Pendant près de trois décennies, les astronomes ont interprété la faible luminosité de certaines étoiles explosives lointaines comme le signe d'une fuite en avant de l'Univers. Une accélération inexorable, attribuée à une énergie sombre omniprésente. Une équipe de chercheurs propose aujourd'hui une interprétation radicalement différente de ces signaux lumineux. Leur analyse suggère que ces balises cosmiques, un type spécial de supernovae, nous ont peut-être induits en erreur sur le destin de l'Univers.
Cette remise en question s'appuie sur une réévaluation minutieuse des données qui ont fondé le modèle cosmologique standard. Les supernovae de type Ia, utilisées comme "chandelles standard" pour mesurer les distances intergalactiques, ne seraient pas aussi fiables qu'on le pensait. Leur luminosité intrinsèque semble corrélée à l'âge des étoiles progénitrices, une variable jusqu'alors négligée. Cette découverte ouvre la voie à une révision profonde de notre compréhension de la dynamique cosmique et de la nature même de l'énergie sombre.
Une illustration montrant des galaxies courbant le tissu de l'espace-temps dans un univers en expansion. Crédit: NASA/JPL-Caltech
Un défaut fondamental dans nos instruments de mesure
L'outil principal pour cartographier l'expansion de l'Univers repose sur l'observation des supernovae de type Ia. Le postulat de base veut que leur pic de luminosité soit constant, ce qui en fait des repères de distance idéaux. En comparant leur luminosité apparente à leur luminosité réelle supposée, les astronomes déduisent leur éloignement. Ce principe a conduit à la conclusion que les supernovae lointaines étaient plus faibles que prévu, signant une expansion accélérée. Ce fut la première preuve indirecte de l'existence d'une énergie sombre contrebalançant l'effet de la gravité.
Cependant, cette hypothèse d'une luminosité uniforme est aujourd'hui contestée. L'étude parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society démontre que la luminosité standardisée de ces supernovae est systématiquement influencée par l'âge de la galaxie hôte. Les supernovae issues de populations stellaires jeunes apparaissent plus faibles que celles provenant d'étoiles plus anciennes. Cette corrélation, établie avec un haut niveau de confiance statistique (plus de 99,99%), introduit un biais important dans l'interprétation des observations.
En effet, en regardant loin dans l'Univers, on regarde aussi nécessairement dans le passé, à une époque où les étoiles étaient en moyenne plus jeunes. Le simple effet d'évolution stellaire peut donc créer l'illusion d'un Univers en accélération, sans qu'une énergie sombre ne soit nécessaire pour l'expliquer. Cette découverte jette un doute sérieux sur la solidité des preuves observationnelles qui ont valu le prix Nobel de physique en 2011.
Les implications d'un univers en décélération
La correction de ce biais d'âge modifie profondément la lecture de l'histoire de l'expansion cosmique. Les données recalculées par l'équipe de l'université Yonsei ne soutiennent plus le scénario d'une accélération présente. Au contraire, elles indiquent que l'Univers serait déjà entré dans une phase de ralentissement. Cette transition marquerait un tournant cosmologique, indiquant que la domination de l'énergie sombre pourrait n'être que temporaire.
Cette perspective est renforcée par des résultats indépendants, comme ceux de l'instrument DESI, qui ont également pointé vers une possible évolution de l'énergie sombre. La convergence de ces indices peint le portrait d'une force non pas constante, mais dynamique. Si l'énergie sombre s'affaiblit au cours du temps, son combat contre la gravité pourrait connaître un renversement. La contraction généralisée redeviendrait alors un scénario plausible pour le lointain avenir.
Les conséquences sont considérables pour la cosmologie théorique. Le modèle ΛCDM, pilier de la cosmologie moderne, qui décrit un Univers avec une constante cosmologique fixe, devrait être révisé. Cette remise en question ouvre la voie à d'autres modèles, où l'énergie sombre est un champ scalaire dynamique. Le destin de l'Univers, qu'il soit "Big Freeze" ou "Big Crunch", est donc à reconsidérer entièrement, faisant de cette question l'un des enjeux majeurs de la recherche pour les prochaines années.
Pour aller plus loin: Qu'est-ce qu'une supernova de type Ia ?
Une supernova de type Ia est l'explosion thermonucléaire cataclysmique d'une naine blanche dans un système double. Ce cadavre stellaire accumule de la matière arrachée à une étoile compagne. Lorsqu'elle atteint une masse critique, la pression et la température en son cœur déclenchent une réaction de fusion incontrôlable. L'étoile est complètement disloquée.
La particularité de ces événements réside dans leur mécanisme déclencheur. La masse critique est toujours la même. Cela produit une explosion dont l'énergie est également toujours la même. Cette régularité en fait des outils précieux pour les astronomes, servant d'étalons de luminosité pour sonder l'Univers.
Cependant, de nouvelles études suggèrent que l'environnement et l'âge de l'étoile progénitrice influencent la quantité de nickel radioactif synthétisé. Ce nickel est la source principale de la lumière. De légères variations dans sa production pourraient expliquer les différences de luminosité observées, remettant en cause leur statut d'étalon parfait.
Qu'est-ce que le "Big Crunch" ?
Le "Big Crunch" est un scénario théorique pour la fin de l'Univers. Il suppose que l'expansion cosmique finira par s'arrêter, puis s'inverser sous l'effet dominant de la gravité. Toute la matière et l'énergie commenceraient alors à se rapprocher, conduisant à une contraction généralisée.
Cette phase de contraction serait le miroir temporel du Big Bang. L'Univers deviendrait de plus en plus chaud et dense. Les galaxies finiraient par entrer en collision, et les structures se dissoudraient dans un bain de radiation de plus en plus énergétique. Le destin ultime serait un état de densité et de température infinies.
Ce scénario n'est envisageable que si la densité totale de l'Univers dépasse une valeur critique. Il nécessite également que l'énergie sombre, qui agit comme une force de répulsion, ne soit pas constante. Si elle s'affaiblit ou devient attractive, la gravité pourrait l'emporter, rendant le "Big Crunch" à nouveau possible.
Qu'est-ce que le modèle ΛCDM ?
Le modèle ΛCDM est le cadre théorique standard en cosmologie. Il décrit un Univers composé principalement d'énergie noire, symbolisée par la constante cosmologique Λ, et de matière noire froide. La matière ordinaire, celle qui constitue les étoiles et les planètes, n'en représente qu'une infime fraction.
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Ce modèle repose sur la théorie de la Relativité Générale d'Einstein. Il a connu un succès remarquable pour expliquer un large éventail d'observations. Il prédit précisément le fond diffus cosmologique, la formation des grandes structures et l'abondance des éléments légers formés après le Big Bang.
Cependant, des tensions observationnelles apparaissent. La valeur de la constante de Hubble mesurée localement diffère de celle déduite du fond diffus cosmologique. La possible évolution de l'énergie sombre, suggérée par de récentes études, pourrait nécessiter une extension ou une modification de ce modèle fondateur.