Changement de la distribution angulaire des états électroniques lors de la transition d’ordre caché dans l’URu2Si2
(a) Surface de Fermi montrant la distribution des états à 20K, au dessus de la température de la transition THO = 17K. Les couleurs plus (moins) foncées montrent les états plus peuplés (moins peuplés) par les électrons. Ils forment une surface de Fermi en forme de diamant, avec une grande demi-diagonale de taille QP, et un demi-côté de taille QD.
(b) A 1K, bien en dessous de THO, la surface de Fermi change radicalement de forme : tous les états autour de QD ont disparu, et seuls subsistent quatre pétales aux vecteurs QP et équivalents.
Illustration: CNRS/IN2P3/Andrés Santander/Cédric Bareille/ SNSM
Les propriétés macroscopiques de tout système physique sont intimement liées aux symétries qui le caractérisent. Ainsi, quand une de ces symétries est brisée, le système peut s'ordonner en différentes phases, arborant des propriétés nouvelles tantôt utiles, tantôt inattendues et extraordinaires. La cristallisation de l’eau en glace, l’alignement des spins électroniques dans un aimant, la supraconductivité, permettant de conduire le courant sans aucune résistance dans un métal refroidi, ou encore l’apparition de particules massives dans l’Univers primitif, sont toutes des transitions de phase associées chacune à une brisure de symétrie particulière. La phase ordonnée émergeante est décrite par un "paramètre d’ordre" : l’agencement périodique des atomes dans un cristal, la direction et amplitude de l’aimantation dans un aimant, l’énergie de liaison entre pairs d’électrons dans un supraconducteur, ou récemment le célèbre boson de Higgs, responsable de l’apparition de la masse des particules élémentaires, sont les paramètres d’ordre des transitions de phase citées plus haut.
Comprendre quelle est la symétrie brisée et le paramètre d’ordre associé donne ainsi immédiatement un aperçu des caractéristiques et propriétés exotiques possibles de la matière.
Souvent, la symétrie brisée et le paramètre d’ordre associés à la transition sont facilement identifiés. Mais il existe des cas pour lesquels on observe clairement une transition de phase sans pouvoir identifier le paramètre d’ordre correspondant : on est confronté à un "ordre caché".
Les chercheurs du CSNSM s'intéressent depuis plusieurs années à l'une des phases d’ordre caché les plus mystérieuses de la nature, souvent appelée le "boson de Higgs" de la matière condensée et qui reste une énigme après trente années de caractérisation expérimentale et de travaux théoriques. Cette phase apparaît dans le métal URu2Si2 lorsqu’il est refroidi en dessous de 17 Kelvin (-254°C) : les électrons de ce système, ceux qui portent le courant, interagissent très fortement entre eux, provoquant une physique très exotique. La transition de phase se traduit alors par des modifications des propriétés du matériau : non seulement l’URu2Si2 perd 60% de sa capacité calorifique et ses électrons deviennent beaucoup plus ordonnés, mais la densité d’électrons disponibles pour la conductivité électrique diminue d’autant (50-60%). L’élucidation de l’origine microscopique de l’ordre caché dans URu2Si2 est aujourd’hui l’un des challenges les plus importants en physique.
En illuminant un échantillon d’ URu2Si2 avec le rayonnement du synchrotron Bessy (à Berlin), et mesurant les électrons ainsi éjectés par effet photoélectrique, les chercheurs du CSNSM ont pu observer directement, pour la première fois, que la distribution des états électroniques sur le réseau cristallin du matériau change abruptement de forme et de symétrie lors de la transition d’ordre caché. Ce changement est accompagné du dépeuplement d’une vaste majorité d’états quantiques qui étaient occupés par les électrons dans la phase non ordonnée à haute température.
Ces résultats ont permis aux chercheurs du CSNSM de déterminer les causes microscopiques des comportements macroscopiques les plus marquants de la phase d’ordre caché. En outre, ces résultats précisent également quelle est la symétrie brisée lors de la transition, fournissant ainsi des éléments cruciaux pour l'établissement d'un modèle théorique qui pourra enfin décrire cette mystérieuse phase.
Pour plus d'information voir: http://www.nature.com/ncomms/2014/14071 ... s5326.html (en)
Source: CNRS/IN2P3