Des expériences sous hautes pressions et hautes températures, réalisées par des chercheurs de l'Institut des sciences de la Terre d'Orléans (CNRS, Université d'Orléans, BRGM) permettent de comprendre sous quelles conditions des magmas de composition différentes peuvent ou non se mélanger dans des réservoirs magmatiques. Ces résultats éclairent certains processus de croissance de la croûte continentale. Cette étude vient de paraître dans la revue Nature Communication du 15 décembre 2014.
Images obtenues par microscopie électronique à balayage de texture sans (a) et avec (b) mélange entre 2 magmas (secs et hydratés) lors d'expériences en torsion. L'interface entre les différents magmas est plane après expérience menée à 1160°C (ou 985°C avec des magmas hydratés) tandis que des textures complexes de mélange se produisent à 1170°C (ou 1000°C avec des magmas hydratés) lorsque la charpente cristalline est rompue par la déformation des 2 extrêmes.
Les magmas présents sur Terre et en profondeur ont une composition chimique variée. Il existe des magmas dits basiques, à faible teneur en silice (SiO2) comme les magmas basaltiques. D'autre dits felsiques sont relativement plus riche en SiO2, par exemple les rhyolites, coexistant avec des magmas intermédiaires (andesites, dacites). Ces magmas intermédiaires sont issus de 2 processus possibles: soit la différenciation par cristallisation fractionnée de basaltes, c'est-à-dire l'évolution progressive de la composition du magma du fait même que des minéraux cristallisent et en extraient des éléments chimiques ; soit le mélange en différentes proportions des deux magmas (basiques ou felsiques).
Typiquement, deux magmas différents coexistent et ont la possibilité de se mélanger lorsqu'un réservoir généralement riche en silice est réalimenté par un magma intrusif plus basique et plus chaud. Selon la différence de densité entre les 2 magmas, le magma intrusif s'épanche au fond de la chambre ou remonte, associé à une ou des cellules de convection. Mais quel que soit le mode de mise en place, un mouvement relatif (cisaillement) déforme l'un ou les deux magmas.
Pourtant, bien qu'à l'origine de processus importants tels que le déclanchement d'éruptions volcaniques ou la croissance de la croûte continentale, les propriétés thermo physique du mélange de magmas sont encore mal connues. Contrairement à ce qui a généralement été fait lors des études expérimentales précédentes les chercheurs ont examiné dans cette étude les conditions thermo-mécaniques similaires aux conditions naturelles de la croûte terrestre dans lesquelles deux magmas chimiquement contrastés peuvent se mélanger.
Pour cela, ils ont mené des expériences en torsion simulant un cisaillement, à haute pression (300 MPa) et haute température (600 < T < 1200°C) sur des paires de magmas (dacite & rhyodacite, basalte & rhyodacite secs, et basalte & rhyodacite hydratés) à des faibles vitesses telles que régissant les réservoirs magmatiques. Les échantillons déformés ont développé, dans certaines conditions seulement, des caractéristiques texturales et chimiques de mélange.
D'après ces expériences, les conditions favorables au mélange sont:
- une faible différence de viscosité entre les deux magmas,
- des cristaux présents à moins de 50 % en volume dans l'un et/ou l'autre des magmas, sans quoi le mélange n'a lieu,
- une viscosité inférieure à 7.5 unités logarithmiques, même si la différence de viscosité entre les deux magmas est faible.
On observe au cours de ces expériences que le passage entre mélange et absence de mélange est brutal, intervenant en moins de 10°C et que la présence d'eau abaisse significativement (de 170°C) la température de transition mélange / absence de mélange.
Ces résultats ont permis de calculer la fraction minimale de magma basique devant réapprovisionner une chambre felsique pour donner lieu à des conditions favorables au mélange. En effet, pour éviter que le basalte ne cristallise dès son entrée dans le réservoir plus froid, il faut une fraction de magma intrusif relativement importante (environ la moitié de la quantité totale du réservoir) pour le maintenir sous le seuil de cristallinité critique, et préserver un contraste de viscosité suffisamment faible permettant le mélange. Cette fraction minimale de magma varie selon la nature des magmas mis en jeu, les cristaux s'y développant, la teneur en volatils etc. mais reste relativement élevée (supérieure à 0.42), y compris pour des magmas ayant des compositions similaires (ex.: dacite et rhyolite).D'autres paramètres restent à tester tels que la vitesse de cisaillement et la présence de bulles, qui pourraient augmenter significativement les possibilités de mélange.
Les conditions de mélange ne sont pas plus facilement atteintes à la base de croûte continentale, qu'en haut. En revanche, les hybrides résultant de mélange apparaissent un peu plus basique en base de croûte, avec une teneur en SiO2 inférieure à 55 % poids, (basalte andésitique) tandis que les andésites sensu stricto (SiO2 56-58%) sont plus favorablement produites dans la croûte supérieure.
D'autre part, dans la majeure partie des cas, le mélange de magmas ne semble pas pouvoir préserver des cristaux de la source felsique car ces dernières sont généralement fondues par l'arrivée d'une importante quantité de magma chaud et basique.
Ces résultats permettent également de discuter du mode de recharge (continu, incrémental...) et des flux de magmas ayant réapprovisionné des réservoirs dans différents contextes géodynamiques. Enfin, l'effet de la pression a aussi une implication sur la compréhension de l'évolution chimique de la croûte continentale: une croûte fine, fréquemment alimentée par un basalte chaud, tel qu'au début de l'histoire de la Terre, a le potentiel pour produire de grandes quantités d'hybrides relativement felsiques. Au contraire, l'épaississement de la croûte et la baisse de flux dans le manteau devraient produire moins d'hybrides, menant la croûte vers des compositions globales plus basiques. Cette observation concorde avec l'existence d'une croûte archéenne (vers 2,5 milliards d'années) plus felsique que celle des temps phanérozoïques (environ 540 à 360 millions d'années), dans la mesure où le mélange ne fut pas moins important dans le passé.