Une étude récente menée en Guyane établit, sur vingt ans, un lien clair entre la variation de populations de guêpes de lisière de forêts et les épisodes climatiques La Niña. Ces résultats présentent l'intérêt d'identifier un modèle biologique qui témoigne de l'impact des variations climatiques sur un écosystème, tandis qu'il est traditionnellement difficile de relier scientifiquement les fluctuations entre climat et espèces biologiques, du fait de leur temps de réponse et du défaut de données sur le long terme. Ils ont été publiés dans la revue Plos One le 3 novembre.
Les chercheurs s'intéressent aux guêpes de Guyane depuis les années 90 dans le cadre de programmes d'études interdisciplinaires développées au départ sur les sociétés d'insectes, et associant par exemple des biologistes et des spécialistes de psychologie sociale. De ce fait, il existait des informations assez précises sur la diversité et la distribution des guêpes des lisières de forêts guyanaises quand le phénomène climatique El Niño de 1997-98 a été annoncé comme étant probablement l'un des plus forts jamais enregistré.
Sur l'hypothèse que les guêpes pourraient être sensibles aux variations climatiques, les auteurs de l'étude se sont intéressés à l'impact, sur les nids qu'ils suivaient, des phénomènes El Niño et La Niña, deux anomalies climatiques bien connues qui surviennent périodiquement dans le Pacifique Est, produisant des "stress" importants sur l'environnement.
Durant l'été La Niña de 2000, le nombre de guêpiers situés le long d'un transect de 5 kilomètres en bordure de forêt à chuté de 77%, ce qui correspond à la disparition locale de 70,5% des espèces, soit 45 sur 61 identifiées. Deux séries de contrôle établis sur 13 ans, de 1997 à 2009, confirment cette baisse durant les années La Niña de 2000 et 2006, alors qu'une augmentation a été constatée pendant l'année El Niño de 2009. Les chercheurs ont ainsi pu analyser de longues périodes grâce à des données climatiques enregistrées depuis 30 ans sur des sites scientifiques de la forêt littorale.
Par une approche utilisant la technique statistique dite des "réseaux de neurones artificiels", les chercheurs ont pu montrer que les fortes précipitations durant l'ensemble de la saison des pluies ont un impact négatif sur les guêpes, et que cet impact est exacerbé lorsque des saisons sèches drastiques sont suivies de petites saisons des pluies particulièrement pluvieuses.
A ce jour, les populations de guêpes n'ont jamais pu revenir au niveau précédent l'année 2000, alors que l'on observe une intensification de ce phénomène en Amazonie, avec des saisons sèches de plus en plus longues et des périodes de pluies de plus en plus violentes.
Les changements climatiques récents ont certainement entraîné une diminution générale des populations de guêpes guyanaises qui s'installent le long des lisières de forêt. Ces guêpes, particulièrement réactives, constituent donc des bio-indicateurs qui révèlent assez fidèlement, dans cette région, l'impact du changement climatique sur la diversité biologique, alors qu'il n'est pas encore perceptible sur les plantes et les autres animaux, soit parce que leur temps de réponse est plus long, soit parcequ'il est difficile de l'observer par manque de données anciennes.
"Climate Change Impact on Neotropical Social Wasps", Alain Dejean, Régis Cereghino, James M. Carpenter, Bruno Corbara, Bruno Herault, Vivien Rossi, Maurice Leponce, Jérôme Orivel et Damien Bonal, 2011, Plos One. Accessible en ligne: http://www.plosone.org/article/info%3Ad ... ne.0027004