Le BEA a communiqué vendredi dernier un premier rapport d'étape sur la catastrophe de l'Airbus A330 du vol AF 447 qui a disparu dans l'océan Atlantique. L'absence des boîtes noires, la non récupération d'une grande partie de l'avion (la majeure partie du fuselage reste introuvable) et la non
communication des rapports d'autopsie rendent pour le moment l'enquête des plus délicates. Cependant, les indices laissés par l'accident ont permis de déterminer certains points importants, nous faisons donc un point sur cette
catastrophe.
Éléments sur le déroulement du crash
Le BEA a apporté des éléments nouveaux dans le déroulement de la catastrophe. Le premier est la démonstration que l'avion a touché l'océan entier, c'est à dire qu'il ne s'est pas désintégré en vol. La seconde information importante est que l'avion était en position horizontale au moment de l'impact mais qu'il avait une vitesse verticale très élevée, entraînant la dislocation immédiate de l'appareil au moment de son contact avec l'eau. Ces conclusions ont été faites à partir de l'étude des déformations de plusieurs des 640 débris retrouvés. Les investigations en la matière se poursuivent.
Le BEA a aussi confirmé que les tubes de Pitot de mesure de la vitesse ont rencontré des problèmes. Mais il ne peut déterminer pour l'instant leur rôle exact dans la perte de l'Airbus A330. Nous reviendrons dans l'article sur ces équipements.
Avec le flou qui domine dans l'enquête sur cette catastrophe, les premières pressions sur le BEA se font déjà sentir. Cependant, elles ne viennent pas forcément de là où on peut s'attendre. Certains pilotes restent méfiants face à l'informatisation des avions. Il s'agit plus ou moins d'un choc culturel entre "l'aviateur" pour qui un avion "se pilote avec les fesses" selon une expression datant de la première guerre mondiale, et la vision très moderne exposée par Airbus avec notamment une présentation électronique des informations et des minimanches à la place du classique manche à balai. Une partie d'entre eux pense que la catastrophe est au moins en partie due à cette informatisation poussée et se font déjà entendre sur Internet et certains médias.
L'Airbus A330
L'airbus A330 a été développé en parallèle de l'A340 dans les années 80 par ce qui était alors le GIE (Groupement d'intérêt Économique) Airbus. Il s'agissait pour le jeune constructeur européen de compléter sa gamme par le haut, en proposant une version "longue distance" et modernisée de l'Airbus A300. L'A330-200 est la plus petite version de cette nouvelle génération de gros-porteurs modernes, c'est aussi la plus proche de l'Airbus A300-600 qui est tout de même resté au catalogue par la suite.
L'Airbus A330 est l'un des gros porteurs les plus diffusés dans le monde (ici, la version 300 - copyright Airbus)
L'Airbus A330 reprend le fuselage de l'Airbus A300 en l'allongeant de 4 m. Cependant, l'appareil reçoit de nouvelles ailes, de nouvelles gouvernes et surtout une avionique moderne. Le gros porteur reprend notamment le poste de pilotage très précurseur de l'A320 avec affichage électronique et mini manche de type "joystick" pour le pilotage. Les commandes sont électriques et entièrement assistées par l'informatique embarquée.
Les premiers Airbus A330 sont entrés en service au milieu des années 90, presque en même temps que son faux jumeau, l'Airbus A340 et son concurrent le plus direct, le Boeing 777. Si ces avions ont connu des incidents ayant entrainé une fois quelques blessures à bord, ils n'ont jamais été impliqués dans des accidents mortels durant leur service commercial, ce qui constitue une sorte de record en termes de fiabilité.
Le système ACARS de transmission de messages automatiques de panne
Il s'agit de l'une des innovations introduites sur les avions de ligne à partir de la fin des années 80. Ce système a pour but de prévenir les services d'entretien d'une compagnie aérienne d'équipements à remplacer. Ainsi renseignés, les services de maintenance peuvent préparer les opérations de remplacement des équipements signalés avant même l'arrivée de l'avion.
Ce système comprend des équipements d'analyse des différents composants de l'avion permettant leur suivi. Dans les années entre 1995 et 2001, la plupart des avions de ligne des grandes compagnies se voient équipées du système ACARS et en particulier de son système de transmission qui peut passer, entre autres, par le réseau SATCOM. Les messages électroniques communiqués sont codés sur 32 bits.
Tubes de Pitot pour la mesure de vitesse
Les tubes de Pitot pour la mesure de la vitesse sont des équipements des plus communs. En réalité, il s'agit d'une invention du physicien français Henry Pitot qui date de... 1732 ! Évidemment, il n'était pas question à l'époque d'évaluer la vitesse d'un aéronef ! Henry Pitot proposa cette invention afin de "mesurer la vitesse des eaux courantes et le sillage des vaisseaux". Le principe de l'instrument repose sur un tube orienté dans la direction opposée au flux du fluide (ou dans la même direction que l'engin dont on veut connaître la vitesse) et de mesurer la pression qui s'emmagasine à l'intérieur.
Sur les avions, le principe reste le même. Cependant, les contraintes sont très fortes, surtout lorsque l'appareil évolue aux environs de 10 000 m d'altitude. La température est alors extrêmement basse, même si l'humidité est généralement très faible dans ce milieu, du givre peut malgré tout se former à l'entrée ou à l'intérieur du tube de Pitot. Cela fausse bien évidemment les informations transmises au pilote et aux équipements informatiques et électroniques de l'appareil.
Les tubes de Pitot des A330 ont attiré plus particulièrement l'attention. Il faut dire que plusieurs incidents, qui n'ont heureusement pas entraîné d'issue mortelle, ont eu pour origine un problème avec les tubes de Pitot des Airbus A330/A340. Un premier incident est survenu en 1994, depuis, Airbus portait une attention constante sur cet équipement en envoyant régulièrement des informations aux compagnies exploitantes. Plus récemment, de nouveaux incidents sont intervenus en 2008 sur des A330 de Air Caraïbes. Airbus avait alors recommandé aux compagnies le remplacement de cet équipement sur l'ensemble de la flotte. Au moment du crash du vol AF 447, Air France avait déjà planifié un programme de remplacement.
Si le BEA a établi que les tubes de Pitot du vol AF447 ont effectivement rencontré des problèmes, la perte de l'information de vitesse ne peut à elle seule expliquer le crash. Il est pour le moment impossible pour les enquêteurs de savoir quel impact réel a eu la défaillance de ces équipements sur le vol AF447.
Les lois de l'informatique à bord des Airbus
Les avions Airbus sont programmés selon plusieurs lois qui régissent les commandes de vol. En cas de problème sur certains équipements, les lois de pilotage sont débrayées pour laisser plus de contrôle manuel à l'équipage. Lors de la catastrophe de l'A330 du vol AF447, les commandes ont basculé sur l'une de ces lois "Alternate". Voici les différentes lois de pilotage des Airbus:
Loi Normale:
Il s'agit du programme activé par défaut, l'avion encadre alors les ordres donnés par l'équipage et corrige automatiquement les mouvements impromptus que les conditions de vol peuvent entraîner sur l'appareil. Il n'est pas non plus possible de mettre l'appareil dans des positions jugées dangereuses afin de rendre impossible tout décrochage. Les ordinateurs de bord se servent des informations envoyées par les différents capteurs afin d'effectuer leurs calculs.
Loi Alternative 1 (Alternate Law 1):
Dans ce mode, l'ordinateur compense les éventuelles violences de mouvements sur le Joystick, mais il n'y a plus de réel contrôle de l'ordinateur sur l'enveloppe de vol. Il n'est pas non plus possible d'utiliser le pilote automatique. La loi alternate 1 peut être automatiquement déclenchée en cas de panne de certains éléments comme par exemple une panne de gouverne.
Loi Alternative 2 (Alternate Law 2):
Ce mode est aussi appelé loi directe pour une raison simple: les commandes agissent alors directement sur les gouvernes de l'avion sans le moindre contrôle ni compensation. Les premiers vols d'un nouvel avion Airbus se fait selon cette loi. Cette loi est automatiquement activée en cas de panne grave ou de débranchement de certains équipements comme les ADIRU (calculateurs de positionnement, il a le rôle d'une oreille interne)
Poursuite des recherches
Les recherches se poursuivent dans l'océan Atlantique. D'importants moyens de recherches restent mobilisés sur place. Les écoutes acoustiques du signal des boîtes noires continueront au moins jusqu'au 10 juillet, date à partir de laquelle les batteries alimentant les émetteurs seront complètement épuisées. Cependant, d'autres moyens de recherches seront alors mis en ouvre pour récupérer les pièces restantes et éventuellement les boîtes noires. Ces dernières n'ont effectivement pas besoin d'énergie pour conserver leurs données.