La vie sur Terre a connu un tournant décisif il y a environ 2,6 milliards d'années. Une équipe internationale de chercheurs vient de montrer comment l'apparition des cellules complexes, appelées eucaryotes, a profondément changé la manière dont le vivant fonctionne.
Ces cellules sont à la base de tous les organismes complexes, des plantes aux animaux, y compris nous. Ce changement serait lié à une sorte de "saut" dans la façon dont les informations génétiques sont organisées et utilisées. Les scientifiques parlent d'une transition de phase algorithmique. Une étude parue dans
PNAS décrit ce phénomène étonnant.
Pour comprendre cette transformation, les chercheurs ont analysé des milliers de génomes, c'est-à-dire des ensembles complets d'ADN. Ils ont découvert que les longueurs des gènes et des protéines obéissent à des règles mathématiques précises, qui indiquent un processus évolutif progressif... jusqu'à un certain seuil critique.
Tout a basculé quand les gènes ont atteint en moyenne 1 500 lettres (ou nucléotides). À ce moment-là, les protéines n'ont plus continué à s'allonger, mais quelque chose de nouveau est apparu: des séquences d'ADN qui ne codent pas directement pour des protéines.
Grâce à ces séquences dites non codantes, la cellule a pu contourner une limite physique: produire de longues protéines devenait trop compliqué. Ces nouvelles portions d'ADN ont permis d'ajouter plus de fonctions sans devoir allonger les protéines, rendant le système génétique plus flexible et plus puissant.
Cette découverte mêle biologie, informatique et physique pour expliquer un des moments clés de l'évolution. Elle permet aussi d'envisager de nouveaux scénarios sur la manière dont des systèmes complexes — biologiques ou non — peuvent émerger.
Une "transition de phase algorithmique", quésaco ?
Une transition de phase s'illustre quand l'eau devient glace: un changement soudain dû à des conditions qui évoluent progressivement. Dans le cas des cellules, c'est l'accumulation de petits changements dans les gènes qui a déclenché un grand saut de
complexité.
En atteignant un certain seuil, les cellules ont commencé à intégrer des séquences non codantes dans leur ADN. Cela a complètement changé la façon dont les gènes sont utilisés et les protéines produites.
Ce concept, venu de la physique, aide à comprendre comment des formes de vie simples peuvent soudainement évoluer vers plus de complexité.
Pourquoi ces séquences non codantes sont-elles si importantes ?
Longtemps considérées comme inutiles, voire comme de l'ADN "poubelle", ces séquences jouent en fait un rôle central. Elles permettent aux cellules de contrôler plus finement l'expression des gènes.
Elles facilitent par exemple l'épissage alternatif, un mécanisme grâce auquel un seul gène peut produire plusieurs protéines différentes. Résultat: plus de diversité, sans augmenter la taille de l'ADN.
L'étude montre que leur apparition a permis aux cellules eucaryotes d'innover. Elles ont séparé certaines étapes du traitement de l'information génétique, ce qui leur a donné accès à un immense éventail de nouvelles possibilités.
C'est cette innovation qui a rendu possibles des étapes majeures comme l'apparition des organismes multicellulaires, où chaque cellule peut se spécialiser.