Des chercheurs de l'Institut des molécules et matériaux du Mans (CNRS/Université du Mans) et du laboratoire Structures propriétés et modélisations des solides (CNRS/Ecole Centrale Paris) ont montré qu'il était possible de déclencher de la piézoélectricité inverse par excitation optique ultra-rapide dans le matériau ferroélectrique BiFeO3. Outre la mise en évidence de phénomènes physiques originaux, ces résultats ouvrent des perspectives en termes de développement de nouvelles générations de transducteurs piézoélectriques GHz-THz déclenchés optiquement dont aura probablement besoin la nanométrologie pour réaliser de la nano-échographie. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Communications.
La piézoélectricité est une propriété que présentent certains cristaux (non centro-symétriques) de se polariser sous une contrainte mécanique (effet piézoélectrique direct) ou bien de se déformer sous l'effet d'un champ électrique externe (effet piézoélectrique inverse). Les chercheurs ont cherché à savoir s'il était possible de manipuler cette piézoélectricité inverse avec la lumière (laser femtoseconde). Pour cela, il demeure tout d'abord primordial de bien comprendre les mécanismes de couplage électron-phonon mis en jeu à ces échelles de temps très courtes.
Des expériences appelées pompe-sonde ont donc été menées sur un polycristal de BiFeO3 (BFO). Une première impulsion lumineuse (pump) est focalisée sur un grain d'une dizaine de micromètres d'une céramique de BFO (les différents grains de la céramique possèdent des orientations cristallographiques variables représentées par une couleur comme indiqué sur la figure de gauche ci-dessous) et une seconde (probe) vient détecter les phonons acoustiques photogénérés (voir les oscillations Brillouin observées sur la réflectivité optique transitoire DR illustrées sur la figure ci-dessous). Quand la lumière est absorbée par le matériau ferroélectrique BiFeO3, plusieurs mécanismes peuvent engendrer des déformations dans le solide (i.e. l'émission de phonons acoustiques): le chauffage thermique, la pression électronique (le laser apporte de l'énergie cinétique aux électrons du solide) et l'effet piézoélectrique inverse. C'est ce dernier phénomène qui s'est montré très efficace dans BFO et notamment pour photogénérer/photodétecter de manière spectaculaire des phonons acoustiques transverses (cisaillement).
Le mécanisme de déclenchement de la piézoélectricité par la lumière peut se résumer simplement selon la séquence suivante: le laser pompe crée des paires électron-trou dans les domaines ferroélectriques, ces porteurs sont séparés spatialement par la polarisation interne (naturellement présente dans le matériau ferroélectrique) et viennent donc écranter cette dernière. Dès lors que le champ électrique interne est modulé, il y a alors émission de phonons acoustiques par effet piézoélectrique inverse. Au lieu d'appliquer un champ électrique externe pour créer des déformations (comme cela est employé dans les transducteurs piézoélectriques usuels et basse fréquence MHz), ce sont ici les électrons et trous générés par la lumière qui se chargent de moduler le champ électrique interne. Autre particularité: selon l'orientation des grains photoexcités (i.e. selon l'orientation de la polarisation ferroélectrique), il est possible de contrôler le type de phonons émis (longitudinaux LA ou transverses TA).
En termes d'applications, le contrôle des déplacements atomiques à courte échelle (génération de phonons dans le domaine GHz-THz) constitue un enjeu majeur pour pouvoir développer de nouvelles sources acoustiques haute-fréquence pour l'imagerie de nanostructures, ou pour imaginer des capteurs opto-mécaniques où une fonction mécanique est contrôlée de manière ultra-rapide par la lumière. Ce travail contribue donc au développement de ces nouveaux transducteurs (dispositifs convertissant un signal physique en un autre).