Un crâne fossile de poisson découvert en Lettonie et que les chercheurs de l'Université d'Upsal en Suède viennent de décrire dans la revue Nature, prouve que les premiers animaux terrestres respiraient probablement à l'aide de leurs oreilles. Selon le Professeur Per Ahlberg, il semble que la première étape de l'évolution de l'oreille moyenne n'ait rien eu à voir avec le sens de l'ouïe et que nos très lointains ancêtres aient développé leurs oreilles afin de mieux respirer.
L'oreille moyenne
Le sens humain de l'audition est basé sur l'interaction entre deux organes différents: l'oreille interne et l'oreille moyenne. L'oreille interne contient les cellules sensorielles qui captent des vibrations sonores et les envoient en impulsions nerveuses au cerveau. L'oreille moyenne est un ingénieux amplificateur sonore mécanique qui capte les faibles vibrations de l'air grâce à une membrane (le tympan), les intensifie avec un système amplificateur (les osselets) et les retransmet à l'oreille interne. Sans l'oreille moyenne, l'oreille interne ne fonctionnerait pas.
Des organes difficilement différenciables
Tous les vertébrés possèdent une oreille interne, mais l'oreille moyenne n'existe que chez les animaux terrestres. Les poissons n'ont pas besoin d'oreille moyenne car les vibrations sonores sont plus intenses dans l'eau et traversent facilement leur corps. La construction de l'oreille moyenne diffère toutefois parmi les différents groupes d'animaux terrestres: les mammifères ont un tympan et trois osselets (le marteau, l'enclume et l'étrier), tandis que les oiseaux, les reptiles, et les amphibiens n'ont qu'un osselet (l'étrier) qui relie directement le tympan à l'oreille interne. Il est difficile de savoir si les tympans des mammifères, des reptiles, et des amphibiens ont connu une évolution identique ou s'ils sont apparus indépendamment les uns des autres.
La comparaison avec les poissons sème encore un peu plus la confusion: à la place d'une oreille moyenne, les poissons possède une petite ouïe, l'évent, qui n'est pas recouverte par un tympan mais plutôt qui forme un canal ouvert entre la gorge et l'extérieur de la tête. L'équivalent de l'étrier, le hyomandibulaire, supporte l'opercule de l'ouïe mais n'a aucun contact avec l'oreille interne. Le hyomandibulaire et l'évent ne jouent aucun rôle dans l'audition.
Ces différences rendent difficile l'explication de l'origine de l'oreille moyenne. Comment l'évolution a-t-elle pu changer à la fois la structure et la fonction de l'évent des poissons d'une manière si radicale ? Les premiers animaux terrestres possédaient-ils vraiment une oreille interne pour amplifier les sons ? Les premiers vertébrés terrestres ou les tétrapodes, comme Acanthostega du Groenland (qui a vécu il y a approximativement 360 millions d'années), avaient un étrier qui était en contact avec l'oreille interne, mais il était grand et mal adapté et ne semble pas avoir été branché au tympan. Ils possédaient également deux ouvertures rondes à l'arrière du crâne: chez les amphibiens modernes l'ouverture correspondante est le point d'attache du tympan, mais chez les poissons c'est l'endroit où l'évent s'ouvre vers l'extérieur. La combinaison de ces caractéristiques a conduit à l'hypothèse que les premiers animaux terrestres possédaient encore des évents ouverts par lesquels ils pouvaient respirer.
Les miracles de l'évolution
Les nouvelles données des scientifiques de l'Université d'Upsal supportent fortement cette hypothèse. Elles proviennent de l'étude du crâne d'un Panderichthys de Lettonie, poisson fossile le plus proche de l'apparition des animaux terrestres. Les scientifiques savaient déjà que Panderichthys possédait un hyomandibulaire, et supposaient que son évent était d'un type standard chez les poissons. Mais ce n'est pas le cas: en fait, le trou est semblable à l'oreille moyenne d'un tétrapode comme Acanthostega. Comme le hyomandibulaire du Panderichthys n'avait aucun contact avec l'oreille interne, son évent aurait difficilement pu avoir une fonction d'amplification sonore. "Ainsi la transformation de la forme de l'évent doit avoir été provoquée pour une autre raison que pour l'amélioration de l'audition", remarque Per Ahlberg.
Panderichthys
L'évent de Panderichthys possède un diamètre beaucoup plus grand et est en outre plus court et plus rectiligne que ceux de poissons proches. Cela ressemble à une adaptation à la respiration active (dans l'eau ou dans l'air) à travers l'évent, par rapport aux poissons ordinaires pour lesquels seule une faible quantité d'eau traverse ce trou à des fins de respiration. Une adaptation semblable peut être observée chez les raies modernes, qui possèdent un évent très grand.
Comme l'oreille moyenne chez les premiers tétrapodes a la même forme que l'évent de Panderichthys, il est probable qu'elle ait assuré une fonction de respiration. Mais chez les tétrapodes l'opercule des ouïes a disparu et le hyomandibulaire s'est transformé en étrier primitif. Le fait que l'étrier ait été en contact avec l'oreille interne indique qu'une fonction auditive rudimentaire est alors apparue.
"Nous ne pouvons que faire des spéculations sur la façon dont tout ceci est survenu. Il arrive que l'évent d'un poisson soit fermé par une valve musculaire placée au-dessus. Si les premiers tétrapodes ont possédé un organe de ce type, une oreille moyenne complètement intégrée a pu temporairement se former, dans laquelle l'étrier pouvait transférer les vibrations de l'oreille moyenne vers l'oreille interne. Par la suite, quand la fonction auditive est effectivement devenue plus importante, l'évent s'est trouvé obturé de manière permanente par un tympan", suggère le professeur Ahlberg.