Nous abordons maintenant une troisième catégorie de fractales qui, tout en conservant le principe de répétition et d'autosimilarité, font appel à un autre procédé d'élaboration. Il consiste à séparer les points du plan en deux classes selon un critère particulier. Ceux qui sont en accord avec ce critère sont retenus dans une classe et représentés (par exemple) en noir. Les autres constituent l'autre classe et restent en blanc.
Tracer une frontière
Imaginons ce plan comme un immense terrain plat, style terrain de foot bien entretenu. Une façon ludique de le diviser en deux surfaces est d'imaginer que ce terrain n'est pas parfaitement plat et que vous distinguez les parties qui sont plus élevées (que vous dessinez en noir sur une carte) de celles qui sont plus en creux (dessinées en blanc). Par exemple, si vous versez de l'eau sur le terrain pour faire une grande flaque, vous dessinez la flaque avec tous ses contours.
Vous avez la liberté de choisir la limite de hauteur entre les deux, donc la quantité d'eau, quelques centimètres ou quelques millimètres. Au début, vous tracez une frontière approximative entre parties élevées et parties basses. Puis vous cherchez à être plus précis avec une vue plus proche. Or, au fur et à mesure que vous gagnez en précision, la frontière se complique, se creuse d'anfractuosités ou montre certaines avancées très découpées. C'est là que se révèle son caractère fractal: aspect divisé et similitude à différentes échelles. Remarquez qu'il n'y a pas à proprement parler de répétition dans la découverte. Elle est remplacée par une vision de plus en plus précise.
Distinguer les points
En choisissant un critère de classement fondé sur une caractéristique naturelle du terrain, son relief, nous sommes restés proches des sujets précédents. Imaginons maintenant un terrain parfaitement plat comme une feuille blanche ou un écran d'ordinateur. Comment allons-nous classer des points qui sont totalement identiques? C'est là où les mathématiques entrent en scène.
Il faut d'abord doter le plan de deux points de repère: l'un marquera un centre, qu'on peut matérialiser par un poteau; l'autre est une direction, le nord. Dès lors tous les points sont repérés par leur distance au centre et leur orientation par rapport au nord. Ce sont leurs coordonnées. Chaque point devient unique et peut être classé dans une catégorie ou une autre selon ses coordonnées. Par exemple, on peut décider que tous les points éloignés de moins d'un mètre du poteau sont dans la classe noire et tous les autres dans la classe blanche (la couleur de la page ou du fond d'écran). La figure obtenue est vraiment simple: c'est un disque noir de 1 m de rayon. Mais ce disque n'a rien d'une structure fractale. Pour élaborer des fractales par cette voie, il faut suivre le cerveau de mathématiciens du vingtième siècle qui ont étudié des critères de classement beaucoup plus sophistiqués.
Ensemble de Mandelbrot
C'est le cas d'un ensemble célèbre, étudié d'abord par Douady et Hubbard en 1982, appelé ensemble de Mandelbrot en l'honneur du fondateur de la notion de fractale qui a retravaillé sur cet ensemble avec un ordinateur, outil dont ne bénéficiaient pas ses prédécesseurs. Le critère de classement repose sur un déplacement déterminé que l'on fait subir aux points.
ill.9 - Ensemble de Mandelbrot
Prenons un point au hasard dans le plan, que l'on peut matérialiser par une petite balle. Traçons un cercle autour du point central. On se donne une règle du jeu, un déplacement déterminé. Si on arrive à faire sortir la balle du cercle au bout d'un certain nombre de ces déplacements, le point initial est relégué dans la classe blanche. Ceux qui restent dans le cercle malgré un très grand nombre de déplacements accédent à la classe noire.
Comment ce déplacement est-il déterminé? Par le calcul des nouvelles coordonnées. On peut choisir que la distance au centre est augmentée de 12%, et que l'orientation par rapport au nord est augmentée de 4°. La balle se trouve à un nouvel emplacement. On recommence l'opération avec le même calcul et elle arrive à un troisième emplacement.
L'exemple choisi est tellement simple qu'on arrive à faire sortir toutes les balles au bout d'un certain nombre de coups. En réalité, le calcul des nouvelles coordonnées dans le cas de l'ensemble de Mandelbrot est beaucoup plus compliqué (ill.9). C'est une fonction mathématique, et c'est dans la nature et la forme de cette fonction de transformation que réside l'originalité de l'ensemble et l'imagination de son auteur. C'est le type particulier de cette fonction qui confère à la frontière entre les deux classes sa nature fractale.
Catégories multiples et couleurs
Pourquoi l'illustration 9 présente-t-elle des couches autour de l'ensemble noir? Parce qu'on peut classer les points en plusieurs catégories au lieu de 2 seulement. Parmi les points qui ne font pas partie de l'ensemble parce que les déplacements successifs les expulsent du cercle, il y en a qui mettent plus de temps à être expulsés que d'autres. Ils méritent une couleur propre. On peut ainsi classer les points selon le nombre de déplacements nécessaire pour qu'ils sortent du cercle. Par exemple, une catégorie spéciale pour ceux qui nécessitent 1 seule opération. Dans la deuxième, les points expulsés au bout de 2 à 10 opérations, etc...
A chaque catégorie est attribuée une couleur différente, au choix du créateur, qui peut être aussi une nuance de gris. Voilà pourquoi nous bénéficions de si belles images multicolores.
Le grossissement
Examinons l'ensemble de Mandelbrot plus attentivement. Son caractère fractal se manifeste dans le tracé détaillé de la frontière de la zone noire. Nous remarquons de nombreux renflements tout autour de la forme centrale. En grossissant, de nouveaux détails apparaissent (ill.10). A chaque changement d'échelle, de nouveaux petits bulbes sont visibles.
ill.10 - Ensemble de Mandelbrot
Merci à Fractal eXtreme
L'ensemble de Julia
L'ensemble de Julia, du nom du mathématicien qui l'a étudié en 1918 en même temps qu'un autre du nom de Fatou, est un autre exemple d'images fractales obtenues par ce procédé. La fonction de transformation est seulement légèrement différente de celle de l'ensemble de Mandelbrot. Mais cette légère différence produit des résultats d'un esthétisme incomparable.
ill.11 - Ensemble de Julia, Création © J.P. Louvet
ill.12 - Création en spirale