En utilisant une technique de mesure innovante, des chercheurs ont réussi à suivre précisément les étapes caractérisant la transformation du lait en fromage, ce qui pourrait approfondir la compréhension et aider à l'optimisation des mécanismes à l'oeuvre dans la fabrication des nombreux fromages qui garnissent heureusement nos assiettes.
La fabrication du fromage consiste à concentrer les protéines et la matière grasse du lait en retirant la fraction aqueuse, appelée "sérum". Ce procédé repose sur la gélification enzymatique du lait et la déstabilisation des "micelles de caséine", des colloïdes naturels concentrant la majorité des protéines laitières.
Après formation, les gels de lait enzymatiques subissent un processus de maturation spontané, appelé vieillissement, durant lequel leurs propriétés mécaniques se renforcent au fil du temps. Ce renforcement permet le tranchage des gels en petits morceaux et l'initiation de la synérèse, c'est-à-dire la contraction du réseau protéique et l'expulsion du sérum.
Durant le vieillissement, le moment où est initié le tranchage est crucial non seulement pour le contrôle de la teneur en eau du fromage, mais aussi pour les rendements de fabrication et la perte de protéines et de matière grasse dans le sérum. Néanmoins, les procédés de transformation restent aujourd'hui largement empiriques car les mécanismes de formation et de vieillissement du gel ne sont pas entièrement compris.
Dans une étude récente, des chercheurs du Laboratoire de Physique de l'ENS de Lyon (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon) ont tiré parti de l'émergence de la spectroscopie mécanique résolue en temps, une nouvelle technique permettant une caractérisation complète et rapide des propriétés rhéologiques des matériaux.
En couplant ces mesures rhéométriques à des caractérisations structurelles, ils ont montré pour la première fois que le scénario microscopique gouvernant la dynamique macroscopique des gels de lait enzymatiques comporte deux étapes séquentielles. Premièrement, le réseau particulaire formé au point critique de gélification se compacte, entraînant une augmentation rapide de la fermeté ou "élasticité" des gels. Deuxièmement, la microstructure du gel se fige et la poursuite du vieillissement se fait par une évolution des contacts entre les particules constituant le gel.
La mise en évidence de ces deux régimes de vieillissement, séparés par un temps critique (de l'ordre d'une vingtaine de minutes), est une découverte prometteuse pour l'industrie fromagère. À travers des essais pilotes, le défi est maintenant de transformer ces connaissances en conduites de fabrication visant à optimiser et automatiser les premières étapes de fabrication du fromage. De plus, cette étude rayonne bien au-delà des sciences alimentaires.
Pour la première fois, ces résultats montrent la signature macroscopique du vieillissement d'un gel colloïdal induit par l'évolution des contacts à l'échelle de la particule. Le scénario original de vieillissement des gels de lait enzymatique contraste avec d'autres gels colloïdaux constitués de particules dures, où la structure globale du réseau reste constante tout au long du vieillissement.
Cela met en évidence la complexité supplémentaire de ces systèmes biologiques constitués de particules molles, et appelle à de nouveaux cadres théoriques pour les décrire. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review Materials.
Référence:
Two-step aging dynamics in enzymatic milk gels, Physical Review Materials, publié le 9 juillet 2024.
Doi: 10.1103/PhysRevMaterials.8.L072601
Archive ouverte: arXiv