie le prévoit. Un rêve devenu réalité au sein du laboratoire "Nanostructures et semi-conducteurs organiques" de Gif-sur-Yvette, où Denis Fichou et son équipe se sont penchés sur les propriétés électroniques d'un monocristal de rubrène, produit de synthèse et semi-conducteurorganique, à base de carbone. Résultat ? Certaines de ces propriétés sont exceptionnelles. Une découverte qui pourrait marquer une étape importante dans le développement de l'électronique dite "plastique", une des voies explorées pour succéder à l'ère du silicium.
Grâce à sa pureté et à ses propriétés chimiques de surface, le rubrène supplantera peut-être un jour le silicium dans l'électronique
Comme tous les semi-conducteurs, le rubrène est conducteur dans un sens, mais isolant dans l'autre. Une propriété remarquable à la base de toute l'électronique moderne, qu'il partage notamment avec le silicium. Sauf que même avec le silicium le plus pur, la courbe courant-tension – autrement dit, la réponse en courant sous l'effet d'une différence de potentiel électrique – n'est jamais parfaite, en particulier dans le sens bloquant, où l'on observe toujours des courants de "fuite".
"À l'opposé, dans un monocristal de rubrène, explique Denis Fichou, nous avons observé le passage d'un courant très intense dès l'application d'une tension de 0,3 V, ce qui est minuscule. Inversement, du côté bloquant, le courant reste strictement nul jusqu'à des tensions de 10 à 15 volts, ce qui est tout bonnement hallucinant !" Un phénomène observé à l'échelle nanométrique, mais aussi à celle du micromètre.
D'après les scientifiques, la clé de ce comportement quasi idéal est à chercher autant dans l'extrême pureté chimique des cristaux de rubrène que dans la nature physique de leur surface. En effet, comme il s'agit d'un cristal moléculaire, toutes les liaisons chimiques y sont satisfaites. Inversement, à la surface d'un cristal de silicium, les atomes présentent à leur environnement extérieur des liaisons chimiques non satisfaites qui, dans un transistor par exemple, vont réagir à l'interface entre le semi-conducteur et d'autres constituants du composant. Et éloigner ainsi le système d'un comportement idéal.
Si les chercheurs parviennent à préserver les propriétés électriques de leur monocristal dans une couche mince polycristalline, telle qu'utilisée en pratique pour la réalisation de transistors, "le comportement du rubrène laisse notamment entrevoir une nouvelle génération de composants pour la micro- ou la nanoélectronique", s'enthousiasme Denis Fichou.
L'électronique "plastique", fondée sur l'utilisation de semi-conducteurs organiques, a déjà prouvé son intérêt pour réaliser des circuits intégrés ou des dispositifs d'affichage, tels des écrans flexibles. Avec ce nouveau résultat, elle s'annonce comme une concurrente redoutable du silicium.