Combien de temps une racine orogénique peut-elle rester partiellement fondue ?

Publié par Adrien,
Source: CNRS-INSUAutres langues:
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Des chercheurs de trois laboratoires français et des géologues du Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles du Québec ont mis en évidence que sous le plateau orogénique de la Province protérozoïque de Grenville, similaire à celui du Tibet, la croûte continentale peut rester partiellement fondue pendant plus de 70 millions d'années (Ma), et même demeurer à plus de 450-500°C pendant plus de 110 Ma. De telles durées ont pu être estimées grâce à une approche combinant observations de terrain et pétrochronologie de la monazite et de l'apatite et ouvrent de nouvelles perspectives sur l'évolution thermique et mécanique des orogènes.

L'évolution de la croûte continentale suscite encore des débats, notamment concernant la durée des conditions de haute température, comme celles atteintes au cours d'une collision continentale, avec pour exemple actuel la chaîne Himalaya-Tibet. Dans ce type d'orogènes larges, chauds et de longue durée, le comportement thermomécanique de la croûte dépend de la durée durant laquelle les niveaux de croûte inférieurs à intermédiaires, soit la racine de la chaine de montagne (ou racine orogénique), enregistrent des conditions dites "suprasolidus", c'est-à-dire partiellement fondue.


Position de la ceinture orogénique du Grenville dans l'Amérique du Nord (a) et Carte géologique simplifiée de la Province (je préfèrerai que vous gardiez cette majuscule car Province de Grenville réfère à un nom de région géologique) de Grenville avec la position des coupes géologiques (b).

La jeune ceinture orogénique Himalaya-Tibet n'a pas été encore érodée et n'expose donc pas ces niveaux de croûte continentale, qui sont par contre accessibles sur un équivalent protérozoïque: la ceinture orogénique du Grenville affleurant essentiellement au Sud-Est du Québec (Canada). Cette ceinture s'est formée il y environ 1 milliard d'années par la collision continentale entre les cratons Laurentia et Amazonia. La longue érosion depuis sa formation permet d'avoir accès aux processus ayant lieu actuellement dans la racine orogénique de la ceinture Himalaya-Tibet.

L'évaluation de la durée de ces conditions suprasolidus est basée sur l'étude de sédiments qui ont été partiellement fondus au cours de la collision continentale. La fusion partielle des sédiments a généré des liquides granitiques dont une partie est restée dans la roche (leucosomes). Dans ces leucosomes, la position et l'âge des monazites, témoins des conditions suprasolidus, ont été reportés par une équipe de chercheurs de Terre-Neuve (Canada). Enfin, ces sédiments sont recoupés par un granite pegmatitique filonien (dyke) présentant des anomalies de concentrations en terres rares légères et daté à 1005.4±4.4 Ma.

L'étude de ces sédiments montre que les monazites des leucosomes ont cristallisé en conditions suprasolidus, d'abord au cours de l'augmentation des conditions P-T (trajet prograde) entre environ 1080 et 1050 Ma puis de leur diminution (trajet rétrograde) jusqu'à environ 1020 Ma. Le dyke mis en place à 1005 Ma dans ces sédiments présente un contact lobé et sans indices d'échange thermique avec les sédiments, ce qui est incompatible avec sa mise en place dans une croûte "froide". Ainsi, les conditions suprasolidus sont enregistrées dans ces sédiments, et sans refroidissement/réchauffement intermédiaire, pendant au moins 70 Ma.


Coupes géologiques proposant un retrait du slab au cours de la subduction pour expliquer les durées importantes de cette racine orogénique dans des conditions suprasolidus.

Les apatites de ces leucosomes, dont les températures de fermeture ont été calculées à 450-550°C ont cristallisé à l'équilibre avec le liquide à 960±10 Ma. L'absence de déformation antérieure à leur cristallisation démontre le refroidissement constant des sédiments entre 1070 et 960 Ma et témoigne de températures supérieures à 450°C pendant au moins 110 Ma.

Nous expliquons une telle durée de fusion partielle par le retrait progressif du panneau plongeant au cours de la subduction engendrant une augmentation du flux de chaleur mantellique à la base de la croûte. Cette fusion partielle permet le fluage de la racine orogénique et contribue à sa différenciation conduisant à la genèse de dykes de granites pegmatitiques très enrichis en terres rares légères comme démontré dans des études connexes de la thèse de doctorat du premier auteur.

Cette étude constitue une avancée significative dans la compréhension de l'évolution thermique et mécanique des orogènes, de différenciation de la croûte et de genèse de granites pegmatitiques à terres rares.
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