Un Univers rebondissant, qui passerait par des phases d'expansion puis de contraction tous les mille milliards d'années pourrait expliquer un des problèmes les plus délicats de la cosmologie: comment pouvons-nous exister ?
Pourquoi l'énergie qui provoque l'expansion de l'Univers est-elle si faible ? Peut-être parce qu'elle est beaucoup plus ancienne qu'on ne le supposait
Si cette hypothèse, proposée dans la revue Science par Paul Steinhardt de l'université de Princeton, au New Jersey, et Neil Turok de l'université britannique de Cambridge, semble légèrement saugrenue, on ne peut en fait pas vraiment y opposer d'arguments. Les observations astronomiques de la dernière décennie ont prouvé que "nous vivions dans un Univers absurde", remarque le cosmologue Sean Carroll de l'université de Chicago. "Notre travail consiste à lui donner un sens", dit-il.
Dans le modèle cyclique de Steinhardt et de Turok, l'Univers s'étendrait puis se rétracterait répétitivement avec une périodicité qui rend les 13,7 milliards d'années venant de s'écouler depuis le Big Bang comparables à un minuscule clin d'oeil. L'Univers serait donc terriblement vieux, et en conséquence la mystérieuse "constante cosmologique", qui décrit la façon dont l'espace vide semble s'étendre, aurait eu beaucoup de temps pour s'affaiblir jusqu'à atteindre la valeur étrangement peu élevée que nous observons aujourd'hui.
Un désaccord cosmique
En 1996, on a découvert que l'expansion de l'Univers était accélérée et la constante cosmologique a été utilisée pour décrire une force de répulsion qui pourrait causer cette accélération. Mais les physiciens ont semblé déroutés devant la faiblesse de sa valeur.
La théorie quantique suggère que l'espace "vide" est en fait un bourdonnement de particules subatomiques qui passent constamment de l'état existant à l'état non existant et vice versa. Cela produit une "énergie du vide" qui fait s'étendre l'espace, et qui fournit une explication physique à la constante cosmologique.
Mais la valeur théorique de l'énergie du vide est énorme, et rendrait l'espace lointain trop répulsif pour que les particules puissent se rassembler et former les atomes, les étoiles, les planètes, ou la vie. L'énergie du vide observée, en revanche, est plus petite d'un facteur de 10^120 (1 suivis de 120 zéros). Et cette énorme différence d'ordre de grandeur pose d'importants problèmes aux scientifiques.
Serions-nous spéciaux ?
Une des explications favorites est le "principe anthropique" qui propose que dans l'Univers apparemment infini, la constante cosmologique change d'un endroit à l'autre, en prenant toutes les valeurs possibles. Ainsi il existe au moins une région où elle possède la bonne valeur pour que les galaxies et la vie existent, et c'est précisément l'endroit où nous nous situons. Cette hypothèse nous débarrasse de la question de savoir pourquoi notre univers observable est "spécial".
Mais cela ne satisfait pas les physiciens, qui préféraient pouvoir expliquer l'Univers dans son ensemble. "Compter sur le principe anthropique est comme vouloir avancer sur des sables mouvants", écrivent Steinhardt et Turok. Ils pensent avoir une explication plus satisfaisante.
Il y a très, très longtemps...
Les deux chercheurs sont partis d'une idée proposée par le physicien Larry Abbott en 1985: l'énergie du vide aurait eu une valeur élevée par le passé mais celle-ci a décru au fil du temps. Abbott a montré que cet affaiblissement de l'énergie du vide procéderait par une série de sauts, chacun d'entre eux durant exponentiellement plus longtemps que le précédent. Sur la durée, l'Univers aurait passé bien plus de temps dans des états à énergie du vide proche de zéro que dans des états à énergie du vide élevée.
Le problème est que les calculs d'Abbott impliquent que l'expansion de l'espace aurait largement le temps de diluer toute la matière existante bien avant que l'énergie du vide n'atteigne ces valeurs très faibles. Et l'espace serait alors effectivement vide.
L'hypothèse de l'Univers cyclique vient à bout de ce problème, selon Steinhardt et Turok. Avec des cycles d'expansion et d'effondrement durant quelques mille milliards d'années, et sans aucune limite quant au nombre de ces cycles ayant précédé le nôtre, il y a largement assez de temps pour que l'énergie du vide atteigne une valeur presque nulle. Chaque cycle re-concentrant la matière pendant la phase d'effondrement, l'Univers ne deviendrait jamais vide.
Steinhardt et Turok indiquent que leur théorie est vérifiable. Le modèle cyclique prévoit que le Big Bang provoque des ondes gravitationnelles dans l'espace, que les physiciens traquent actuellement. De plus, la théorie de l'affaiblissement de l'énergie du vide prédit l'existence d'un nouveau type de particules fondamentales appelées les axions, qui peuvent également être détectables.
Pour Carroll, l'idée est intéressante. Il admet qu'il a quelques autres inquiétudes sur ce modèle d'univers cyclique qui gâchent un peu son enthousiasme, mais que l'extravagance de celui-ci ne le tracasse pas. "Toute explication sera extrême", explique-t-il, "parce que toutes les possibilités raisonnables ont déjà été complètement explorées".