LA LIMULE MENACÉE

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cpqt
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LA LIMULE MENACÉE

Message par cpqt » 31/03/2021 - 18:57:21

En pleine pandémie de COVID-19, l’utilisation d’un test à base de sang de limule pour vérifier l’innocuité des vaccins met en lumière notre dépendance face à cet étrange animal. Mais une découverte en science génétique pourrait offrir un répit à cette espèce vulnérable.
La limule est apparue sur Terre il y a plus de 400 millions d’années, bien avant les dinosaures. En anglais, on l’appelle horseshoe crab, mais ce n’est pas un crabe. Elle appartient plutôt à la famille des araignées.Le secret de l’incroyable longévité de cette espèce se trouve dans son sang. Un sang bleu aux propriétés immunitaires incomparables. C'est un sang très particulier, qui ne contient pas de globules blancs comme chez les humains, explique le professeur d'océanographie Jean-Éric Tremblay.

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L’évolution a doté les limules d’un sang qu'on appelle de l’hémolymphe. Ce fluide contient des cellules spécialisées, les amébocytes, qui les protègent des attaques externes. Lorsque les amébocytes entrent en contact avec des bactéries, ils provoquent une réaction de coagulation. Ce n'est pas la bactérie en tant que telle qui est nocive. C'est ce qu'on appelle les endotoxines qui sont sécrétées par la bactérie. Et c'est pour empêcher ces endotoxines de se propager dans l'animal que cette réaction-là va se produire.

Les limules à la rescousse des humains

Au milieu du vingtième siècle, des chercheurs qui étudiaient les limules ont compris qu’elles pourraient nous venir en aide sur le plan médical. On s'est posé la question : "Est ce qu'on peut utiliser les propriétés spéciales du sang de la limule comme test, comme diagnostic pour détecter la présence de substances bactériennes, donc des endotoxines, dans différents médicaments, différents vaccins?"
Une rangée de limules disposées sur des supports. On extirpe le sang de couleur bleue, qui s'accumule dans des récipients. Des employés de laboratoire procèdent à l'opération.

Le sang des limules est extrait en laboratoire.
Les recherches ont mené au développement d’un test à base de lysat d’amébocytes de limules, le test LAL. Ce procédé a été officiellement approuvé en 1977. Il est alors devenu la référence sur la planète pour assurer l’innocuité des médicaments, des vaccins et des appareils qui entrent en contact avec le sang humain. Chaque année aux États-Unis, environ 500 000 limules sont capturées pour servir à la fabrication du test LAL. Ces limules sont transportées dans des laboratoires où on prélève près du tiers de leur sang avant de les relâcher vivantes dans l’océan.

Le problème, c’est que selon certaines études, de 15 % à 30 % d'entre elles meurent durant le processus. De plus, une fois remises à l’eau, les limules seraient souvent désorientées et auraient de la difficulté à se reproduire.Aujourd’hui, en pleine pandémie de COVID-19, cette forme d’exploitation de la limule inquiète de plus en plus de scientifiques. Le test LAL est utilisé dans toute la chaîne de production des vaccins et on sait en ce moment, avec la crise sanitaire, que la production de vaccins à l'échelle mondiale va avoir augmenté de façon très significative.

Une espèce menacée
La pression sur cette espèce qui nous fournit de grands services est tellement forte qu’on craint maintenant pour sa survie. En Asie, les limules sont sérieusement menacées. C'est qu'en plus de servir la science, elles sont consommées par les populations locales et leur habitat ne cesse de se dégrader. Sur la côte atlantique des États-Unis, l’espèce est considérée comme vulnérable. Jusqu’à 75 % des stocks historiques de limules auraient disparu. Chez nos voisins du sud, les limules ont d’abord été prélevées par millions pour servir de fertilisant agricole.Aujourd’hui la pêche commerciale constitue la principale cause de mortalité de l’espèce. Près d’un million de limules sont capturées annuellement et servent d’appâts pour d’autres espèces plus lucratives.

Un rôle clé dans les écosystèmes
Le biologiste américain Larry Niles est préoccupé. Il a consacré sa carrière à la préservation des limules de la baie du Delaware. En raison de la COVID-19, la demande pour le sang de limule va monter en flèche et cela entraînera une augmentation significative de la mortalité des limules, précise Larry Niles.Selon lui, les conséquences pourraient être dramatiques. Comme les œufs des limules sont très riches en lipides, ils sont essentiels à la survie de nombreuses espèces de poissons et de plusieurs oiseaux migrateurs, dont certains sont classés en voie de disparition. Lorsqu’on demande à Larry Niles ce qui devrait être privilégié entre la survie des limules ou la santé des humains, sa réponse est claire : Nous ne devrions pas dépendre uniquement d’une espèce qui a du mal à survivre. C'est ça l'argument principal.

Une solution de rechange synthétique
Une solution pour sortir de notre dépendance aux limules a peut-être été trouvée. Les progrès de la génétique ont permis d’isoler le gène de la limule qui est responsable de la production du facteur chimique contenu dans les amébocytes et qui permet de détecter les endotoxines. Cette perle rare se nomme le facteur C. Des entreprises biomédicales, comme la française bioMérieux, s’en servent désormais pour produire un test synthétique, le rFC. Un procédé qui ne fait plus appel au sang des limules. Il y a un risque en termes de sécurisation de cette matière première. D'où l'intérêt d'avoir une alternative qui ne fait pas appel à cette source naturelle. Qui plus est, c'est dans l'air du temps, c'est-à-dire que les industries pharmaceutiques veulent s'affranchir de sources biologiques.
Ce nouveau test à partir du facteur C Recombinant de limule a été autorisé en Europe en 2016. Mais aux États-Unis, on ne permet toujours pas son utilisation à grande échelle.

L’heure des choix est peut-être arrivée?
On dépend de la survie de la limule, dans le fond, pour le test LAL. Et la possibilité d'avoir maintenant une alternative de synthèse pourrait nous permettre en grande partie de nous affranchir de ce test.

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