La famille des baryons (parmi lesquels figure le proton et le neutron) s'est récemment enrichie de plusieurs nouveaux membres de poids lourds. Comme les éléments chimiques 116 et 118, ajoutés il y a peu au tableau périodique des éléments (voir notre news), les nouveaux membres du tableau périodique des baryons sont instables et éphémères, mais l'observation de leur existence est nécessaire à notre compréhension de la matière dans l'univers.
Les nouveaux baryons, les plus lourds de leur genre avec des masses avoisinant 5,8 gigaélectronvolts, ont été détectés lors d'expériences mettant en jeu plusieurs trillions de collisions entre protons et antiprotons, et conduites à une énergie de 2 teraélectronvolt dans l'accélérateur du Fermilab (Fermi National Accelerator Laboratory).
Figure 1. Les familles de particules élémentaires Voir légende en fin
Selon la boîte à outils du modèle standard, toute la matière existante est élaborée à partir d'une famille de six leptons et d'une famille de six quarks (voir figure 1). Parmi les leptons, seul l'électron se retrouve dans les atomes normaux, et parmi les quarks seuls les quarks up (u) et down (d) servent à former les protons et les neutrons. Ainsi le proton est constitué d'un trio de quarks u-u-d tandis que la composition du neutron est d-d-u. Mais il est possible d'imaginer d'autres baryons (particules composées de trois quarks) à partir de différentes combinaisons, ou avec différentes valeurs de spin (le proton et le neutron ont pour valeur nominale de spin 1/2). Bien qu'ils puissent être produits artificiellement dans les collisionneurs de particules, les baryons contenant les autres quarks: strange (s), charm (c), bottom (b), et top (t), sont instables et se désintègrent rapidement. Néanmoins, pour comprendre les forces qui régissent la matière nucléaire, les physiciens tâchent de créer et de mesurer tous ces autres candidats au statut de baryons (voir la hiérarchie des baryons: figure 2).
Jusqu'à présent un seul baryon à base de quark (b) avait une existence bien établie: le baryon Lambda-b. La première preuve de son existence avait été rapportée par le CERN et le Fermilab dans les années 90 sur la base d'une poignée d'événements. Mais la collaboration CDF du Fermilab vient d'annoncer la découverte de deux nouveaux types de baryons, chacun sur la base d'une centaine d'événements.
Figure 2. La hiérarchie des baryons Voir légende en fin
En fait il s'agit de quatre nouveaux baryons appelés Sigma-b: deux baryons positivement chargés de combinaisonu-u-b (l'un de spin 1/2, l'autre de spin 3/2), le premier d'entre-eux constituant une sorte de "proton-bottom" ; et deux baryons négativement chargés de combinaison de d-d-b (l'un de spin 1/2, l'autre de spin 3/2). Dans tous les cas, le Sigma se désintègre presque immédiatement en une particule Lambda-b (u-d-b) plus un méson Pi. Dans le détecteur, le Lambda survit typiquement sur environ 100 microns avant de se désintégrer en Lambda-c (un baryon Lambda avec un quark (c) à la place du quark (b)), qui se désintègre à son tour rapidement en un proton normal.
Y a-t-il suffisamment de données pour prétendre à une "découverte" de ces particules ? Ces nouveaux résultats ont été annoncés, lors d'une récente conférence au Fermilab, par Petar Maksimovic, de l'université Johns Hopkins. Jacobo Konigsberg, de l'université de Floride, co-porte-parole du groupe CDF, indique que les statistiques infirmant l'existence des particules Sigma-b ne sont que de quelques parties sur 10^19.
Légende des illustrations:
Figure 1. Les familles de particules élémentaires. Six quarks - up, down, charm, strange, top et bottom – sont les briques fondamentales de la matière. Des protons et les neutrons sont constitués de quarks (u) et (d), liés entre eux par l'interaction nucléaire forte. La collaboration CDF a découvert des parents exotiques du proton et du neutron, des particules incluant un quark (b).
Figure 2. La hiérarchie des baryons. Les baryons sont des particules constituées de trois quarks. Les particules peuvent exister dans un état fondamental (J=1/2) et un état excité (J=3/2). Les expériences de l'équipe CDF ont permis de découvrir le Sigma-b postitivement chargé et le Sigma-b négativement chargé dans deux configurations de spin. Le schéma montre les diverses combinaisons à trois quarks avec J=3/2 possibles en utilisant les trois quarks les plus légers, (u), (d), (s) et le quark (b). Des expériences antérieures avaient permis de découvrir tous les baryons constitués de quarks légers. La découverte de la collaboration CDF est la première observation de baryons possédant un quark (b) et de spin J=3/2. La théorie prévoit que quatre autres particules de même type doivent exister. Il existe d'autres baryons impliquant le quark charm (c), qui ne sont pas montrés ici. Quant au quark top (t), découvert au Fermilab en 1995, il est de trop courte durée de vie pouvoir faire partie d'un baryon.