Sous nos pieds, un écosystème méconnu prospère dans l'obscurité totale, représentant près d'un tiers de la biomasse terrestre. Comment ces formes de vie parviennent-elles à survivre sans lumière, dans des environnements souvent pauvres en ressources ? Une étude récente menée dans le parc de Yellowstone apporte un élément de réponse inattendu: les petits tremblements de terre pourraient jouer le rôle de véritables revitalisants pour ces communautés cachées.
Une équipe de chercheurs a examiné les conséquences d'une série de secousses sismiques survenues en 2021 dans le champ volcanique du plateau de Yellowstone. Ils se sont intéressés aux micro-organismes vivant dans les aquifères profonds, qui dépendent normalement de réactions chimiques entre l'eau et la roche pour obtenir leur énergie, un processus expliqué plus en détail en fin d'article. Pour observer les effets des séismes, des prélèvements d'eau ont été réalisés à différentes périodes de l'année.
Piscine "gloire du matin", parc national de yellowstone, Source chaude. Image d'illustration Pixabay
Lorsque le sol tremble, les couches rocheuses se fissurent et libèrent des surfaces minérales fraîches. Ces mouvements redistribuent aussi les fluides emprisonnés et ouvrent de nouvelles voies d'écoulement pour l'eau. Cet ébranlement physique déclenche alors une série de réactions chimiques modifiant la composition des eaux souterraines. Les analyses ont montré une augmentation notable d'hydrogène, de sulfures et de carbone organique dissous juste après les séismes.
Ces changements géochimiques ont eu un impact direct sur la vie microscopique. En effet, les scientifiques ont constaté une hausse du nombre de cellules planctoniques dans les échantillons, indiquant une activité biologique plus intense. Les communautés microbiennes, habituellement stables dans ces milieux isolés, ont présenté des évolutions significatives dans leur composition au fil du temps. Ainsi, l'énergie cinétique des séismes semble dynamiser à la fois la chimie de l'eau et les organismes qui y vivent.
Ce phénomène pourrait s'appliquer à de nombreux environnements souterrains sur Terre où l'activité sismique est fréquente. En renouvelant les sources d'énergie chimique en profondeur, les tremblements de terre participeraient au maintien d'écosystèmes cachés à l'échelle globale. D'après les chercheurs, cette découverte éclaire les mécanismes de survie dans les habitats les plus inhospitaliers de notre planète.
Les implications dépassent même le cadre terrestre, comme développé plus bas. Sur d'autres mondes rocheux comme Mars, où l'eau pourrait exister sous la surface, une activité sismique régulière pourrait rafraîchir la chimie des aquifères et ainsi favoriser l'habitabilité pour des micro-organismes. Les processus observés à Yellowstone offrent un modèle pour envisager la possibilité de vie dans les profondeurs d'autres corps célestes. Les résultats ont été publiés dans la revue PNAS Nexus.
Cette étude démontre que les interactions entre la géologie et la biologie sont plus dynamiques qu'on ne le pensait. Alors que les séismes sont souvent perçus comme des événements destructeurs, ils peuvent en réalité insuffler une nouvelle vitalité aux écosystèmes les plus discrets de la Terre. La compréhension de ces liens ouvre des perspectives pour l'étude de la vie dans des conditions extrêmes, ici et ailleurs.
La chimiolithotrophie: l'énergie des roches
Les micro-organismes des profondeurs ne peuvent pas utiliser la lumière du soleil pour produire leur énergie, comme le font les plantes. Ils ont donc développé d'autres stratégies, dont la chimiolithotrophie. Ce processus leur permet de tirer de l'énergie directement de réactions chimiques impliquant des minéraux présents dans les roches. Par exemple, certains microbes oxydent l'hydrogène ou les composés sulfurés libérés lors de l'altération des minéraux.
Ces réactions chimiques fournissent l'énergie nécessaire à la synthèse de matière organique à partir de dioxyde de carbone. C'est un mode de vie fondamental dans les écosystèmes souterrains, les cheminées hydrothermales océaniques ou certains sols extrêmes. Sans cette capacité, la vie dans l'obscurité perpétuelle serait quasiment impossible, car les ressources organiques venues de la surface y sont rares.
Lorsque des tremblements de terre fracturent la roche, ils exposent de nouvelles surfaces minérales non altérées à l'eau. Cela accélère les réactions de dissolution et libère des composés chimiques qui servent de 'carburant' aux microbes. L'apport soudain d'hydrogène ou de sulfures, comme observé à Yellowstone, constitue ainsi un festin inattendu pour ces communautés, stimulant leur croissance et leur activité.
Ce mécanisme montre à quel point la vie est ingénieuse pour exploiter les ressources de son environnement. Il met aussi en évidence l'interdépendance entre les processus géologiques et biologiques. La chimiolithotrophie est un pilier de la biosphère souterraine, et sa dynamique est directement influencée par l'activité tectonique de la planète.
Les séismes et l'habitabilité planétaire
La recherche de la vie au-delà de la Terre se concentre souvent sur des mondes présentant de l'eau liquide en surface. Pourtant, les environnements souterrains pourraient offrir des refuges beaucoup plus stables et répandus. Sur des planètes comme Mars, où les conditions de surface sont hostiles, les couches profondes pourraient abriter de l'eau et des sources d'énergie chimique. Les travaux menés à Yellowstone indiquent que les séismes pourraient y jouer un rôle déterminant.
Sur une planète géologiquement active, les secousses sismiques pourraient régulièrement fracturer la croûte et mélanger les fluides souterrains. Ce brassage pourrait raviver les réactions chimiques entre l'eau et les minéraux, fournissant ainsi des nutriments et de l'énergie à d'éventuels micro-organismes. Même une activité sismique faible mais régulière pourrait suffire à entretenir de tels écosystèmes sur de longues périodes.
Cette perspective élargit considérablement la définition des zones habitables dans le Système solaire et au-delà. Elle ne se limite plus aux régions recevant suffisamment de lumière stellaire, mais inclut les mondes froids ou arides dont l'intérieur est chaud ou actif. Les lunes glacées comme Europe ou Encelade, soumises à des forces de marée générant de la chaleur et peut-être des séismes, pourraient aussi abriter de tels processus.
Comprendre comment les tremblements de terre soutiennent la vie sur Terre aide donc à guider l'exploration spatiale. Cela permet de cibler les missions vers les sites les plus prometteurs et de concevoir des instruments capables de détecter les signes d'une vie souterraine.