La coïncidence temporelle de l'activité neuronale représente un paramètre essentiel du fonctionnement du cerveau. Jusqu'à présent, on ignorait comment cette information était transmise d'un neurone à l'autre. Une publication dans la revue Science Advances révèle que les canaux sodium de l'axone lisent et transmettent les niveaux de coïncidence des entrées synaptiques d'un neurone à l'autre en modulant l'amplitude du potentiel d'action dans l'axone. Ainsi cette étude fait tomber le dogme du caractère tout-ou-rien du potentiel d'action.
Les processus sensoriels comme la vision ou l'audition requièrent des mécanismes de détection ultrarapides (de l'ordre du millième de seconde) afin de discriminer les informations pertinentes codées par des entrées synaptiques fortement synchronisées de celles moins importantes et qui sont donc faiblement synchronisées. Jusqu'à présent, on pensait que cette discrimination était opérée par des mécanismes de détection de coïncidence au niveau post-synaptique comme l'activation des récepteurs NMDA (N-methyl-D-aspartate), l'amplification des potentiels postsynaptiques excitateurs ou l'adaptation du seuil du potentiel d'action qui dépend des canaux sodium localisés dans l'axone. Contrairement aux deux autres, ce dernier mécanisme est particulièrement bien adapté pour discriminer des évènements rapides. En effet, les canaux sodium qui régissent l'adaptation du potentiel d'action permettent une discrimination temporelle de l'ordre du millième de seconde en raison de leur cinétique d'ouverture et de fermeture rapide. Jusqu'à présent, on ignorait comment la lecture de la synchronisation était transmise aux autres neurones.
En théorie, la disponibilité des canaux sodium est maximale si le seuil du potentiel d'action est atteint de manière instantanée. Cette configuration correspondant à une inactivation minimale des canaux sodium peut être obtenue si le potentiel d'action présynaptique est déclenché par des entrées fortement synchronisées. Ainsi, en combinant l'enregistrement électrophysiologique de paires de neurones issus de tranches de cerveau de rat, l'imagerie du calcium, l'enregistrement simultané de l'axone et du corps cellulaire ainsi que la modélisation, les chercheurs ont identifié un nouveau mécanisme de transmission de la synchronisation.
Ils démontrent en effet que la transmission synaptique est facilitée quand le potentiel d'action présynaptique est généré par une entrée synchronisée avec une latence courte alors qu'elle est réduite lorsque le potentiel d'action est généré par une entrée désynchronisée avec plus longue latence. Cette facilitation dépendant de la synchronisation repose sur la modulation de l'amplitude du potentiel d'action axonal de plusieurs millivolts qui lui-même conditionne l'entrée de calcium dans la terminaison présynaptique. Il est intéressant de noter qu'en raison des propriétés différentes des canaux sodium dans les compartiments somatique et axonal, la modulation de l'amplitude du potentiel d'action n'est visible que dans l'axone mais pas dans le corps cellulaire. Cette facilitation est observée dans les circuits locaux du néocortex (entre cellules pyramidales de la couche 5) et de l'hippocampe (entre cellules pyramidales de CA3) et affecte l'activité propagée dans ces circuits locaux.
Cette étude fait tomber un dogme bien établi: le potentiel d'action n'est pas aussi stable qu'on le pensait mais il peut varier considérablement en amplitude en fonction des conditions dans lesquelles il est déclenché. De plus, les chercheurs pensent avoir identifié ici le premier substrat biologique du codage temporel par la latence absolue des potentiels d'action, le mode de codage neuronal considéré comme le plus puissant d'un point de vue théorique. Les propriétés des canaux sodium axonaux définissent une nouvelle forme de modulation de la transmission synaptique par laquelle le temps d'arrivée d'un potentiel d'action présynaptique devient un facteur critique dans la transmission de l'information neuronale dans le cortex. Il reste cependant encore bien des questions à explorer comme la généralisation de ce principe aux différents neurones et circuits du cerveau et sa vérification chez l'animal entier.
Contact:
Dominique Debanne - Directeur de Recherche CNRS à l'Unité de Neurobiologie des canaux Ioniques et de la Synapse (UNIS)
dominique.debanne at inserm.fr