Des chercheurs du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, en collaboration avec l'Institut des Neurosciences Paris-Saclay, proposent un modèle animal nouveau et original pour l'étude du substrat neuronal de la mémoire épisodique en démontrant que les rats sont capables de se souvenir à très long terme d'un événement épisodique vécu occasionnellement. Ces travaux mettent l'accent sur l'existence d'une variabilité interindividuelle du souvenir épisodique déjà connue chez l'homme et démontrent que le rappel de cette mémoire dans son intégralité nécessite l'activation conjointe de neurones de l'hippocampe et de régions du cortex préfrontal. Cette étude est parue dans la revue Journal of Neuroscience.
Se souvenir des événements personnels de sa vie et pouvoir les revivre parfois dans le moindre détail contribue non seulement à notre construction en tant qu'individu mais conditionne également notre relation aux autres. Cette capacité de notre cerveau à stocker des souvenirs et à les revivre en les restituant, même après bien des années, est connue depuis longtemps chez l'homme sous le nom de "mémoire épisodique". Chaque moment particulier de notre vie est ainsi composé de 3 types d'informations: ce qui s'est passé, où, quand ou à quelle occasion. Ces informations, mémorisées comme un tout, constituent la définition d'un souvenir et sont encodées de façon plus ou moins fidèle dans nos circuits neuronaux.
Si on s'en tient à cette définition opérationnelle de la mémoire épisodique, il est légitime de penser que les animaux sont eux aussi capables de garder une trace d'un événement vécu. Pour autant, comment le tester chez des animaux sans langage ? Peuvent-ils le montrer au travers de leur comportement ? Deux équipes de recherche du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon et du Centre de Neurosciences Paris Sud-NeuroPSI d'Orsay proposent un nouveau modèle expérimental destiné à étudier chez l'animal le substrat neuronal de cette mémoire si particulière.
Les chercheurs introduisent dans la vie routinière des rats des événements occasionnels mémorables et testent le souvenir qu'ils en gardent 24h ou un mois plus tard. L'originalité de l'étude est d'avoir utilisé chez le rat une tâche très similaire à celle proposée par l'équipe Lyonnaise pour étudier la mémoire épisodique chez l'homme.
L'un des résultats les plus marquants est la démonstration qu'il existe chez l'animal, comme chez l'homme, une variabilité individuelle importante du contenu du souvenir. Ainsi, pour un groupe de rats n'ayant été exposé que brièvement à deux épisodes distincts, un tiers des animaux est capable de se rappeler de toutes les informations composant l'événement vécu. Le reste du groupe se distribue en différents profils en fonction du type d'information rappelé. L'analyse du fonctionnement cérébral de chaque individu peut ensuite être mise en relation avec son profil de souvenir. Ainsi, l'étude montre que l'hippocampe est nécessaire au rappel de l'ensemble de l'événement et que le souvenir est associé à l'activation d'un vaste réseau neuronal au sein duquel une activité conjointe du cortex préfrontal (région caudale du cortex cingulaire antérieur) et de l'hippocampe (gyrus denté) est positivement corrélée aux capacités des animaux à se souvenir de façon fidèle de l'événement vécu.
Ce modèle expérimental ainsi que les résultats obtenus offrent de nouvelles perspectives d'étude des mécanismes neuronaux, encore assez peu explorés, de cette forme complexe de mémoire dont l'intégrité est souvent mise à mal dans les maladies neurodégénératives.