GINIP: une nouvelle cible thérapeutique pour le traitement des douleurs neuropathiques.
Le traitement de la douleur présente des enjeux économiques, sociologiques et médicaux très importants mais, en dépit d'avancées majeures au cours des 20 dernières années, les douleurs neuropathiques s'avèrent résistantes aux différents antalgiques utilisés en clinique.
Comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires à l'origine de ces douleurs est donc essentiel pour mettre en place de nouvelles stratégies thérapeutiques. Dans une étude publiée dans la revue Neuron, l'équipe d'Aziz Moqrich à l'Institut de Biologie du Développement de Marseille décrit une nouvelle protéine, GINIP (G?-INhibitory Interacting Protein), qui représente une cible thérapeutique potentielle inédite. Cette protéine, fortement enrichie dans une classe particulière de neurones nociceptifs cutanés, module de façon spectaculaire l'activité de l'un des principaux acteurs de la douleur neuropathique, le récepteur GABAB.
Les douleurs neuropathiques, qu'elles soient d'origine périphérique (diabète, zona, lésion des nerfs périphériques...) ou centrale (AVC, sclérose en plaques...), présentent la particularité d'être résistantes aux différents antalgiques utilisés en clinique tels que les dérivés morphiniques ou anti-inflammatoires non-stéroïdiens comme l'ibuprofen ou le voltaren.
L'équipe d'Aziz Moqrich a entrepris une stratégie d'identification de nouveaux marqueurs moléculaires spécifiques de sous-populations de neurones sensoriels somatiques suivie de l'utilisation de certains de ces marqueurs pour mieux comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent les douleurs neuropathiques. Parmi les marqueurs identifiés, la protéine GINIP a attiré l'attention de l'équipe pour plusieurs raisons. Elle est fortement exprimée dans une sous-classe de neurones sensoriels somatiques, elle est dotée de deux domaines protéiques ce qui suggère une fonction biologique importante, elle n'a jamais été décrite auparavant et enfin une étude par double hybride suivie d'expériences de co-précipitation a révélé que cette protéine interagit spécifiquement avec la forme active de la sous-unitéG? inhibitrice des protéines G hétérotrimériques*.
Afin d'étudier la fonction de GINIP, l'équipe a généré une souris mutante pour le gène ginip (GINIP KO) et montré que ces souris, dépourvues de cette nouvelle protéine, développent une hypersensibilité mécanique prolongée en réponse à des lésions nerveuses entraînant des douleurs neuropathiques. Plus important encore, les souris GINIP KO ont montré une résistance sélective à l'effet analgésique du baclofène, l'agoniste spécifique du récepteur GABAB, alors que l'administration d'analogues de la morphine supprime totalement la douleur neuropathique chez les souris KO. En combinant des approches moléculaires, cellulaires, biochimiques et électrophysiologiques, les chercheurs montrent que GINIP module l'activité du récepteur GABAB via son interaction directe avec la protéine G?i .GINIP séquestre la forme active G?i-GTP et l'empêche de se réassocier avec son partenaire G??. Par conséquent, l'inhibition des canaux calciques voltage-dépendants médiée par G?? est prolongée, entraînant moins d'entrée d'ions Ca 2+ dans les afférences primaires, moins de relargage de neurotransmetteurs aboutissant à une diminution de l'excitabilité des interneurones spinaux suivie d'une accalmie de la douleur.
Cette étude est d'autant plus importante que la majorité des douleurs neuropathiques sont dues à la perturbation du système inhibiteur principalement médié par le système GABAergique au niveau spinal. Le baclofène est prescrit comme relaxant musculaire aux patients atteints de sclérose en plaques qui souffrent de spasticité ainsi qu'aux personnes dépendantes à l'alcool pour maintenir leur abstinence après sevrage. Les résultats de l'équipe d'Aziz Moqrich ouvrent des perspectives entièrement nouvelles pour le traitement de la douleur neuropathique en interférant avec l'activité des afférences primaires directement au niveau périphérique, permettant ainsi de diminuer les effets secondaires indésirables du baclofène au niveau central.
Note: * Les protéines G hétérotrimériques (G?/G??) sont les premiers acteurs des voies de signalisation en aval des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG ; tels les récepteurs aux opioïdes, les récepteurs métabotropiques au glutamate ou au GABA, le récepteur GABAB). Après fixation d'un ligand extracellulaire, la modification d'un RCPG active la sous-unité G? par l'échange du GDP par du GTP, aboutissant à la dissociation du complexe G?/G??. G?-GTP et G?? peuvent alors moduler une variété d'effecteurs essentiels à la transduction du signal comme l'adénylate cyclase ou des canaux voltage dépendants.
Pour plus d'information voir:
- http://www.cell.com/neuron/abstract/S0896-6273(14)00786-7