Les enjeux du LHC (Large Hadron Collider)

Publié par Publication le 21/12/2008 à 11:30

1 - Introduction

Ce dossier nous est proposé par Bongo1981, que vous pouvez retrouver sur le forum Techno-Science.net. Il présente les caractéristiques du plus grand accélérateur de particules du monde: le LHC, ainsi que les aspects scientifiques des recherches qui y seront menées.

Introduction

L'année 2008 a vu la mise en opération du plus grand accélérateur de particules du monde. Projet pharaonique regroupant un véritable consortium d'états (plus de 20 états, répartis sur les 5 continents), des milliers de techniciens, ingénieurs et physiciens se répartissent en nombreuses équipes internationales.


Le LHC: Le plus grand accélérateur de particules du monde
(Illustration: © CERN )

Le LHC ne peut être qualifié que par des superlatifs, c'est la machine la plus grande du monde (avec son anneau de 27 km de long), c'est en certains points l'endroit le plus froid de la planète (les électro-aimants sont refroidis à -271°C), c'est l'endroit le plus vide du système solaire (10 000 milliardième de la pression atmosphérique), dans les zones de collisions ce sera l'endroit le plus chaud du système solaire (100 000 fois la température régnant au coeur du soleil).

Mais au fait ? qu'est-ce qu'un accélérateur de particules ? Pourquoi cette taille ? Est-ce que ce que l'on raconte sur les trous noirs, et les strangelets ont un fondement ? Nous allons tenter de répondre à ces questions dans ce dossier.


Le Large Hadron Collider (LHC): le plus grand accélérateur de particules du monde
(Illustration: © CERN )

2 - Le Grand Collisionneur de Hadrons et les Accélérateurs de Particules

Généralités

Qu'est le LHC ?

Le LHC (Large Hadron Collider) ou grand collisionneur de hadrons, est un accélérateur de particules, actuellement en fonctionnement à Genève. Construit dans les anciens tunnels du LEP (Large Electron Positron collider), anneau de 27 km de circonférence, cet accélérateur a été conçu pour atteindre des énergies de 14 TeV (Tera électron-volt 1 TeV = 1 000 milliards d'eV), soit donc des énergies bien supérieures au Fermilab (le Tevatron: seulement 1 TeV).

1 eV est l'énergie acquise par un électron, accéléré sous une différence de potentiel de 1 volt.

Qu'est-ce qu'un accélérateur de particules ?

Un accélérateur de particules, comme son nom l'indique a pour fonction d'accélérer les composants les plus élémentaires de la matière.
Tout corps est fait de molécules (qui ont une taille de quelques nanomètres: un milliardième du mètre). Les molécules sont faites d'atomes (dix fois plus petits). Leur agencement dans une combinaison infinie donne la variété des corps que l'on peut trouver sur terre.

Les atomes, qui sont décomposables en entités plus petites: électrons et noyaux (qui sont décomposables en protons et neutrons et eux-mêmes en quarks), sont chargés électriquement.
Dans les accélérateurs de particules, nous exploitons cette propriété, ce qui permet d'accélérer des particules chargées à des vitesses très proches de celle de la lumière. Plus une particule a une vitesse élevée, plus cette particule pourra générer des particules lourdes et éphémères. C'est ce qui est recherché dans les accélérateurs.

Les différents types d'accélérateurs

Il existe plusieurs types d'accélérateurs de particules (dont le plus trivial est un accélérateur linéaire dont on ne parlera pas ici).

Le Cyclotron

Le cyclotron est l'accélérateur le plus simple, composé de deux électro-aimants en forme de D, ceux-ci génèrent un champ magnétique permettant de dévier les particules électriques.


Schéma d'un cyclotron

Entre les deux D, il y a un petit espace, soumis à une forte différence de potentiel électrique. Les particules acquièrent de la vitesse dans cette portion. Puisqu'il faut le même temps pour parcourir le cercle, il suffit d'une tension sinusoïdale, à la bonne fréquence pour accélérer les particules (fréquence dépendant de la masse de la particule et bien sûr de l'intensité du champ magnétique).

Le synchro cyclotron

Cependant, à de très grandes vitesses (2% de la vitesse de la lumière à peine), la masse subit une augmentation relativiste, c'est pourquoi la technologie du cyclotron doit être adaptée. Il faut compenser le changement de masse en changeant la fréquence de la tension, c'est le synchro cyclotron.

Le synchrotron du LHC: un cas à part

Le LHC exploite une technologie toute différente. En effet, les particules parcourent la même trajectoire (ceci est fait en adaptant en permanence le champ magnétique déflecteur), par ailleurs, le LHC comporte des aimants dipôlaires, quadripôlaires, octopolaires, permettant de refocaliser le faisceau afin de maintenir une certaine luminosité (puisque les évènements recherchés sont extrêmement rares, il faut multiplier les chances de collision).

C'est pourquoi les accélérateurs tels que le LHC sont en forme d'anneaux, avec des portions droites, permettant d'accélérer ces particules, et des portions courbes, où des électro-aimants supraconducteurs permettent de générer des champs magnétiques assez intenses pour dévier les faisceaux de particules.

Le LHC est en fait composé de 2 synchrotrons, faisant circuler des protons dans des anneaux en sens inverse. Ces anneaux se croisent en 8 points différents, sièges des expériences ATLAS, CMS, LHCb, ALICE, LHCf et TOTEM. De ce fait, le LHC est un collisionneur de particules.

Pourquoi cette taille ?

L'on se rend compte alors, que plus l'accélérateur est grand, moins il faudra de force pour dévier les particules (c'est un compromis entre l'intensité du champ magnétique que l'on sait faire aujourd'hui, et la taille du tunnel).

Par ailleurs, plus une particule est légère, plus elle perd d'énergie par rayonnement cyclotron (lorsqu'une particule électrique est déviée, celle-ci émet de la lumière et perd donc de l'énergie). C'est pourquoi le LHC a été conçu pour accélérer des protons.

3 - Les Expériences se déroulant au LHC

6 expériences sont actuellement en oeuvre, 2 gargantuesques (ATLAS et CMS), 2 autres plus "moyennes" (LHCb et ALICE), et 2 petites (TOTEM et LHCf).

ATLAS: A Toroidal LHC ApparatuS


L'expérimence ATLAS
Illustration: © CERN

ATLAS est un détecteur polyvalent, destiné à l'exploration d'un large éventail de phénomènes physiques, que ce soit la chasse du boson de Higgs, la détection des dimensions supplémentaires, ou les particules supersymétriques. ATLAS est basé sur un système magnétique toroïdal (en forme de beignet), composé de 8 bobines supraconducteurs concentriques longs de 25 mètres.

CMS: Compact Muon Solenoid (généraliste chasse au Higgs)


L'expérimence CMS
Illustration: © CERN

CMS est le binôme d'ATLAS, détecteur également générique, mais de conception différente. Le détecteur est basé sur un énorme aimant solénoïde (de forme cylindrique). CMS et ATLAS permettront de consolider leurs observations.

LHCb: Large Hadron Collider Beauty


L'expérimence LHCb (Illustration: © CERN )

Le LHCb est destiné à l'étude de l'asymétrie matière-antimatière. En effet, l'univers aujourd'hui est constitué principalement de matière. Or dans les laboratoires, chaque fois que l'on crée de la matière, une quantité strictement égale d'antimatière est créée. Dans les années 30, les physciens ont constaté que la matière et l'antimatière ne se comportaient pas de manière strictement identique grâce aux particules étranges (hadrons constitués de quark strange).
Cette dissymétrie est bien plus prononcée pour les hadrons constitués de quarks beauty. Cette expérience devrait nous en dire plus sur cette assymétrie, et expliquer pourquoi la matière a dominé l'antimatière juste après le Big Bang.

Alice: A Large Ion Collider Experiment


L'expérience ALICE (Illustration: © CERN )

ALICE met en oeuvre des noyaux de Plomb très lourds (210 fois la masse d'un proton) pour explorer un nouvel état de la matière: le plasma de quark, l'énergie des faisceaux devrait atteindre une température 100 000 fois la température au coeur du soleil.

LHCf: Large Hadron Collider forward et TOTEM: TOTal Elastic and diffractive cross section Measurement

Ces expériences permettent de sonder la taille du proton en analysant des particules peu déviées dans le faisceau primaire.

4 - Le Boson de Higgs

Le but principal du LHC est de débusquer le boson de Higgs, mais en fait qu'est-ce que c'est ?

Les interactions fondamentales et la théorie quantique

Il existe 4 interactions fondamentales dans l'univers:

- la force de gravitation, familière à tous, elle régit la valse des planètes autour du soleil, maintient les hommes sur terre, etc... c'est pourtant la force la plus faible

- la force électromagnétique, responsable de la cohésion des atomes et de la matière dans son ensemble, de l'existence de la lumière et des ondes électromagnétiques (onde radio, micro onde, rayons X, UV etc...), et du champ magnétique terrestre par exemple

- l'interaction forte, qui est responsable de la cohésion du noyau atomique (constitué de protons chargés positivement, et de neutrons), qui se manifeste tous les jours dans les centrales nucléaires ou dans le soleil

- l'interaction faible, qui est responsable d'un certain type de désintégration radioactive

La théorie quantique des champs est un formalisme décrivant les différentes interactions fondamentales (sauf la gravitation), prenant en compte les lois de l'infiniment petit, celles de la mécanique quantique, et les lois de la relativité, celui des corps voyageant à des vitesses proches de celle de la lumière. Ces théories, basées sur des groupes de symérie, ou groupe de Lie, donnent des résultats infinis, mais grâce à des méthodes mathématiques rigoureuses, appelées renormalisation, ces théories peuvent donner des résultats finis, ce genre de champ sont appelés théorie de Yang-Mills.

Mécanisme de Higgs

Pour décrire ces interactions, nous avons besoin de particules vecteurs de l'interaction, ayant une masse nulle (ce qui est vrai pour le photon pour l'électromagnétisme, et les gluons pour l'interaction forte). Seule l'interaction faible n'entre pas dans ce formalisme. L'on appelle ce formalisme: invariance de jauge locale. Ces invariances sont basées sur des groupes de transformations, que l'on appelle Groupe de Lie.

Or Glashow en 1961 a réussi à décrire les interactions faibles et électromagnétiques sous le même formalisme (basé sur l'introduction de 4 champs, se mélangeant pour donner le photon, les bosons W+ et W-, et une nouvelle particule le Z0, prédisant de ce fait les courants neutres qui seront observés en 1973 au CERN).

Les 3 physiciens Robert Brout, François Englert et Peter Higgs introduisirent un champ permettant de conférer une masse à des particules ayant à l'origine une masse nulle. En effet, l'introduction d'un nouveau champ scalaire peut suffir (porté par le boson éponyme). Lorsque ce champ acquiert une valeur moyenne non nulle à basse énergie dans le vide, celui-ci confère une masse non nulle aux particules sensibles à ce champ. Ce procédé fut appliqué par Salam et Weinberg en 1967.


Profil énergétique d'un champ scalaire
à haute énergie, la symétrie de rotation est conservée (bille centrée en haut)
à basse énergie, la symétrie est brisée (la bille doit choisir une position en bas
Illustration: Imperial College of London


Diagramme de Feynman montrant plusieurs évènements caractéristiques possibles lors de la production du boson de Higgs
Illustration: Imperial College of London

Les prédictions de la théorie Electrofaible (GSW Glashow Salam Weinberg)

Au final, nous avons une théorie décrivant très bien la force électromagnétique et les interactions faibles, assortis de plusieurs prédictions:
- l'existence de courants neutres (découverte au CERN en 1973)
- l'existence d'un 4ème quark le charm (découvert en 1974 par deux équipes américaines)
- l'existence des particules W+ W- et Z0 (découvertes en 1983 et 1984 par le CERN)

Tout cela n'est possible que si le mécanisme de Higgs sur lequel repose toute la construction du modèle standard est avéré. Pour cela il y a une dernière prédiction: le boson de Higgs

Âprement recherché, ce boson permettrait de confirmer l'existence d'un champ donnant la masse à toutes les particules connues. Par ailleurs, celui-ci permettrait de confirmer nos schémas théoriques basés sur les invariances de jauge locale.

5 - Au delà du Modèle Standard

Dimensions supplémentaires

Nous vivons aujourd'hui dans un monde tridimensionnel, pour situer un point dans l'espace, il nous faut 3 nombres: son abscisse (à combien de mètres se trouve ce point sur le plan horizontal), son ordonnée (à combien de mètre à l'avant ou à l'arrière), et sa hauteur. Au LHC il est également possible d'explorer des distances plus petites, et des expériences seront tentées pour analyser la variation de l'intensité de la gravitation à petite échelle, traduisant l'existence de dimensions supplémentaires de tailles macroscopiques (quelques microns pourraient rendre les théories de grande unification expérimentalement réfutables).


Espace où à chaque point l'on rajoute 6 dimensions compactifiées (espace de Calabi-Yau)

En effet, si l'intensité de la force de gravitation augmente plus vite, lorsque l'on explore des échelles plus petites, cela veut dire qu'il faut moins d'énergie pour créer des trous noirs microscopiques. Il devient alors possible de créer des trous noirs dans le LHC. Si c'était le cas, nos appareils auraient du mal à les détecter, leur durée de vie étant si faible, qu'ils n'ont pas le temps de parcourir une distance comme le rayon du proton avant de se désintégrer.

En conséquence, par des considérations théoriques de thermodynamique, de mécanique quantique, et de calculs mi-quantiques, mi-relativistes, Stephen Hawking est arrivé à la conclusion paradoxale qu'un trou noir a non seulement une température, liée à sa masse, mais un trou noir doit aussi rayonner. Plus un trou noir est petit, et plus il est chaud, et donc plus il doit rayonner d'énergie et donc plus il va s'évaporer vite. C'est la loi de Beckenstein-Hawking. C'est pourquoi dans la possibilité improbable que le LHC ait assez d'énergie pour créer un trou noir microscopique, et bien celui-ci s'évaporerait beaucoup plus vite que la plus instable des particules connues (qui je le rappelle sont indétectables), et aurait nullement le temps d'interagir avec la matière.

Particules supersymétriques

A chaque fois que l'on a eu des nouveaux outils pour explorer des domaines d'énergie plus élevée, nous avons pu découvrir de nouvelles entités (par exemple l'astronomie en rayon X nous a permis de découvrir les phénomènes les plus violents de l'espace).

Pour expliquer certaines données cosmologiques, les physiciens des particules pourraient venir en aide aux astrophysiciens et cosmologistes de l'infiniment grand, notamment sur l'explication de la matière noire. En effet, les observations ne corroborent pas du tout les théories unanimement acceptées par la communauté, (la relativité générale). Pour que les lois collent avec les observations, il faut introduire de la matière noire. Elle serait environ 5 fois plus abondante que la matière ordinaire, et pourrait expliquer la courbe de rotation des galaxies, ou la vitesse des galaxies dans les amas de galaxies. Cette matière ne doit pas intéragir avec la matière ordinaire, mais seulement très faiblement.

Théoriquement, de nouvelles particules pourraient entrer dans la composition de la matière noire: les particules supersymétriques. La supersymétrie, est une nouvelle symétrie de la nature, postulée par des théories pour le moment très spéculatives. En effet, dans le zoo des particules, nous distinguons deux grandes familles: les fermions (particules composants la matière: électrons, quarks etc...), et les bosons (particules médiatrices des forces: photon pour la force électromagnétique etc...). La supersymétrie est une nouvelle symétrie de la nature, postulée par les physiciens. Il se pourrait qu'à chaque particule connue (un boson) corresponde un partenaire supersymétrique (un fermion et vice-versa) non encore observé. La particule supersymétrique la plus légère composerait la matière noire, et si le LHC pouvait permettre leur découverte, cela pourrait expliquer l'infiniment grand et relancer la recherche dans l'infiniment petit.

6 - Conclusion

La découverte du boson de Higgs est très attendue, ceci permettrait de confirmer des théories bien établies depuis 50 ans.
Par ailleurs des lots de surprises sont également souhaités afin de pouvoir donner des indications aux théoriciens sur la bonne marche à suivre, et peut-être expliquer certains mystères de l'infiniment grand (en astrophysique, ou même en cosmologie).

Outre son importance pour les découvertes en physique fondamentale, le LHC apportera d'énormes retombées applicatives tels que la cryogénie, les supraconducteurs, les super calculateurs. Toutes ces applications auront des répercutions dans l'électronique, la médecine, l'informatique, les télécommunications etc...

sources:
http://public.web.cern.ch/Public/fr/LHC/LHC-fr.html
http://aliceinfo.cern.ch/Public/Welcome.html
http://atlas.ch/
http://cms-project-cmsinfo.web.cern.ch/ ... index.html
http://lhcb-public.web.cern.ch/lhcb-public/
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