Les légendes urbaines entourant les somnambules sont nombreuses: il serait dangereux de les faire émerger de leur sommeil; les personnes qui en sont atteintes marchent les bras tendus; ou encore les somnambules seraient plus difficiles à réveiller que la
moyenne des gens.
Ce dernier mythe a attiré l'attention d'une équipe de chercheurs de l'Université de Montréal qui ont comparé les éveils de somnambules et de sujets normaux provoqués pendant différentes phases du sommeil à l'aide de stimulus auditifs variant de 40 à 90 décibels.
Verdict: les somnambules sont bel et bien plus difficiles à réveiller, mais seulement durant leur sommeil paradoxal, le dernier stade d'un cycle de 90
minutes qui se répète toute la nuit. C'est le moment où se produisent les rêves. "Beaucoup de somnambules n'ont pas été réveillés même avec la
stimulation la plus forte de 90 décibels, alors que, chez la plupart des sujets témoins, l'éveil survenait après l'émission d'un son d'environ 70 décibels", rapporte Mathieu Pilon,
chercheur postdoctoral en neuropsychologie au CHU Sainte-Justine et premier auteur de l'étude publiée dans la revue
Sleep Medicine.
Étrangement, les épisodes de somnambulisme ne se manifestent jamais au cours du sommeil paradoxal. Ils ont plutôt lieu pendant le sommeil lent profond. "C'est fascinant, estime Antonio Zadra, professeur au Département de psychologie de l'UdeM et coauteur de la recherche. Nous pensons qu'un mécanisme compensatoire serait en action durant le sommeil paradoxal. Il chercherait à consolider le sommeil des somnambules, qui est fragmenté au moment du sommeil lent profond par les incidents de somnambulisme ou de nombreux microéveils, c'est-à-dire des éveils de 3 à 15 secondes dont les dormeurs n'ont aucun souvenir. Bref, les somnambules compenseraient tellement pendant leur sommeil paradoxal qu'ils seraient donc plus difficiles à réveiller dans cette
phase."
Les chercheurs ne connaissent pas encore les liens qui unissent ces stades du sommeil, "mais toutes nos données nous indiquent que quelque chose se passe sur ce plan chez les somnambules", signale M. Zadra.
Les somnambules ayant souvent été décrits comme de gros dormeurs avec une difficulté à passer du sommeil lent profond à un état pleinement éveillé, les chercheurs s'attendaient à ce qu'ils soient plus difficiles à réveiller à ce moment de la nuit. Or, surprise, l'intensité sonore nécessaire pour éveiller les somnambules était sensiblement la même que pour les sujets témoins. L'expérience reproduite pendant le deuxième stade du sommeil - appelé aussi sommeil léger - a donné des résultats similaires.
"Cependant, les éveils étaient plus fréquents chez les somnambules durant le sommeil lent profond, mentionne Mathieu Pilon. Ce phénomène était particulièrement marqué après une privation de sommeil." Tous les participants étaient en effet testés au cours d'une nuit normale, puis au cours d'une nuit suivant une journée d'éveil de 25 heures. "Presque tous les somnambules ont vécu un épisode pendant leur sommeil lent profond après la nuit blanche", ajoute Antonio Zadra.
M. Pilon raconte que les épisodes de somnambulisme qui surviennent en laboratoire sont parfois très simples, d'autres fois plus chaotiques. "La personne peut s'assoir dans son lit, jouer avec ses draps ou marmonner. Il arrive que le sujet soit plus agité: il tente d'arracher les électrodes sur son crâne ou de sauter par-dessus les barreaux du lit."
Zoom sur le sommeil paradoxal
Selon le professeur Zadra, les résultats de cette recherche soulignent l'importance d'étudier le sommeil paradoxal chez les somnambules, un volet qui, jusqu'à aujourd'hui, était négligé par la science.
"Dans les différentes études sur le sommeil des patients somnambules, il est courant de recueillir des données sur le sommeil paradoxal, mais souvent on ne les rapporte pas. On concentre plutôt notre attention et nos modèles sur le sommeil lent profond, puisque c'est à ce moment que se déroulent les épisodes de somnambulisme. Je crois qu'au contraire le sommeil paradoxal pourrait nous aider à mieux comprendre les somnambules et leurs réactions par rapport aux anomalies observées durant le sommeil lent profond."