Comment mieux mesurer l'impact des sociétés industrialisées et de l'agriculture intensive sur les écosystèmes d'eau douce ? Un projet réalisé à l'échelle du continent européen et coordonné par un chercheur du Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (EcoLab) démontre l'intérêt qu'il y aurait à utiliser, en complément de la surveillance traditionnelle faite à l'aide d'indices biologiques, de nouveaux indicateurs basés sur une perception fonctionnelle de ces écosystèmes. Les résultats de cette étude viennent de paraître dans Science.
L'enrichissement des eaux douces en nutriments, que ce soit par les résidus de l'élevage, des agglomérations et de l'industrie ou par les engrais agricoles, place les écosystèmes aquatiques les plus vulnérables en position précaire. Même si les réglementations concernant l'impact des activités humaines sur ces milieux sont plus strictes que par le passé, les conséquences de ces apports sur le rôle des communautés aquatiques dans le fonctionnement de l'écosystème restent mal connues, alors même que ces communautés rendent d'importants services écosystémiques, comme la décomposition de la matière organique végétale.
Pour mieux cerner les réponses de ces écosystèmes, une expérience de grande ampleur a été menée sur 100 cours d'eau d'Europe, qui consistait à observer l'impact d'une variation de 1 à 1 000 des concentrations en nutriments sur l'activité de décomposition. Les chercheurs ont utilisé 2 400 sacs, à mailles plus ou moins fines, contenant des débris végétaux (que l'on appelle litière) provenant soit de chêne pédonculé - à décomposition lente -, soit d'aulne glutineux - à décomposition rapide. Les résultats ont montré qu'un apport modéré de nutriments suffit à stimuler le processus, provoquant un recyclage plus rapide de la matièreorganique. A l'opposé, cette activité chute en présence de fortes quantités de nutriments, probablement parce que celles-ci deviennent délétères pour les organismes décomposeurs les plus sensibles et/ou qu'elles sont associées à d'autres facteurs défavorables (manque d'oxygène, présence de molécules toxiques...), ce qui contrecarre les effets stimulants des apports.
Des indicateurs donnant une perception fonctionnelle des écosystèmes, comme la décomposition des litières, pourraient donc utilement compléter la panoplie dont se servent les organisations surveillant la qualité des milieux aquatiques. Ils permettraient, à faible coût, de déceler des modifications de la performance des organismes et du fonctionnement de ces écosystèmes.
Référence: Continental-scale effects of nutrient pollution on stream ecosystem functioning, Science, Guy Woodward, Mark O. Gessner, Paul S. Giller, Vladislav Gulis, Sally Hladyz, Antoine Lecerf, Björn Malmqvist, Brendan G. McKie, Scott D. Tiegs, Helen Cariss, Mike Dobson, Arturo Elosegi, Verónica Ferreira, Manuel A. S. Graça, Tadeusz Fleituch, Jean O. Lacoursière, Marius Nistorescu, Jesús Pozo, Geta Risnoveanu, Markus Schindler, Angheluta Vadineanu, Lena B.-M. Vought & Eric Chauvet.