Dans l'étude, la majorité des sujets ayant été victimes d'une première crise de schizophrénie ont vu leur situation évoluer de manière favorable. (Photo: iStockphoto)
On imagine souvent les individus souffrant de schizophrénie comme des personnes ultra médicamentées, souvent hospitalisées, toujours à deux doigts du suicide... Nous ne sommes pas les seuls. Les cliniciens ont aussi leurs préjugés.
Pourtant, il est possible de bien vivre malgré cette maladie, comme le montre une récente recherche d'Amal Abdel-Baki, professeure au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal.
La chercheuse a rassemblé les données relatives à 142 patients admis pour un premier épisode de schizophrénie à l'hôpital Louis-H. Lafontaine en 1983. Elle a par la suite suivi leur parcours jusqu'en 1999.
Au terme de l'étude, 15 % des patients toujours vivants ne recouraient à aucune aide médicale et 25 % ne prenaient pas d'antipsychotiques. Environ un cinquième de la cohorte a réussi à demeurer sur le marché du travail. Presque le quart des sujets vivaient seuls, de façon autonome, et le tiers habitaient avec leur famille. Bref, la majorité des sujets ayant été victimes d'une première crise de schizophrénie ont vu leur situation évoluer de manière favorable. Malheureusement, 10 patients de l'étude se sont enlevé la vie.
Plusieurs facteurs peuvent assurer un avenir plus heureux aux patients. Les sujets qui, à la première admission, étaient âgés de 35 ans et plus, étaient mariés et de sexe féminin et possédaient une plus grande autonomie résidentielle s'en sortaient généralement mieux que les autres.
Des mythes tenaces
Amal Abdel-Baki
"Il existe très peu d'études qui se penchent sur l'évolution à long terme de la schizophrénie, observe la Dre Abdel-Baki. Souvent, les recherches de ce genre durent un ou deux ans et se concentrent sur des sujets qu'on voit fréquemment à l'hôpital, c'est-à-dire des patients qui sont très malades. Ceux qui vont bien nous consultent peu ou ne nous consultent pas. Nous avons donc tendance à les oublier au profit des cas plus lourds. Cela déforme notre vision de la maladie et nourrit des mythes qui teintent forcément la pratique médicale."
Ainsi, plusieurs croient à tort que les schizophrènes doivent prendre des médicaments pour le restant de leurs jours. "Je le pensais aussi, reconnait la chercheuse. Il est vrai qu'au début de la maladie les médicaments sont généralement essentiels. Mais nous avons réalisé que bien des patients finissent par arrêter leur médication et que certains ne sont jamais hospitalisés de nouveau. Leur évolution fonctionnelle semble d'ailleurs bien meilleure."
La recherche de la Dre Abdel-Baki prouve que la schizophrénie n'est pas un trouble mental monolithique. "Certains praticiens agissent comme si tous les schizophrènes étaient pareils et qu'ils étaient donc tous condamnés à progresser ou à régresser de la même façon, remarque-t-elle. Pourtant, à l'image d'autres maladies comme le diabète, la schizophrénie présente différents niveaux de gravité. Et l'engagement des patients dans leur traitement peut beaucoup améliorer la situation."
La psychiatre lutte contre la croyance voulant qu'un diagnostic de schizophrénie condamne à une invalidité prolongée sans espoir de rémission. "Grâce à d'autres recherches, je démontre qu'un soutien hâtif pour favoriser le retour des patients aux études ou sur le marché du travail constitue une intervention efficace. En effet, ils ont plus de chances d'y retourner rapidement et d'y rester longtemps."
Elle mentionne qu'une accessibilité facilitée aux soins en santé mentale est un facteur non négligeable dans cette équation. "Plus tôt on détecte la schizophrénie, plus grandes sont les chances que les patients gardent leur emploi sans que la maladie ait causé trop de ravages. Actuellement, le taux d'emploi ou d'études chez les personnes suivies dans un programme d'intervention précoce intensive va de 47 % à l'admission jusqu'à 70 % après trois ans de suivi. Mais ces services ne sont cependant pas offerts partout au Québec. Nous tentons de convaincre les décideurs d'y investir davantage."
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À la lumière des résultats de son étude, Amal Abdel-Baki estime que l'intervention précoce est de mise. "La condition des personnes atteintes de schizophrénie change beaucoup au cours des deux années suivant la première admission, signale-t-elle. Après, leur état se stabilise. D'où l'importance d'agir rapidement afin d'influer sur l'évolution à long terme."
Toutefois, il y a une minorité de patients dont la condition s'améliore plus tardivement. "Et il ne faut pas les oublier, déclare la Dre Abdel-Baki. Il est toujours possible d'intervenir dans les phases tardives de la schizophrénie."
Les soins doivent être adaptés en fonction de la gravité de la maladie, ajoute-t-elle. "En traitant tous les gens de la même manière, on risque de nuire au rétablissement de ceux qui sont plus autonomes et de ne pas aider suffisamment les autres."
Enfin, elle considère qu'un changement d'attitude s'impose en psychiatrie. "Notre conception de la schizophrénie est parfois trop pessimiste, affirme-t-elle. Pourtant, la condition de la majorité des patients s'améliore. C'est notre devoir de médecin de leur communiquer l'espoir."