Des chercheurs du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (CNRS/Université Toulouse 3 / Ecole nationale formation agronomique) en collaboration avec l'unité Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Société (CNRS/Université Bordeaux 3/Université Bordeaux 2/Ministère Culture et Communication/ENSAPB/Bordeaux Sciences Agro/INRA/IEP Bordeaux) et l'Institut Gulbenkian de Science à Lisbonne ont exploré l'histoire des paysages du nord de Madagascar à travers celle d'un lémurien. Leurs travaux, récemment publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), montrent que les habitats ouverts de cette région sont antérieurs à l'arrivée de l'homme sur l'île et ne résultent donc pas d'une déforestation humaine.
L'impact des changements climatiques et de la déforestation sur la biodiversité est une préoccupation majeure. Dans ce contexte, les rôles respectifs de l'homme et des fluctuations passées du climat sur la formation des écosystèmes actuels continuent d'être débattus par les chercheurs. Madagascar est aujourd'hui formée à plus de 80 % d'habitats ouverts (savanes, zones herbeuses, sols nus, etc.) dont l'origine a longtemps été attribuée aux premiers habitants de l'île. Comme au cours des dernières décennies, de nombreuses forêts ont été détruites par l'homme, un tel discours semblait raisonnable. Cependant, des données palynologiques et biogéographiques l'ont récemment remis en cause en montrant que certaines régions de l'île étaient dominées par des mosaïques de forêts et de savanes bien avant l'arrivée d'Homo sapiens.
De telles données n'existent toutefois pas pour le nord du pays et les auteurs de l'étude publiée dans les PNAS ont travaillé sur... les fèces de propithèques à couronne dorée, une espèce de lémurien endémique de la région de Daraina dans le nord-est de Madagascar. L'ADN extrait de ces fèces a permis de reconstruire l'histoire démographique récente de cette espèce et de retracer les fluctuations passées de son habitat forestier. En parallèle, images satellites et photos aériennes ont été analysées pour évaluer l'évolution de la végétation dans le secteur au cours des soixante dernières années, période pour laquelle la croissance démographique malgache a été la plus forte.
Les résultats montrent que le couvert forestier est resté très stable dans la région de Daraina au cours du demi-siècle écoulé, ce qui suggère que les populations humaines n'ont pas eu d'impact majeur. De plus, les données génétiques ont signalé une importante diminution, dans le passé, de la taille de la population de propithèques à couronne dorée - synonyme de bouleversement dans leur environnement - mais celle-ci est très clairement antérieure à l'arrivée des premiers hommes sur l'île. Des travaux récents suggèrent que Madagascar a été le théâtre d'importants épisodes de sécheresse il y a quelques milliers d'années, qui se sont probablement traduites par l'augmentation des zones herbeuses et donc la réduction de l'habitat forestier et de l'aire de distribution de ces lémuriens.
Même s'il ne fait aucun doute que de nombreuses régions de Madagascar ont subi une importante déforestation due à l'homme au cours des derniers siècles, ce travail remet en cause le discours selon lequel les changements du couvert végétal sont forcément d'origine anthropique. Afin d'améliorer les décisions de gestion et de conservation, il est donc nécessaire de tenir compte des particularités de chaque région en termes d'histoire de colonisation, d'activités humaines et de traditions vis-à-vis de l'environnement.
Référence:
Genetic data suggest a natural prehuman origin of open habitats in northern Madagascar and question the deforestation narrative in this region, Proceedings of the National Academy of Sciences, Erwan Quéméré, Xavier Amelot, Julie Pierson, Brigitte Crouau-Roy & Lounès Chikhi.