Un des phénomènes les plus fascinants de la physique est probablement l’émergence spontanée de transitions de phases dans les systèmes complexes: des assemblées de particules en interactions à courte portée (quelques distances moléculaires) peuvent, si la température est abaissée en-dessous d’un certain seuil, s’organiser sur des distances macroscopiques en brisant spontanément des symétries.
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D’un point de vue dynamique, les transitions de phase continues s’accompagnent toujours de phénomènes complexes de compétition entre les différentes orientations qui émergent dans les différentes zones ordonnées qui croissent aux quatre coins de l’échantillon macroscopique (la cristallisation d’un liquide diffère de ce scénario). Par ailleurs, cette compétition devient de plus en plus lente à mesure que la température se rapproche du changement de phase, ce qui a des conséquences dans toute expérience réelle. En effet, un abaissement de température s’opère toujours avec une certaine vitesse, et quelque lente que soit celle-ci, elle finit par « brusquer » le système qui a alors tendance à se figer dans une configuration avec de nombreux défauts (grains d’orientations magnétiques désordonnées pour un aimant).
Le facteur de forme (produit de la densité des parois de domaines et de la susceptibilité magnétique) est un nouvel outil pour mesurer la distance à l'équilibre.
Point rouge: équilibre thermique. Point vert: croissance après une trempe instantanée.
Intervalle bleu: domaine de variation pour des trempes infiniment lentes.
Crédit: C. Godrèche et J.-M. Luck
Les idées de Kibble ont été appliquées à la matière condensée par le physicien W. Zurek quelques années plus tard, car le mécanisme de base est le même dans les deux cas: le ralentissement critique au voisinage d’une transition de phase continue éloigne le système de l’équilibre lors du passage de cette transition. Ces idées ont donné naissance à la théorie de Kibble-Zurek qui a établi des lois décrivant entre autres le comportement de la densité de défauts en fonction du taux de refroidissement.
Cette théorie vient d’être revisitée par des chercheurs de l’Institut de physique théorique (IPhT, CNRS / CEA) dans un article récemment publié. Ils considèrent un modèle unidimensionnel exactement soluble, la chaîne ferromagnétique de spins d'Ising classique soumise à une dynamique aléatoire mimant l’interaction avec un thermostat de température accordable, dont la variation temporelle est a priori quelconque. De par sa structure unidimensionnelle, ce modèle possède une transition de phase continue au zéro absolu, ce qui permet de s’en approcher « par au-dessus » et d’en étudier les propriétés partagées universellement autours des points critiques: ralentissement critique avec persistance de défauts, émergence de domaines magnétiques de plus en plus grands...
Les auteurs étudient de façon exhaustive les différents scénarios possibles de refroidissement vers le zéro absolu, et introduisent un nouveau paramètre, le « facteur de forme », qui rend compte synthétiquement de l’éloignement du système de l’équilibre induit par le protocole de refroidissement. Ces résultats sont publiés dans Journal of Physics A.
Références:
The Glauber-Ising chain under low-temperature protocols, C. Godrèche, J.-M. Luck, Journal of Physics A: Mathematical and Theoretical, paru le 16 décembre 2021.
DOI: 10.1088/1751-8121/aca84c
Archives ouvertes arXiv
Source: CNRS INP