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Les 30 ans de la navette spatiale célébrés avec des larmes
Publié par Adrien, Source: BE Etats-Unis numéro 244 (15/04/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /66495.htm Illustration: NASAAutres langues:
Si le 12 avril 2011 marquait les cinquante ans du vol de Youri Gagarine, le premier vol spatial habité, il marquait aussi les trente ans du premier vol de la navette spatiale américaine. Le 12 avril 1981, Columbia s'envolait de Cap Canaveral en Floride pour une mission de 55h pendant laquelle elle allait faire 37 fois le tour de la Terre. Cet anniversaire, qui coïncide avec la mise à la retraite cette année des navettes spatiales, donnait l'occasion de revenir sur les trente années du programme. George Abbey, ancien directeur du Johnson Space Center de Houston, avait invité pour l'occasion Steven Hawley, astronaute à la retraite, à venir présenter au Baker Institute de la Rice University de Houston une conférence intitulée "L'héritage technologique, scientifique et culturel de la navette spatiale".
La navette au coeur de l'effort spatial américain et international
Hawley, recruté par la NASA en 1978, a participé à cinq missions sur la navette spatiale en 1984, 1986, 1990, 1997 et 1999. Il a notamment été responsable du déploiement puis de la réparation du télescope spatial Hubble. Présent dès l'origine du programme, il a pu faire part de nombreuses anecdotes sur ses aventures à la fois sur Terre et dans l'espace. Hawley a commencé par pointer le fait que la coïncidence entre les dates du vol de Gagarine et de la navette était fortuite. Le vol inaugural de Columbia était prévu pour le 10 avril mais avait du être reporté pour cause de problème d'ordinateur. Il ne s'agissait donc en aucun cas d'une volonté délibérée d'éclipser l'exploit des russes.
La navette a offert des possibilités qu'aucun autre lanceur n'a pu égaler. Elle autorisait l'envoi dans l'espace à la fois de personnes et de chargement ainsi que leur retour. Plus de la moitié de la masse de matériaux envoyés dans l'espace actuellement le fût par la navette. En trente ans de service, elle aura fait voyager plus de 400 personnes dans l'espace. Elle permettait aussi de réaliser des travaux en orbite, notamment pour réparer des satellites endommagés. D'un point de vue administratif, le programme aura survécu à huit administrations présidentielles, un autre exploit en soi.
Navette spatiale en préparation pour un vol
Le besoin d'un lanceur réutilisable s'est fait sentir à la fin des années 60 alors que les russes abandonnaient la course vers la Lune pour se concentrer vers l'orbite terrestre basse. Dans les années 70, les conditions à remplir pour le programme étaient très ambitieuses: 12 à 20 vols par an pour des véhicules capables de voler au moins 100 fois chacun. Les cinq navettes produites n'effectueront au total que 135 vols. Une telle différence illustre le fait que ce défi complètement nouveau allait se révéler plus complexe que prévu. Dans son historique, Hawley n'a pas manqué de souligner à quel point l'aventure de la navette a été un apprentissage permanent. "Durant tout le programme, nous avons continué à apprendre de plus en plus de choses sur la navette, ses possibilités réelles, et nous étions capables de faire de plus en plus".
Les tuiles isolantes tiendront-elles le coup ? Et le bouclier thermique ? Tellement de questions auxquelles à l'origine seules des simulations pouvaient apporter une réponse, et que la pratique a permis d'explorer. Le but sur Terre: imaginer toutes les situations possibles dans une philosophie "fail-op, fail-safe" ayant pour but de garantir la continuation de la mission ou alors son abandon avec un retour des astronautes en cas de problème. La volonté de prévoir toutes les cas possibles a parfois entraîné des situations encore plus difficiles à gérer.
Hawley a par exemple raconté dans les détails comment la gestion du bras robotisé avait été planifiée pour le déploiement du télescope spatial Hubble. Par crainte de mouvement non contrôlés du bras qui aurait pu endommager le télescope lors de sa sortie de la navette, les mouvements des moteurs via le contrôle manuel avait été ralentis afin de laisser assez de temps à l'opérateur pour ajuster le déplacement du bras. Seulement, les moteurs étaient au final tellement lents que le rapport signal sur bruit dans leur contrôle approchait un, rendant le bras très difficilement contrôlable.
Malgré la perte de deux des navettes et de leur équipage, en 1986 pour Challenger et en 2003 pour Columbia, l'héritage porté par le programme est conséquent. Les navettes ont permis le déploiement de nombreux satellites d'observation scientifique. Elles contenaient aussi des modules permettant la réalisation d'expériences et des instruments qui n'ont cessé de mesurer et photographier la Terre. Sans elles, la station spatiale internationale aujourd'hui habitée continument depuis 10 ans, n'aurait jamais vu le jour. Le programme des navettes a aussi conduit à changer la manière avec laquelle les astronautes sont recrutés. La promotion de 1978 à laquelle appartenait Hawley comptait deux afro-américains ainsi que six femmes. Cependant, "le changement radical fut d'introduire des civils dans le programme spatial qui avait été jusque là purement militaire." commente Halley. Un changement culturel bien plus important selon lui.
Après un vol ce mois-ci pour Endeavour et un autre cet été pour Atlantis, les navettes prendront leur retraite. Les deux dernières missions ont pour but d'envoyer des modules nécessaires à la Station Spatiale Internationale. Ensuite, aucun lanceur existant ne pourra le faire. La continuité de l'utilisation de la station est remise en question. Des problèmes d'approvisionnement vont se poser sans la navette qui permettait d'amener des charges conséquentes mais aussi de rapatrier du matériel, ce qu'aucun lanceur ne peut faire. De plus, les américains ne pourront plus envoyer eux-mêmes des hommes dans l'espace, devant se reposer sur le lanceur Soyouz des Russes. Ils ont signé pour cela un contrat de 753 millions de dollars pour 12 voyages en 2014 et 2015. Au-delà, une solution doit être trouvée mais il semble qu'elle repose pour le moment dans les mains du secteur privé.
Une telle situation inquiète à plus d'un titre sur les perspectives américaines dans les vols spatiaux habités et la conquête de Mars. La peur est grande que la NASA ne perde ses connaissances et ses compétences dans les prochaines années, rendant encore plus difficile le lancement d'un nouveau programme de vols habités. Pour Houston, où le JSC de la NASA est en charge du suivi des vols, un tel abandon laisse aussi entrevoir des réductions d'emplois. Une situation difficilement supportable qui n'a pas été atténuée par une annonce faite elle aussi le 12 avril.
Qui va obtenir les navettes à la retraite ?
Ce jour du 12 avril 2011 était aussi la date à laquelle le directeur de la NASA Charles Bolden a annoncé quelles institutions allaient avoir l'honneur d'héberger, à partir de fin 2012, les trois navettes qui seront toutes à la retraite d'ici l'été. Houston, centre névralgique du programme spatial - contrôle des vols, entraînement des astronautes où ils vivaient - faisait figure de favori, du moins dans l'esprit des texans. Le titre du Houston Chronicle du 13 avril, "Un énorme affront pour Houston", illustre la déception et la colère des texans de ne pas avoir obtenu l'une des précieuses reliques. L'une était promise à la Smithonian Institution à Washington DC. Les autres iront en Floride et à Los Angeles. New York recevra Enterprise, le prototype conçu pour faire les tests de vols dans l'atmosphère.
La navette est une des fiertés de l'état à tel point que les plaques d'immatriculation texanes pour la période 1999 - 2009 sont ornées d'un cowboy coiffé d'un stetson sur son cheval, d'un derrick et... de la navette spatiale ! Sur cette plaque, sept étoiles furent même rendues plus visibles suite à la désintégration de la navette Columbia au-dessus de l'état en 2003. Des preuves, s'il en faut, de l'attachement des Texans pour le programme spatial géré depuis le Johnson Space Center. Mais tout cela n'a pas suffit.
"Nous sommes ceux qui avons inventé le concept", commente George Abbey. "Nous l'avons conçue. Nous l'avons testée. Nous l'avons fait marcher. Houston devait être numéro un sur la liste. Houston n'est même pas dans le top 4". Pour le Représentant à la Chambre des Représentants John Culberson, Houston sans navette c'est comme "Détroit sans la Ford-T, ou Florence sans un Da Vinci." Les texans n'ont pas l'intention de se laisser faire. La moindre des choses est de comprendre ce qui a guidé le choix de la NASA. Pour eux, des manipulations politiques sont à l'origine de leur mauvaise fortune et ils sont bien décidés à le prouver. Des auditions pourraient avoir lieu au Congrès afin de faire toute la lumière sur le processus de décision. Mais il semble très improbable que cela aboutisse au rapatriement d'une navette au Texas.