Comment se forment et évoluent les galaxies pour former les grandes galaxies spirales observées aujourd'hui ? Pour essayer de résoudre cette énigme, une équipe internationale dirigée par des chercheurs du Laboratoire Galaxies Etoiles Physique et Instrumentation (UMR CNRS, Observatoire de Paris, Université de Paris VII), vient d'observer plus d'une trentaine de galaxies très éloignées avec le VLT de l'ESO équipé du spectrographe FLAMES/GIRAFFE. Ces observations ont révélé deux grandes surprises.
D'une part beaucoup de ces galaxies ont des mouvements internes désordonnés, suggérant que les mécanismes de fusion ou d'interaction étaient beaucoup plus importants à cette époque que ce que l'on croyait auparavant. D'autre part, les observations indiquent que le rapport de masse entre la matière noire et la matière visible reste inchangé depuis les 6 derniers milliards d'années. Ces résultats importants font l'objet de trois publications dans la revue Astronomy and Astropysics.
Collision de galaxies (vue d'artiste)
Notre Galaxie et sa voisine Andromède sont des galaxies spirales: elles sont constituées d'un bulbe au centre et d'un disque doté de bras en forme de spirale où les étoiles les plus jeunes se concentrent. C'est en étudiant le mouvement de rotation de ces disques que les astrophysiciens découvrirent dans les années 1930 que les galaxies spirales contiennent beaucoup plus de matière que ce que l'on peut observer à partir de la lumière qu'elles émettent: aujourd'hui nous savons que plus de 80% de la masse est composée de cette matière invisible, appelée "matière noire", et dont la nature même reste encore très mystérieuse.
Ces galaxies spirales représentent environ deux tiers des galaxies actuelles: c'est dire si la compréhension de leur origine est aujourd'hui une des questions centrales de l'astronomie. Pour tenter de mieux comprendre comment ces galaxies spirales se sont formées, une équipe internationale d'astronomes s'est intéressée à un échantillon de 32 galaxies très éloignées, tellement éloignées qu'elles ont émis leur lumière alors que notre propre Soleil n'était même pas encore né... Ces galaxies nous renseignent donc sur le passé des galaxies actuelles, et celui-ci s'est révélé être particulièrement agité !
Grâce à l'instrument FLAMES/GIRAFFE, installé au foyer d'un des télescopes de VLT de l'ESO, et à son mode multi-intégral de champ unique au monde (1), cette équipe d'astronome a pu déterminer avec précision les mouvements internes dans ces galaxies distantes et étudier comment la relation entre la matière ordinaire, sous forme d'étoiles, et la matière noire évoluait dans le passé.
Cette étude a permis de révéler de manière très surprenante, qu'environ 40% des galaxies ont des mouvements internes très perturbés, ce qui signifie que ces galaxies n'ont pas atteint un état d'équilibre comme celui observé dans les galaxies spirales locales. La raison de cet état est que ces galaxies sont probablement en train de subir une importante fusion avec une autre galaxie. Or auparavant, on ne pensait pas que les fusions jouaient un rôle si important dans l'évolution des galaxies.
Etude de trois galaxies (voir légende en fin)
Concernant l'énigmatique matière noire, les astronomes ont découvert que dans les galaxies ayant atteint un état d'équilibre (les seules pour lesquelles ont peut mesurer la masse), la fraction de matière noire semble identique à celle observée dans les galaxies actuelles. Ce résultat renforce le lien entre les matières ordinaire et noire et entretient le mystère sur cette masse "sombre", sans laquelle les galaxies spirales ne pourraient tout simplement pas exister !
Avec FLAMES/GIRAFFE, cette équipe a également pu cartographier pour la première fois la densité électronique dans des galaxies aussi distantes. Des éjections de matière et de grandes régions d'hydrogène ionisé très chaud, avec des formations très importantes d'étoiles, ont ainsi pu être détectées: d'autres preuves du passé agité des galaxies. L'étude des mouvements internes de la matière interstellaire et de ses propriétés est très importante pour comprendre la formation et l'évolution des galaxies. Cette méthode préfigure probablement ce que sera la science avec les futurs très grands télescopes de la classe des 40 mètres (Extremely Large Telescopes).
Légende de l'illustration: Trois exemples de galaxies étudiées avec GIRRAFE. Pour chacune d'elle à gauche l'image obtenue avec le télescope spatial Hubble avec en surimposition le maillage IFU, à droite le champ de vitesse par rapport à la vitesse moyenne de la galaxie (bleu se rapprochant, rouge s'éloignant). En haut, l'objet est une galaxie spirale ayant un disque en rotation normale. Au centre, une galaxie compacte et lumineuse dont la rotation du disque est perturbée par la galaxie que l'on voit et qui se situe à plus de 60 000 années-lumière. En bas, une galaxie compacte ayant une cinématique complexe. Sa structure très perturbée montre la présence d'une queue due probablement à des effets de marée gravitationnelle.
Note: (1) FLAMES/GIRAFFE est un spectrographe multi-fibres. Son mode multi-intégrale de champ (IFU), permet d'observer simultanément 15 galaxies lointaines. Le principe consiste à découper un objet étendu (une galaxie) en une série de pixels et à en réaliser autant de spectres. 15 systèmes de fibres (IFU), constitués chacun de 20 microlentilles reliées à 20 fibres optiques, sont positionnés sur le ciel sur les 15 galaxies à étudier.